Page d'histoire : Jehan Alain Saint-Germain-en-Laye (Yvelines), 3 février 1911 – Saumur (Maine-et-Loire), 20 juin 1940

Jehan Alain en 1938

« La musique est la fidèle traductrice des impressions inexprimables et subtiles. Expression de toutes les impressions d’un instant prises globalement ». Jehan Alain est un passeur de l’inexprimable, un artiste sachant traduire à merveille tour à tour la joie fulgurante et l’enthousiasme de la jeunesse : « Quel feu, quelle soif de vivre medévorent ! À moi la vie ardente et tout ce qu’elle comporte de souffrance et de joie farouche ! » mais aussi la douleur, l’angoisse ou même la détresse comme dans l’exergue des Litanies : « quand l’âme chrétienne ne trouve plus de mots nouveaux dans sa détresse pour implorer la miséricorde divine ». Si son mode d’expression premier est la musique, sa correspondance et ses dessins sont d’un intérêt équivalent.

Fils d’Albert Alain, organiste de Saint-Germain-en-Laye, compositeur de quelques-unes des plus belles œuvres religieuses du premier XXe siècle, Jehan eut le bonheur de jouer dès l’enfance le merveilleux instrument construit par son père dans le salon de la maison familiale. Cet orgue aux sonorités rares et à la mécanique subtile présida au destin des quatre enfants Alain, Jehan, Marie-Odile, Olivier et Marie-Claire : tous furent organistes et musiciens accomplis. Jehan, l’aîné, à l’école de son père puis au Conservatoire de Paris, apprit les règles canoniques sans jamais perdre son originalité ni ce formidable jaillissement créatif qui lui permit de composer 143 pièces en l’espace de dix ans, une œuvre où la rigueur formelle s’efface derrière le charme de la mélodie, l’originalité du rythme et du langage harmonique.

Pianiste virtuose, Jehan Alain compose des esquisses aux titres farfelus : Mélodie-Sandwich, En dévissant mes chaussettes, des études de sonorité : Tarass Boulba, Dans le souvenir de la Ballade des pendus de Villon. Quelques pièces pour cordes et vents côtoient des œuvres vocales profanes ou sacrées, au sein desquelles se détache l’admirable Messe modale. L’œuvre d’orgue enfin, la plus jouée grâce à sa sœur Marie-Claire Alain, offre de grands chefs-d’œuvre : méditations mystiques comme le Jardin suspendu ou le Postlude sur l’office de Complies, inspiration de la musique ancienne dans les Variations sur un thème de Clément Jannequin, violence et liberté des deux Fantaisies, plénitude formelle de la Suite primée par les Amis de l’Orgue en 1936, rêve et poésie dans l’Intermezzo et l’Aria, incantation haletante des Litanies. Mais c’est la danse qui domine dans le triptyque conçu à l’origine pour orchestre, les Trois Danses, composées de Joies, avec un swing emprunté au jazz ; puis Deuils, sous-titrée Danse funèbre pour honorer une mémoire héroïque, une sarabande car « il n’y a pas de contradiction entre la danse et la douleur. La danse […] peut traduire dans sa sublimité ce qu’un mot ne pourrait dire sans brutalité » et Luttes qui illustre sa propre vie et son sacrifice ultime, le 20 juin 1940, face à l’ennemi.

La musique de Jehan Alain ne se démode pas parce qu’elle traduit l’absolue sincérité de celui qui disait : « Si vous aimez ma musique, si elle vous parle, que vous pensiez identiquement, c’est mon rêve qui se réalise. »

Aurélie Decourt
docteur en musicologie

Source: Commemorations Collection 2011

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