Page d'histoire : Roger Bissière Villeréal (Lot-et-Garonne), 22 septembre 1886 - Boissierette, commune de Marminiac (Lot), 2 décembre 1964

Figure emblématique de la Nouvelle école de Paris après la guerre, Roger Bissière se définit comme un non-figuratif, déclarant en 1960 : « Je me refusais absolument à être abstrait : pour moi un tableau n’est valable que s’il a une valeur humaine ». De ses cours à l’Académie Ranson où il enseigne de 1923 à 1939, une nouvelle tendance de la peinture française est née autour de Bertholle, Le Moal, Manessier, Vieira da Silva.

De retour sur la scène artistique après dix ans de silence, son rôle est déterminant, dans une période dominée par l’hégémonie de l’abstraction et ses avatars lyriques, informels, gestuels qu’il vivifie. En 1945 le nouveau salon de Mai lui rend un hommage. En 1951 il entre à la galerie Jeanne Bucher où il exposera régulièrement en 1952, 1956, 1958, 1962, 1964. Dès 1952 il reçoit le Grand prix national des Arts, en 1959 a lieu l’exposition organisée par Jean Cassou au Musée national d’art moderne. Sa reconnaissance est internationale : la Documenta de Cassel en 1955 et 1959, la Biennale de Sao Paulo en 1955 ; la XXXIIe Biennale de Venise où il représente la France en 1964, lui décerne la Mention d’honneur du Jury.

Originaire du Lot, Bissière est élève à l’école des Beaux-Arts de Bordeaux, puis de Paris où il arrive en 1910. Pour gagner sa vie il s’adonne dès 1913 à la critique dans l’hebdomadaire L’Opinion où il publie la première étude consacrée à Braque (1919), puis rédige pour l’Esprit Nouveau des Notes sur Seurat (1920), Ingres, Corot en 1921. La même année a lieu sa première exposition personnelle galerie Paul Rosenberg. Jusqu’avant la guerre, Bissière tente une synthèse du cubisme et de l’orphisme. Dans l’héritage de Poussin plutôt que celui de Picasso ou Mondrian, il prône un sens de la nature et de l’ordre, une attitude morale en quête d’une vision du monde sublimée par des qualités de clarté et de mesure d’où naît une spiritualité nouvelle qui caractérise le groupe Témoignage en 1936, à Lyon.

En 1939, Bissière s’installe définitivement à Boissierette, propriété familiale. Affecté par la déclaration de la guerre, il cesse de peindre. Il se consacre aux travaux des champs. Ce retour aux origines provoque chez lui un « besoin d’effusion ». Il renoue avec une peinture libre, inspirée de l’art roman, des dessins d’enfant de son fils Louttre, de l’art océanien et africain. En décembre 1947, son exposition à la galerie Drouin révèle ses peintures récentes, d’un archaïsme délibéré avec des pictogrammes rupestres et des signes géométrisants. Il reprend les pinceaux après une opération du glaucome, expérimente la peinture à la cire, puis en 1950 la peinture à l’œuf grâce à laquelle il peut donner à ses couleurs un maximum de fraîcheur et d’éclat. Obsédé par la lumière, il structure ses compositions à la façon des vitraux (il réalise ceux du transept nord et sud de la cathédrale de Metz 1960-1961). Ses peintures s’animent de taches de couleurs, rouge orangé, bleu, jaune, vert et de petits signes enchâssés dans une texture subtile nourrie de couches successives. 

Ce grand coloriste peint dans l’émerveillement renouvelé de chaque jour. La peinture de Bissière est un désir de poésie. Plus franciscaine que panthéiste, elle est irréductible à toute analyse. « Pense à la peinture », tel est le credo de ce peintre absolu dont le devoir est de « donner à voir ».

 

Lydia Harambourg
historienne critique d’art
membre correspondant de l’Académie des beaux-arts

Source: Commemorations Collection 2014

Liens