Page d'histoire : Nomination de François Boucher comme premier peintre du roi Août 1765

Le Déjeuner, huile sur toile de François Boucher, 1739, Paris, musée du Louvre.
© RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Daniel Arnaudet

Le 23 août 1765, en présence du surintendant des Bâtiments Abel- François de Marigny, le secrétaire de l’Académie royale de peinture et de sculpture, Claude-Nicolas Cochin, notifie aux artistes présents que le roi Louis XV « vient d’honorer M. Boucher, recteur, de la place de Premier peintre du roy ». « L’Académie, ainsi qu’il est d’usage, poursuit-il, a nommé une députation pour aller le complimenter sur cette dignité.

Le Premier peintre Carle Vanloo s’est éteint le 15 juillet ; dès le 16, le nom de François Boucher est envisagé pour cette « distinction qu’il mérite si bien par les plus rares talents ». Mais un mois passe avant la nomination officielle, dépensé en démarches pour aider la veuve de Carle Vanloo, que la mort de son mari met en difficulté. Elle reste finalement dans son logement de l’École royale des élèves protégés, Boucher renonçant à la direction de cette école au profit de l’un des neveux de Carle, Louis-Michel Vanloo. Ce renoncement généreux, qui ne surprend pas chez un artiste coutumier de ce genre de geste, rappelle aussi ses liens étroits avec la famille Vanloo. Carle était un ami de longue date car les deux étudiants s’étaient connus autour de 1720 dans l’entourage de Jean de Jullienne, ami de Watteau. Boucher avait certainement, grâce à Carle, fréquenté l’atelier de l’aîné des Vanloo, Jean-Baptiste. Puis les deux jeunes gens avaient pris ensemble la route de Rome au printemps de 1728. Travaillant côte à côte dans la Ville éternelle avant le départ de Carle pour Turin, ils s’étaient retrouvés sur les chantiers de Louis XV à Versailles et Fontainebleau. Carle revenu d’Italie avec sa jeune épouse, la cantatrice turinoise Christina Somis, fille d’un élève d’Arcangelo Corelli, faisait partie du cercle étroit du prince de Carignan, directeur de l’Académie royale de musique. Quelques mois après lui, Boucher à son tour épousait une jeune fille issue d’une famille de musiciens de la même Académie, qui chantait « comme un ange », si l’on en croit les diplomates étrangers venus l’écouter, et faisait peut-être partie du cercle de la cantatrice turinoise.

Ultime consécration, le titre de Premier peintre couronne ce 23 août 1765 la carrière brillante d’un artiste âgé de soixante et un ans, dont rien ne laissait présager une telle ascension. Issu d’un milieu modeste, François Boucher est un parisien du quartier de l’Hôtel de Ville, né le 29 septembre 1703 rue de la Verrerie, et qui ne quittera guère ce quartier de la rive droite de la Seine, même s’il voyage à deux reprises en Italie puis aux Pays-Bas. Son parrain et sa marraine sont issus, comme sa mère, Élisabeth Lemesle, de la bourgeoisie de robe, puisque l’un est un huissier aux requêtes du palais et l’autre la fille d’un procureur au Châtelet. Les premiers clients parisiens du jeune peintre revenant de Rome en 1731 seront aussi issus de cette bourgeoisie de robe. Quant au maître-peintre Nicolas Boucher, père de l’artiste, il perçoit probablement vite les dons de son fils, qui lui doit un métier techniquement irréprochable.

Boucher a grandi dans un pays en guerre où la Cour du vieux Louis XIV est figée sous une étiquette pesante. Avec la Régence, Paris devient le centre de la création littéraire et artistique et la place financière que l’on sait. Là viennent les artistes de la génération de 1700 qui vont créer et propager les formules du Rocaille. La personnalité du jeune Boucher, alliant une puissance créatrice sans frein à une difficulté à maîtriser le détail, y est atypique ; la chance de ce Parisien par rapport à ses condisciples a été un passage probable dans l’atelier du Vénitien Pellegrini sur le chantier de la Banque du Mississippi, à proximité immédiate de l’endroit où il a grandi. Ainsi peuvent s’expliquer, dans ses toutes premières oeuvres, son inventivité tourbillonnante, le décentrement de ses compositions, la vibration de ses contours, la richesse de sa couleur, et le fait que ces oeuvres reparaissent sous des noms italiens aujourd’hui. Un passage chez Lemoyne qui ne parvient pas à le discipliner, des liens étroits avec l’entourage d’Antoine Watteau dont il grave les dessins « comme en s’amusant », la rencontre avec des professeurs de mérite comme Vleughels et de Troy, un premier prix de l’Académie remporté à vingt ans et, enfin, un séjour à Rome, dont il profite pour se rendre à Naples et Venise et passer par Florence et Bologne, parachèvent une éducation qui en dix ans l’a mené des bancs de l’école au titre de professeur de l’Académie royale de peinture et sculpture. Sa carrière officielle commence lorsque la reine lui demande en 1735 pour Versailles des sujets religieux toujours en place, et Louis XV des chasses exotiques. En même temps, pour le roi à Fontainebleau, il invente ses premières pastorales inspirées de la fable, du théâtre ou du roman, et situées dans des paysages idylliques.

Infatigable créateur, Boucher donne à son époque un décor complet car il fournit en même temps des cartons de tapisseries pour Beauvais et les Gobelins, crée fontaines, paravents, horloges et statues, peint de grands sujets d’histoire et de jolies scènes de genre, invente des chinoiseries, imagine pour la manufacture de Vincennes des modèles d’enfants en biscuit, fournit des décors au théâtre et à l’opéra, surveille étroitement la production de ses graveurs dans de toutes nouvelles techniques imitant le dessin, se lance pour madame de Pompadour dans des sujets religieux sereins et graves, et invente pour le frère de la favorite cette femme nue couchée sur le ventre dont le XIXe siècle, emboîtant le pas à Diderot, lui fera tant de reproches.

Comblé d’honneurs, l’homme qui succède à Carle Vanloo à cette place prestigieuse de Premier peintre est usé par l’importance des tâches qui lui ont été confiées et les charges qu’il occupe ; même s’il répond encore, dans les cinq dernières années de sa vie, aux sollicitations venues de toute l’Europe, il préfère, si l’on en croit les témoignages contemporains, consacrer les forces et le temps qui lui restent à enrichir sans relâche son exceptionnelle collection d’oeuvres d’art, passion de toute une vie.

Françoise Joulie
chargée de mission au département des arts graphiques,
musée du Louvre

Source: Commemorations Collection 2015

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