Page d'histoire : Premier concert populaire organisé par Jules Pasdeloup 27 octobre 1861

John Singer Sargent, Rehearsal of the Pasdeloup Orchestra at the Cirque d’Hiver, vers 1879-1880

Le 27 octobre 1861, quatre mille spectateurs se retrouvèrent au cirque Napoléon (actuel cirque d’Hiver) pour écouter le premier « concert populaire » sous la direction de Jules Pasdeloup. Cet événement marque un tournant dans le rapport à la musique, dont l’orchestre Pasdeloup perpétue encore la tradition.

C’est en effet ce jour-là que la musique symphonique cesse de s’adresser à un public choisi pour s’ouvrir à tous. Jules Pasdeloup avait mûri cet infléchissement depuis 1851, avec la création de la Société des jeunes artistes, pendant de la Société des concerts du conservatoire. Mais ces phalanges demeurent cantonnées aux concerts spirituels ou mondains, dans des espaces ne permettant pas au grand public de s’y retrouver. Et si Jules Pasdeloup s’attache déjà à programmer les grands compositeurs du répertoire symphonique contemporain, la Société des concerts en reste à « Gloire aux morts, mort aux vivants : Nul n’aura de talent, hormis les trépassés ».

Le saut qualitatif du 27 octobre 1861, c’est l’ouverture à tous, la programmation du meilleur pour les masses. Berlioz commente cette prouesse : « Monsieur Pasdeloup vient d’avoir une idée hardie dont le succès peu vraisemblable a dépassé toutes ses espérances. Il a voulu savoir quel serait l’effet produit par les œuvres des maîtres sur un auditoire à peu près inculte comme celui qui fréquente les théâtres des boulevards. […] Et l’on ne saurait, avant d’en avoir été le témoin, se faire une idée du bonheur avec lequel ces quatre ou cinq mille auditeurs écoutent des ouvertures, des symphonies […]. Le silence est religieux et profond sur ces nombreux gradins circulaires occupés jusqu’au dernier. Un vaste murmure rapidement comprimé s’y élève seul parfois quand l’émotion musicale devient trop intense dans certains passages. »

Désormais, toutes les couches sociales peuvent se retrouver dans un même lieu, pour partager de la même manière des émotions musicales selon les mêmes codes d’expression (silence, applaudissements, forme du concert…).

Jules Pasdeloup fut véritablement précurseur d’une lignée qui perdure. Ses violonistes, Édouard Colonne et Charles Lamoureux l’imitèrent en formant respectivement le Concert national et l’Harmonie sacrée dès 1873. Des concerts populaires se créent un peu partout, en province et à l’étranger. Le public plébiscite cette forme abordable d’accès à la culture musicale.

La politique des concerts populaires a un coût. Jules Pasdeloup programme courageusement des compositeurs de tous horizons, y compris allemands, en particulier Wagner. À cet égard « Monsieur Colonne, qui est certainement meilleur homme d’affaires que Monsieur Pasdeloup et qui, d’autre part, a imité les Concerts Populaires sans en prendre les risques -puisqu’il ne joue que les compositeurs nationaux, afin de n’avoir pas d’ennuis » s’écarte quelque peu de la philosophie de son modèle.

Pasdeloup doit donc s’appuyer sur des subventions, qu’il obtiendra du ministre de l’Instruction publique Agénor Bardoux en 1878, et sur le mécénat. On voit par là à quel point la situation inaugurée il y a 150 ans a servi de modèle pour toute une tradition orchestrale symphonique qui subsiste encore.

 

Marianne Rivière
présidente des Concerts Pasdeloup

Source: Commemorations Collection 2011

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