Page d'histoire : La deffence, et illustration de la langue françoyse 1549

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des Archives nationales

En 1549, un groupe de jeunes poètes, mené par Pierre Ronsard et issu du collège de Coqueret, décide de défendre la langue française. L'essentiel des règles prônées paraît en 1549 dans un petit livre polémique intitulé La Deffence, et illustration de la langue françoyse. L'ouvrage est signé de quatre initiales, JDBA, soit Joachim du Bellay.

L'opuscule paraît en réponse à l'Art poétique français de Thomas Sébillet, publié en 1548. Sébillet demande que l'on rompe avec les genres littéraires médiévaux pour revenir à ceux de l'Antiquité, mais désigne comme modèles les modernes, Marot, Saint-Gelais, Héroet, Scève. Du Bellay et son groupe se veulent, quant à eux, des poètes iconoclastes et inventeurs. Ils voient dans le français une langue en devenir, pour laquelle il faut inventer de nouveaux genres littéraires sans accepter aucun modèle.

L'argument de la Deffence est que toutes les langues sont le fruit du travail des hommes. Si certaines se développent plus que d'autres, c'est parce qu'elles sont mieux cultivées. Pour favoriser l'épanouissement de la langue française, la première tâche des auteurs est donc de composer leurs œuvres en français plutôt qu'en latin. Mais le français doit aussi être enrichi grâce au contact avec d'autres langues. L'emprunt de mots techniques, l'invention de néologismes créés à partir du latin et du grec constituent une entreprise urgente.

Du Bellay propose des méthodes variées d'accroissement de la langue : l'élaboration de substantifs à partir d'infinitifs et d'adjectifs, mais aussi le recours à des procédés rhétoriques, l'usage des métaphores, des périphrases ou des hyperboles.

Il condamne la traduction et prône l'imitation, c'est-à-dire une forme d'inspiration dégagée de toute servitude : "C'est que sans l'imitation des Grecs et des Romains, nous ne pouvons donner à notre langue l'excellence et la lumière des autres plus fameuses". D'accord en cela avec Sébillet, l'auteur de la Deffence affirme donc que les poètes doivent abandonner les genres médiévaux nationaux pour adopter les genres anciens : "Lis donc et relis premièrement, ô poète futur, feuillette de main nocturne et journelle les exemplaires grecs et latins ; puis me laisse toutes ces vieilles poésies françaises aux Jeux floraux de Toulouse et au Puy de Rouen : comme rondeaux, chansons et autres telles épiceries, qui corrompent le goût de notre langue, et ne servent sinon à porter témoignage de notre ignorance." Du Bellay propose comme modèles antiques Martial, Ovide, Tibulle, Properce, Horace, Quintilien, Théocrite, Virgile, Catulle, Homère, etc., mais il préconise également l'imitation des grands auteurs italiens comme Pétrarque et met à la mode le sonnet italien, qui va connaître en France un très grand essor. Les thèmes de prédilection des poètes de la Pléiade sont l'amour, la fuite du temps, la grandeur de l'histoire, la fatalité de la mort, ou encore la beauté de la nature. Pour illustrer la Deffence, du Bellay publie la même année un recueil de poèmes intitulé l'Olive, tandis que, l'année suivante, Ronsard édite les quatre premiers livres de ses Odes, qui font de lui le plus en vue des nouveaux poètes. [...]

Les écrivains de la Pléiade et leurs émules se distinguent par une conception commune et neuve du statut du poète. Le texte même de la Deffence annonce cette vision nouvelle, où l'affirmation de l'éminente dignité de la poésie a pour corollaire l'exigence, chez le poète, d'une culture et d'une morale irréprochables. Le traité de du Bellay fonde ainsi une esthétique nouvelle, qui se combine avec une vision renouvelée du monde. Il est le manifeste d'une génération poétique.

Mémoire de la France, des origines à l'an 2000,
sous la direction de Nadeije Laneyrie-Dagen
© Larousse, 1996.
Texte publié avec l'aimable autorisation des éditions Larousse

Ce texte est disponible aux éditions Bordas (éd. Louis Terreaux, 1972) et Slatkine (1972, reprod. en fac-sim. de l'éd. de Paris, 1549).
G. CASTOR, La Poétique de la Pléiade. Étude sur la pensée et la terminologie du XVIe siècle, trad. de l'anglais Yvonne Bellenger, Paris, Honoré Champion, 1998, coll. "Bibliothèque littéraire de la Renaissance", n° 38.

Source: Commemorations Collection 1999

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