Page d'histoire : L'Exposition de Paris

La tranchée du métropolitain, rue de Rivoli, 1898
Paris, Bibliothèque nationale de France
©Lauros - Giraudon

Vue générale de l'Exposition universelle de 1900
Paris, musée d'Orsay

La Révolution française avait, en 1798, inventé la formule de " l'exposition nationale" des produits de l'industrie : entendons par là de l'intelligence humaine. En 1851, le Royaume-Uni, au sommet d'une puissance désormais planétaire, avait donné à la formule sa dimension internationale, le qualificatif "d'universel" renvoyant, quant à lui, à l'universalité des objets exposés. À partir de 1855, la France avait repris l'initiative, à raison d'une Exposition universelle internationale tous les onze ou douze ans. Régime longtemps regardé avec suspicion par le concert des puissances, la Troisième république n'avait pas négligé de mettre en scène par ce moyen son redressement, en 1878, sept ans après la fin de la guerre, son dynamisme, en 1889, pour le centenaire de la Révolution. Après avoir craint - hantise d'époque - que Berlin ne fût sur les rangs, elle obtint d'organiser aussi celle de 1900. Cette date, au contraire de la précédente, ne soulevait aucune polémique et n'entraîna aucune abstention étrangère. Les organisateurs n'allaient pas manquer d'en faire la grande récapitulation populaire du siècle, dans une perspective résolument optimiste.

Chemin faisant, en effet, les "Expos" avaient changé de nature. Elles restaient, en théorie, une occasion de confrontation entre producteurs, principalement industriels, même si on y trouve désormais une section agricole. Mais les pouvoirs publics n'y investissent tant d'argent, le public ne s'y presse tant que parce qu'il ne s'agit pas d'une simple foire économique. D'une part, le projet unificateur des origines a éclaté en une multitude de "pavillons", thématiques et nationaux ; de l'autre, le propos didactique s'est dilué dans une logique proprement spectaculaire, voire strictement ludique où, pêle-mêle, le "clou" technologique, l'attraction foraine et l'exotisme colonial rivalisent pour séduire un visiteur qui a plus que jamais figure de client.

À tous ces égards, l'Exposition de 1900 - la dernière à recevoir officiellement l'épithète d'universelle - fut un apogée. L'affluence y battra des records puisque, face aux vingt-sept millions d'entrées de Chicago en 1893, elle en revendiqua plus de cinquante, chiffre inouï compte tenu du niveau de vie et des moyens de transport de l'époque.

Ce succès, dû en partie à la qualité de l'organisation confiée comme en 1889 à un état-major d'ingénieurs et d'administrateurs placés sous la direction de l'efficace Alfred Picard, sert à l'évidence le gouvernement de gauche, au sortir de la période la plus tendue de l'Affaire Dreyfus, tout comme celui de l'Exposition de la Tour Eiffel l'avait fait au plus fort de la crise boulangiste. L'unanimisme règne au pantagruélique "Banquet des maires" (vingt-deux mille convives), apothéose de la formule du banquet républicain, mais la problématique "Économie sociale" a droit à un groupe spécial tandis qu'attirés par l'occasion et encouragés par les organisateurs, se tiennent dans la capitale un nombre également sans précédent de congrès internationaux, à l'heure où la France a fort à faire pour ne pas se retrouver totalement surclassée par l'Allemagne sur le terrain de la "Science", voire de la "Pensée".

Car, au-delà du régime, c'est la France qui s'exhibe aux yeux du monde, triomphale à défaut d'être triomphante, une France qui sort de son isolement diplomatique en faisant fête à son allié russe (pont Alexandre III), à la veille d'une réconciliation spectaculaire avec le Royaume-Uni, une France qui, face précisément à l'impressionnant Royaume-Uni, étale, sur les collines du Trocadéro, les richesses de son empire colonial.

De manière plus diffuse, la francité coule ici à pleins bords au travers de multiples édifices, temporaires ou définitifs. Les sites les plus festifs, la "Rue de Paris", "le Vieux Paris", prétextes à attractions, cultivent l'image, internationalement admise, du haut lieu de tous les plaisirs, pendant que les bâtiments destinés à durer, le Grand et le Petit Palais, voués à l'accueil d'expositions, sont érigés "à la plus grande gloire de l'art français" ; il n'est pas jusqu'au front des inventions qui ne permette au pays hôte de se mettre en avant comme berceau du cinématographe ou du radium, bref comme le pays de la "qualité", face aux statistiques accablantes de la "quantité" britannique, allemande ou, déjà, américaine.

Avec le recul, c'est cependant la dimension proprement internationale de l'Exposition qui frappe l'observateur. La tenue en son sein des "Jeux mondiaux athlétiques", autrement dit des deuxièmes Jeux Olympiques, n'y est pour rien car ceux-ci, encore dotés d'une très faible légitimité, passent inaperçus. Mais le monde qui s'expose à soi-même est bien un Occident sûr de lui et dominateur, essentiellement européen, communiant par-delà les frontières dans le culte du Progrès. Celui-ci s'exemplifie chaque jour, et encore plus chaque nuit, dans l'usage, volontiers magique, qui est fait de l'électricité. Il inspire les théories dominantes, jusques à celles qui président aux rétrospectives artistiques, décennales ou centennales. D'un bout à l'autre de l'année, hommes politiques, journalistes, artistes, chantant presque sans fausse note la louange du siècle finissant, extrapoleront leur optimisme sur son successeur, apparemment insensibles à la contradiction entre l'extension continue de la prospérité et de la paix et l'exaltation, à son maximum, des fiertés nationales.

Les déchirantes révisions à venir n'ont pas complètement retiré à cet espace/temps privilégié l'aura dont la mise en scène "expositionnaire" avait réussi à l'entourer. Bien au contraire, les cataclysmes ultérieurs ont contribué à l'idéalisation d'une "Belle Époque" au cœur de laquelle continuera de trôner une "Ville Lumière" (formule héritée d'une exposition antérieure, celle de 1867) à laquelle elle lègue, outre les deux Palais de l'actuelle avenue Winston-Churchill, les deux gares d'Orsay et des Invalides et la première ligne de métro, enfin ouverte, après un demi-siècle d'atermoiements, sous la pression de l'événement, si grande était la crainte d'une asphyxie des voies de communication terrestres. Assurément, ce n'est pas une ville d'avant-garde qui s'offre ainsi au regard et au commentaire : le "style 1900", académique et colossal, ne se confond aucunement avec l'Art nouveau, presque absent de l'Expo. Expression des masses et non d'une mince phalange d'esthètes, le Paris de ce temps-là, tel qu'il revit aujourd'hui encore au travers moins de ses œuvres que de ses mythes, véhiculés après coup par ses enfants (Paul Morand, Jean Renoir, René Clair,...), nous parle moins de la Raison et du Progrès que de la Bonhomie et de la Joie de vivre.

Pascal Ory
professeur à la Sorbonne (Paris I)
membre du Haut Comité des célébrations nationales

Les « grands travaux »

La gare d'Orsay

La gare d'Orsay a été construite par la Compagnie d'Orléans, qui désirait augmenter sa clientèle en s'implantant au cœur même de Paris. Les ruines du palais d'Orsay, siège de la Cour des comptes et du Conseil d'État incendié par les Communards, offraient le terrain. Devant l'opposition du public à la construction d'un bâtiment industriel dans le Paris historique, la compagnie ouvre un concours pour le dessin des façades, dont sort vainqueur l'architecte Victor Laloux (cf. page 151) L'opération, qui comprend la réalisation d'un hôtel de voyageurs, est menée à terme en juillet 1900. La même année, l'exposition universelle favorise aussi la construction de grands hôtels sur les Champs-Élysées, et de la nouvelle gare de Lyon. En 1939, le terminus des grandes lignes est ramené à la gare d'Austerlitz. Pourtant, malgré plusieurs projets, la gare d'Orsay n'est pas détruite. En 1973, la décision est prise d'y implanter un musée consacré à l'art du XIXe siècle.

Le Grand Palais et le Petit Palais

Résultat de deux concours d'architecture et de larges débats relayés par la presse, les deux palais des Beaux-Arts représentent le complexe culturel le plus ambitieux que nous ait laissé la Troisième République. Le Grand Palais remplace le Palais de l'Industrie avec pour but d'accueillir, dans les meilleures conditions possibles, aussi bien le Salon de l'Auto ou le Concours hippique que des expositions artistiques, ces dernières constituant sa principale vocation. Le Petit Palais donne à la ville de Paris son premier grand musée consacré à l'art. Charles Girault est le seul auteur de cet édifice et le coauteur, avec Henri Deglane, Albert Louvet et Albert Thomas, du Grand Palais. On doit notamment à Girault la légèreté des colonnades, établies sur un soubassement réduit, et l'idée des grandes portes d'angle du Grand Palais, surmontées des quadriges de Georges Récipon. L'architecture tient compte de la localisation dans un jardin et de la nécessité de s'harmoniser avec les bâtiments de la place de la Concorde et de l'hôtel des Invalides.

Le pont Alexandre III

Le pont Alexandre III est le point d'orgue d'un ensemble urbain monumental qui relie les Champs-Élysées à l'esplanade des Invalides. L'idée de cet ensemble, qui comprend le percement d'une grande avenue et la construction des palais des Beaux-Arts (Grand et Petit Palais), revient à Alfred Picard, qui veut en faire le clou de l'Exposition de 1900, dont il est commissaire général. Les grandes lignes du pont sont mises au point en particulier par Eugène Hénard, urbaniste visionnaire. Un unique et immense arc métallique, surbaissé au maximum, est calé visuellement par quatre piliers monumentaux qui permettent aussi de jalonner la perspective de l'avenue vers le dôme des Invalides. La réalisation technique est confiée aux ingénieurs Jean Résal et Amédée Alby, le décor aux architectes Joseph Cassien-Bernard et Gaston Cousin, qui s'entourent de sculpteurs réputés comme Jules Dalou, Emmanuel Frémiet ou Georges Récipon.

Ouverture de la première ligne de métro

En projet depuis près d'un demi-siècle, le réseau ferré métropolitain voit enfin le jour le 19 juillet 1900 avec l'ouverture de la première ligne entre la porte de Vincennes et la porte Maillot. La commodité des percements d'Haussmann, l'établissement de tramways, électrifiés depuis 1880, et aussi la concurrence entre les compagnies de chemin de fer et la ville de Paris, sont les causes de ce retard. D'ailleurs, les Parisiens, qui craignent les séjours forcés en sous-sol, n'ont été convaincus que par l'insuffisance des omnibus, la gêne esthétique des tramways et le danger de leurs rails pour les cyclistes. La perspective de déplacer les foules de l'exposition universelle provoque la décision en faveur de la ville, le 9 juillet 1897. La Compagnie du chemin de fer du métropolitain obtient la concession. Le projet, achevé en 1910 avec soixante-trois kilomètres de lignes, a été dressé par l'ingénieur Fulgence Bienvenüe. Si l'esthétique des stations souterraines reste l'œuvre de l'ingénieur, la partie extérieure des accès est confiée à Hector Guimard et le réseau aérien à l'architecte Jean-Camille Formigé.

Source: Commemorations Collection 2000

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