Page d'histoire : Promulgation de l'édit de Clotaire II 614

Clotaire II, Dagobert et saint Arnoul
Manuscrit Les Grandes Chroniques de France, XIVe ou XVe siècle
© Bibliothèque nationale de France

En 614, le roi Clotaire II promulgue un célèbre édit qui clôt l’assemblée générale des leudes, convoquée en même temps qu’un concile des évêques de tout le royaume. Après quarante années de guerres civiles, le jeune roi de Neustrie, fils de Chilpéric Ier et Frédégonde, a vaincu l’année précédente la vieille reine Brunehaut, qu’il a fait supplicier, et ses arrière-petits-fils qu’il a fait mettre à mort. Désormais seul roi d’un royaume réunifié, il doit rétablir l’ordre et le consensus, fondements de l’autorité royale. Les actes du concile et l’édit royal constituent un remarquable témoignage de ce qu’il convient de considérer comme une « seconde fondation du royaume mérovingien ».

Parmi les décisions de l’édit figure une mesure qui interdit de chercher à épouser, ou à enlever une jeune fille ou une veuve vouée à Dieu, qu’elle réside dans sa propre maison ou dans un monastère, sous peine de mort. Si la femme était consentante et que le couple s’est réfugié dans une église, ils seront condamnés à l’exil. Cet article précise en fait une mesure prise en 595 dans un édit du roi Childebert II : on y réaffirmait l’interdiction du rapt des jeunes filles et des veuves, mais le ravisseur était passible de mort. Si la femme a consenti au rapt et qu’ils se sont réfugiés dans une église, ils seront bannis et privés de leurs biens. S’ils ont été pris hors d’une église, ils seront mis à mort, leurs biens reviendront à leurs parents, après taxation par le fisc. Par ailleurs, dans un autre édit, Clotaire II interdit d’épouser une jeune fille ou une veuve sans son consentement, ou de l’enlever.

Cette législation n’ouvre pas la voie à une « libération des femmes » parfaitement anachronique à l’époque mérovingienne. La question posée est celle du mariage par rapt, qui affaiblit l’autorité familiale et qui sape l’ordre social. La loi salique interdisait le rapt, comme le droit romain post-constantinien et les autres lois barbares, mais elle laissait ouverte la question du mariage subséquent auquel les familles consentaient souvent pour étouffer l’affaire, que la femme ait été ou non consentante. Or la christianisation multipliait le nombre de femmes qui se vouaient à Dieu, chez elles ou en entrant au monastère. Placées ainsi hors du marché matrimonial, de leur propre volonté ou par leurs familles, elles étaient des cibles toutes trouvées pour des ravisseurs en quête d’une épouse qu’ils ne pouvaient obtenir par la négociation. Le roi légifère donc, à la demande des grands et des évêques, comme protecteur des faibles et garant de l’ordre social, pour protéger et contrôler les femmes, et plus spécifiquement les religieuses, en durcissant les peines pour les ravisseurs et leurs victimes consentantes. Pour cela, le législateur reprend des éléments du droit romain. Cependant, ces mesures n’étaient qu’une option offerte aux familles, qui refusaient de consentir au mariage de leurs filles après un rapt. Plutôt que se venger elles-mêmes, elles avaient ainsi la possibilité de recourir à la justice royale pour faire valoir leur droit. Les autres continuaient à dissimuler le rapt et à accepter le mariage. Quant au consentement de la femme, condition de la validité religieuse du mariage chrétien, il se résumait en une acceptation passive, mais publique, résumée par le proverbe : « qui ne dit mot consent ».

Régine Le Jan
professeure d’histoire médiévale
université Paris I – Panthéon-Sorbonne

 

Source: Commemorations Collection 2014

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