Page d'histoire : Arrivée en France de Léonard de Vinci 1516

Le Roi et Léonard, étude pour La Mort de Léonard de Vinci,
dessin au graphite sur papier de Jean Auguste Dominique Ingres,
1817, Montauban, musée Ingres (MI.867.1993 A – Legs Ingres, 1867).
© Montauban, musée Ingres / cliché Guy Roumagnac
 

Avec un sens affi rmé de l’anecdote édifi ante, l’artiste met en scène l’épisode fi ctif de la mort de Léonard de Vinci en présence du roi ainsi que les rapports d’estime et d’affection ayant réellement existé entre les deux hommes.

Août 1516. Rome, Saint-Paul-hors-les-Murs. Léonard de Vinci mesure les proportions de la basilique et l’admire pour la dernière fois. Il a alors accepté l’invitation de François Ier de s’installer à la cour de France. Le voyage est certes périlleux, qui plus est à soixante-quatre ans, mais quelle autre destinée suivre ?

Dans la Ville éternelle, le maître vient de perdre son mécène, Julien de Médicis, jeune frère du pape Léon X, qui l’avait emménagé depuis 1513 dans le palais du Belvédère au Vatican. Auprès de lui, Léonard avait pu poursuivre sa vie d’artiste de cour, lui offrant la liberté de continuer ses travaux scientifiques et artistiques, presque sans contrainte. Mais quel prince désormais pouvait souhaiter employer un homme âgé, entièrement occupé à achever ses recherches et n’assumant plus aucune nouvelle commande ?

À Rome, le pape et sa cour privilégient les plus jeunes et prolifiques génies de Michel-Ange et de Raphaël. Leurs fresques de la chapelle Sixtine et des Chambres du palais pontifical illustrent aux yeux de tous un nouveau chapitre de l’art de la Renaissance, dont Léonard fut certes l’initiateur mais auquel il ne participe plus. La Bataille d’Anghiari, une grande fresque dans le palais de la Seigneurie de Florence, semblait devoir être sa dernière grande entreprise. Commandée en 1503 mais laissée inachevée dès 1506, cette tumultueuse scène de bataille avait stupéfi é la scène artistique fl orentine, mais l’échec de sa réalisation paraissait avoir brisé l’élan créateur du peintre.

Le vainqueur de Marignan devait incarner l’ultime secours providentiel pour Léonard, le seul prince qui, après Ludovic le More, Louis XII et Julien de Médicis, comprendrait sa démarche et lui donnerait toute latitude pour parfaire son oeuvre. Il est possible que les deux hommes se soient rencontrés à Bologne, lors de l’entrevue du souverain avec le pape en décembre 1515 qui aboutit à la signature du concordat. Une lettre datée du 14 mars 1516 adressée par Guillaume Gouffi er, un proche conseiller de François, à l’ambassadeur de France à Rome, Antonio Maria Pallavicini, manifeste le vif désir du roi et de sa mère, Louise de Savoie, d’accueillir l’artiste.

Le jeune souverain souhaite alors ardemment constituer une cour éclatante et invite plusieurs grandes personnalités à rejoindre le royaume. Après Léonard, il sollicite à Florence Fra Bartolomeo et Andrea del Sarto, ce dernier séjournant en France entre 1518 et 1519. Suivront Rosso Fiorentino, Primatice et Benvenuto Cellini.

Léonard traverse les Alpes dans les derniers mois de 1516. Il est reçu comme l’un des plus importants personnages de la cour. François le loge dans une résidence royale, le château du Clos-Lucé, certes petit mais largement suffisant pour l’accueillir avec sa suite, notamment son fi dèle élève Francesco Melzi. Le souverain lui verse également une très généreuse pension de 2 000 livres par an, digne des plus grands serviteurs du royaume. En 1518, il donne encore la somme considérable de plus de 2 600 livres à Salaï, un autre cher élève de Vinci, pour acquérir probablement les peintures originales du maître qui souhaitait ainsi sans doute donner un héritage à son disciple. Cette extraordinaire acquisition marque de façon spectaculaire les débuts du « collection nisme » royal et explique comment le Louvre possède aujourd’hui la plus belle collection de ses oeuvres au monde.

Pour le souverain, on a pensé que Léonard avait dirigé certaines festivités de la cour et même qu’il conçut le plan d’un grandiose château à Romorantin, jamais édifié. Ces hypothèses demeurent malheureusement mal fondées et les dessins mis en rapport avec ces projets sont encore trop énigmatiques. François offre surtout à Léonard les conditions idéales pour continuer ses recherches et bien sûr organiser ses écrits. Il désirait en effet achever ses nombreux traités, notamment sur les thèmes de la peinture, de l’anatomie ou de l’hydraulique. Une entreprise hélas sans succès. Des dessins sur papier français démontrent aussi qu’il perfectionne la composition de ses tableaux, principalement sa Sainte Anne. En 1517, le cardinal d’Aragon rend visite à l’artiste et admire ses trois chefs-d’oeuvre, la Joconde, le Saint Jean Baptiste et la Sainte Anne qu’il juge « tous absolument parfaits ».

Benvenuto Cellini rappellera plus tard l’immense admiration de François Ier pour qui n’existait pas « d’autre homme qui fut né au monde qui en sache autant que Léonard, aussi bien en sculpture, peinture et architecture, d’autant qu’il était un grand philosophe ». Cet attachement inspira sans doute, dès le XVIe siècle, la belle mais fausse histoire de la mort de l’artiste entre les bras du souverain.

 

Vincent Delieuvin
conservateur du patrimoine
département des Peintures du musée du Louvre

 

Voir Célébrations naitonales 2002, p. 72 et 76

Source: Commemorations Collection 2016

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