Page d'histoire : Jacques Ibert Paris, 15 août 1890 - Paris, 5 février 1962

Un esprit indépendant et les hasards de l’histoire ont voulu qu’il n’appartienne pas au fameux Groupe des Six, constitué de ses amis. Jacques Ibert figure néanmoins parmi les principaux musiciens de sa génération auprès d’Honegger, Milhaud ou Poulenc. Moins avant-gardiste en apparence, c’est un compositeur libre qui s’autorise toutes les ressources de la palette moderne ; mais surtout, il apporte à la musique de son temps des qualités uniques et personnelles : un sens de la forme merveilleusement maîtrisé, presque classique ; un instinct de fantaisie qui le place parmi les héritiers d’Offenbach ; une force rythmique cousine de Roussel et Martinu, un style orchestral éblouissant qui a valu à sa musique d’entrer très tôt au grand répertoire – quand les grands orchestres européens et américains inscrivaient à leurs programmes les rêveuses Escales (1922) et le pétillant Divertissement (1930), sans parler du toujours célèbre Concerto pour flûte (1934).

Noble personnage, au visage finement découpé, Jacques Ibert a fait preuve, sa vie durant, d’une droiture assez exceptionnelle pour être soulignée. D’abord en optant pour la carrière musicale avec fermeté, contre la volonté paternelle, puis en étudiant au Conservatoire avec une obstination, un sérieux qui lui ont permis d’acquérir un métier couronné par le Grand prix de Rome. Ensuite en s’affirmant comme compositeur sans jamais se laisser enfermer dans une case : capable d’écrire aussi bien des œuvres graves comme son Chant de Folie (créé à Boston par Koussevitzky), que des opéras-comiques ou des partitions de musique pure. Nommé directeur de la Villa Médicis en 1937, Ibert sera également un homme public courageux, déterminé à poursuivre la guerre en 1940, relevé de ses fonctions par le régime de Vichy avant de retrouver une stature officielle à la Libération (de retour à la Villa Médicis, il entrera également à l’Académie des Beaux-Arts).

Le legs musical de Jacques Ibert est frappant par sa constante qualité. Un premier pan est constitué par les partitions de théâtre comme Angélique (1926), chef-d’œuvre de l’opéra-bouffe moderne (la millième représentation eut lieu dès 1948 à Buenos Aires) ; mais aussi Le Roi d’Yvetot (1928), Le Chevalier errant (1935), et deux ouvrages composés avec Honegger : L’Aiglon (1937) et Les Petites Cardinal (1938). Il faut mentionner aussi plus de soixante partitions de cinéma, dont celles d’Invitation to the dance de Gene Kelly, ou encore les fameuses Chansons de Don Quichotte interprétées à l’écran par Chaliapine. La musique instrumentale constitue l’autre pan de cette production, avec des partitions que les orchestres gagneraient à jouer plus souvent : Féerique (1924), le Concerto pour violoncelle et instruments à vents (1925), l’Ouverture pour un jour de fête ou la Symphonie concertante pour hautbois (1949). Dans un format plus réduit, le Quatuor à cordes (1942) est merveilleusement ciselé et Le Petit åne blanc (1922) reste un “tube” dans les conservatoires. Il est urgent de redécouvrir celui qu’Henri Dutilleux désignait, en 1945, comme le « chef incontesté » de l’école française contemporaine.

Benoit Duteurtre
écrivain producteur à France-Musique

Source: Commemorations Collection 2012

Personnes :

Duteurtre, Benoît

Thèmes :

Musique

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