Page d'histoire : André Le Nôtre Paris, 12 mars 1613 - Paris, 15 septembre 1700

André Le Nôtre, dessinateur de jardins, naît à Paris le 12 mars 1613, de Jean Le Nôtre, jardinier du roi aux Tuileries, et Marie Jacquelin, issue d’une famille de jardiniers. Il appartient à une élite professionnelle : Pierre Le Nôtre, son grand-père, a fait partie de ceux qui ont créé le jardin des Tuileries pour Catherine de Médicis, en 1572, avant de mettre ce jardin au goût du jour pour Henri IV, aux côtés de Claude Ier Mollet, à partir de 1594. Son père et son grand-père ont été témoins des transformations que Mollet a introduites dans les parterres : composition en grands compartiments contrastant avec les structures en damier antérieures ; emploi de motifs ornementaux en forme d’entrelacs, ou “ broderies ” ; introduction progressive du buis nain, au feuillage persistant.

Vers 1633-1634, Le Nôtre aurait fréquenté l’atelier de Simon Vouet pour se perfectionner dans l’art du dessin. Monsieur, frère de Louis XIII, fait de lui son premier jardinier (1635) ; si Le Nôtre a travaillé avec François Mansart, c’est peut-être en cette qualité. En 1637, Le Nôtre reçoit la survivance de la charge de jardinier du roi aux Tuileries, qu’il conservera jusqu’à sa mort ; puis il épouse Françoise Langlois (1640), et succède à son père dans la charge de dessinateur des plants et parterres des jardins du roi (1643).

On a quelques indices sur l’activité de Le Nôtre avant le chantier de Vaux et le gouvernement personnel de Louis XIV : il travaille pour le roi (parterre de l’orangerie de Fontainebleau, 1645-1646), de grands personnages de la Cour (Thouars, v. 1649-1654) et des financiers (Morsang-sur-Orge, v. 1652). À Vaux, où il entre au service d’un surintendant des finances ambitieux et prodigue (v. 1652-1653), Le Nôtre dispose d’une page blanche, ou peu s’en faut. Il peut ainsi concevoir un plan d’ensemble harmonieux auquel tout est subordonné, depuis les différents jeux de plantations jusqu’aux perspectives, en passant par une spectaculaire panoplie d’effets d’eau. Le Nôtre commence vers cette époque à se constituer une collection de tableaux, de statuettes de bronze, de porcelaines et de médailles modernes que les amateurs viennent visiter ; en 1657, il acquiert l’office de contrôleur général ancien des bâtiments du roi.

À partir de 1661, Louis XIV lance plusieurs chantiers, dont certains dureront des décennies. Secondé par des collaborateurs, comme son neveu Pierre II Desgots (Chantilly, les Tuileries, Versailles), Le Nôtre est appelé sur de très nombreux sites (Fontainebleau, 1660-1664, puis 1684-1685 ; Chantilly, 1662-1684 ; Saint-Germain, 1663-1672, et le jardin du Val, v. 1675 ; Versailles, 1663-1693 ; les Tuileries et l’avenue des Champs-Élysées, 1665-1672 ; l’hôtel de Guise à Paris, 1666-1667 ; l’hôtel de Louvois à Saint-Germain, 1669 ; Clagny, 1670-1678 ; Sceaux, 1670-1683 ; Saint-Maur, v. 1672-1676 ; le Palais Royal, 1673-1675 ; Louvois, v. 1678-1680 ; Issy, v. 1681-1686…). Le Nôtre travaille, ou donne des projets pour Saint-Cloud, fin des années 1670 ; Feuquières, 1679-1680 et 1688 ; Choisy, 1680 ; Meudon, Roissy, années 1680 ; Ancy-le-Franc, 1684 ; La Croix-en-Brie, 1685 ; Marly, v. 1685-1693 ; Saint-Martin-de- Pontoise, v. 1685-1696 ; Trianon et Saint-Cyr, 1687 ; les Rochers, 1687-1689 ; Anet, v. 1688 ; La Caucherie, fin des années 1680 ; Gaillon, v. 1691 ; l’hôtel de Saint-Aignan à Paris, 1691 ; le petit jardin à fleurs du Palais Royal, 1693 ; etc. À l’étranger, il envoie des plans pour Greenwich, v. 1662, Racconigi, v. 1670, Drottningholm, 1683…

Le Nôtre a la haute main sur l’aménagement des jardins, mais il n’est pas le seul à être consulté, notamment lorsqu’il s’agit d’ornements sculptés, de fontaines et de cascades destinés aux jardins du roi. François Le Vau conteste son projet pour la grande allée de Versailles (1663), tandis que Colbert critique son parti pour la terrasse de Saint-Germain, et sollicite également Charles Le Brun pour la grande cascade de Sceaux (1677) ; à Versailles, le bosquet de la Colonnade de Jules Hardouin-Mansart vient remplacer celui des Sources, créé par Le Nôtre.

En 1679, Le Nôtre séjourne neuf mois en Italie, “ non pas tant pour sa curiosité, que pour rechercher avec soin s’il trouvera quelque chose d’assez beau pour mériter d’estre imité dans les maisons royales ”. Cet éloignement a pu être l’un des facteurs d’une perte d’influence progressive. D’anciennes biographies de Le Nôtre et d’Hardouin-Mansart se font certainement l’écho de leur rivalité lorsqu’elles revendiquent, chacune pour son clan, une forme d’antériorité en matière d’art des jardins : si Hardouin-Mansart a fait ses armes sous Le Nôtre, ce dernier ne devait-il pas les siennes à Mansart ? Tandis qu’Hardouin-Mansart est nommé premier architecte du roi (1681), Le Nôtre n’obtient jamais le titre de premier jardinier, ou de premier dessinateur des jardins du roi ; cependant anobli la même année, juste avant qu'Hardouin-Mansart le soit à son tour.

Louvois, qui succède à Colbert en 1683, s’en serait davantage remis au premier architecte. À Trianon, où les deux hommes sont consultés, le roi ne retient pas toutes les propositions de Le Nôtre. Ne trouvant pas “ que le plus grand roi du monde sçut l’art des jardins aussi parfaitement que lui ”, Le Nôtre obtient de Louis XIV la permission de quitter son service (1693). Il n’en continue pas moins de fournir des projets (Pontchartrain, 1693-1695, Charlottenbourg, v. 1696-1697, la Venaria Reale, 1697-1698, Windsor, 1698), jusqu’à sa mort aux Tuileries, le 15 septembre 1700.

Au cours du XVIIe siècle, les dimensions des jardins se sont considérablement accrues, induisant peut-être un effort d’unification au moyen des vastes perspectives que le nom de Le Nôtre évoque immédiatement, même s’il n’en est pas l’inventeur. Traitée en fontaines, en cascades, en pièces d’eau ou en canaux, l’eau est devenue dans le même temps un élément de composition majeur. Avec Le Nôtre, l’invention du créateur de jardins ne porte plus seulement sur les plantations, les parterres et les bosquets ; elle s’attache aussi aux effets d’eau, au modelé du terrain, au plan d’ensemble et aux vues.

Le Nôtre a servi en Louis XIV un commanditaire ambitieux dont la passion pour les jardins, partagée, ou imitée par ses contemporains, a favorisé sa carrière artistique et nourri sa fortune critique. Quel que soit le jugement qu’ils portèrent sur son œuvre, ses contemporains et la postérité furent unanimes à reconnaître en lui le créateur d’un nouveau style en matière d’art des jardins, un art auquel Le Nôtre donna ses lettres de noblesse et un début d’autonomie.

Aurélia Rostaing
docteur en histoire de l’art

Voir Célébrations nationales 2000  ; 2006  et 2011

Source: Commemorations Collection 2013

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