Page d'histoire : Naissance de la Pléiade 1556

Dans l’histoire littéraire française, la Pléiade apparaît comme une avant-garde révolutionnaire, décidée à rompre délibérément avec le passé, c’est-à-dire la tradition nationale. Si l’exceptionnelle floraison poétique du milieu du XVIe siècle est indéniable, des spécialistes érudits ont mis en doute l’existence des « sept étoiles » de la Pléiade travaillant selon un plan concerté à la renaissance de la poésie française. Qu’en est-il au juste ?

Au départ, des amis d’études qui ont suivi au collège de Coqueret, sur la montagne Sainte-Geneviève, les leçons de son principal, l’humaniste Jean Dorat, se constituent en 1549 en Brigade sous la houlette de Ronsard. Celui-ci, dans les Bacchanales ou le Folatrisse voyage d’Hercueil, décrit les ébats champêtres de la docte et joyeuse troupe. En 1553, il célébrera encore la Brigade et ses multiples visages.

Dorat, en expliquant à ses disciples la littérature antique, leur donna aussi la révélation de la poésie. Parmi eux figure le trio de Coqueret, noyau inamovible composé de Pierre de Ronsard, Jean-Antoine de Baïf, Joachim du Bellay, auxquels s’ajoutent deux étudiants du collège de Boncourt, Étienne Jodelle et Jean Bastien de la Péruse ainsi que deux poètes lyonnais, Guillaume des Autels et Pontus de Tyard. La liste imaginée par Ronsard fut plusieurs fois remaniée. En 1556, à la mort de la Péruse, Rémy Belleau prend sa place, puis paraissent Jacques Peletier et Dorat (invité par fidélité au maître, car l’éminent philologue fut en fait un médiocre poète).

C’est en 1556 que Ronsard, apparemment hanté par le chiffre sept, donnera à la Brigade le nom plus prestigieux de Pléiade dans l’Élégie à Chrestophe de Choiseul. Ce nom avait désigné un ensemble de sept poètes d’Alexandrie au IIIe siècle av. J.-C.  Mais il évoquait aussi les Pléiades, filles d’Atlas, qui, selon la mythologie grecque, avaient été, après bien des tribulations, transformées en sept étoiles de la constellation du Taureau. L’histoire et le mythe, qui promettait l’immortalité, conféraient ainsi au groupe ses lettres de noblesse.

Si Ronsard s’imposa aussitôt comme un chef incontesté, si c’est lui qui apporta des modifications à la liste des « étoiles », il faut rejeter comme tout à fait fausses l’idée d’une école organisée autour de lui et celle d’une réunion de poètes collaborant à l’exécution d’un programme commun au nom d’un même idéal littéraire. Les meilleurs spécialistes, Henri Chamard, Raymond Lebègue et l’Italien Enea Balmas l’ont bien montré.

Sans chercher à réaliser un plan concerté, nos poètes partageaient mêmes admirations et mêmes détestations. Leurs principes communs furent élaborés en doctrine par Joachim du Bellay, sur un ton véhément et passionné, dans La Défense et illustration de la langue françoise, premier manifeste littéraire moderne (1549). L’auteur veut défendre le français en tant que langue littéraire, le rendre aussi illustre que le grec et le latin, dépassant même l’italien. Écrit polémique et plaidoyer patriotique, La Défense annonçait à grand fracas une poésie nouvelle, un nouveau langage, de nouveaux genres. Une multitude d’arts poétiques suivit, reflétant fidèlement les théories des poètes de la Pléiade.

Ceux-ci avec une ardeur révolutionnaire, affichent – injustement – un profond mépris pour leurs devanciers, les « Rhétoriqueurs », Marot, et pour les genres médiévaux, ces « vieilles poésies comme rondeaux, ballades, virelais, chants royaux et autres telles épiceries ». La poésie, selon eux, est issue de la divinité. Traduction de sa parole et de sa création, elle est d’abord inspiration, « fureur divine ». Cette conception est en effet profondément liée à la diffusion de la pensée néo-platonicienne en France. Elle confère la gloire au poète, l’immortalité à celui qu’il chante.

Mais la poésie requiert un travail acharné. L’art confirme le don des Muses. La lecture des Anciens est primordiale. Les lettrés médiévaux ne les étudiaient pas pour eux-mêmes et cherchaient à y découvrir les éléments d’un savoir compatible avec le christianisme. La Pléiade, au contraire, comme, plus largement, l’humanisme, va découvrir les Grecs et restituer aux textes latins et italiens leur autonomie et leur spécificité. Et le respect admiratif des Anciens ne décourage pas les modernes de rivaliser avec eux. La poésie nouvelle s’appuie sur l’imitation, non pas servile, mais créatrice, des modèles anciens et italiens (Pétrarque notamment). Traduction et imitation permettront de façonner un langage plus riche et plus expressif et un style poétique original.

Champions arrogants d’une esthétique nouvelle, les poètes de la « Pléiade », instruits des vérités ignorées du vulgaire, donc incompris de lui, ont traité les grands thèmes lyriques, le temps et l’histoire, la nature, l’amour et la mort, et n’ont négligé ni la poésie satirique ni la poésie scientifique. Ils ont repris à leur manière les cinq grands genres antiques pratiqués par Marot (épigramme, satire, épître, églogue, élégie), introduit des genres nouveaux en voulant instaurer sur la scène française le théâtre à l’antique (la tragédie et la comédie) et tenter de créer une épopée moderne en puisant des sujets dans la tradition nationale.

Groupe fictif, imaginaire, la « Pléiade » ne fut peut-être que la rencontre occasionnelle de quelques astres locaux. Mais sa lumière a brillé au loin et elle devait entraîner à sa suite la troupe nombreuse de ceux qui travaillèrent à renouveler la poésie française.

 

Madeleine Lazard
professeur émérite à Paris III-Sorbonne nouvelle

Source: Commemorations Collection 2006

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