Page d'histoire : Charles Joseph Natoire Nîmes, 3 mars 1700 - Castelgandolfo (Italie), 23 août 1777

Psyché chez les bergers (1737-1739).
Salon ovale de l'Hôtel de Soubise,
Paris, Archives nationales.
© Service photographique du CHAN

Natoire est l'un des derniers grands peintres français du XVIIIe siècle à qui n'ait pas encore été consacrée une monographie. Fils d'un obscur sculpteur d'origine lorraine, ses dons de dessinateur incitèrent son père à l'envoyer à Paris en 1717, où il devint l'élève de Galloche puis de Lemoyne. Sans avoir obtenu au préalable de prix de quartier, Natoire décrocha dès 1721 le Grand Prix (prix de Rome), ce qui lui valut d'être envoyé comme pensionnaire de l'Académie de France à Rome en 1723. Là bas, il dessina les antiques d'après nature à Tivoli, copia Pierre de Cortone, jusque là méprisé par les Français et qui aura une certaine influence sur lui, par exemple dans l'animation des draperies. Son succès se dessina dès cette époque, puisqu'il eut le privilège de peindre un grand tableau pour le cardinal de Polignac, ambassadeur auprès du Saint-Siège (Jésus chassant les marchands du temple, Paris, église Saint-Médard). Après être passé par Venise, Natoire rentra à Paris au début de 1729. En 1730, il fut agréé à l'Académie et se lança dans la première des grandes entreprises décoratives qui jalonnèrent sa carrière, au rebours de la plupart de ses contemporains : il commence quatre séries de tableaux, au total vingt-cinq toiles, pour le château de la Chapelle-Godefroy, qui appartenait au nouveau contrôleur général des finances, Philibert Orry. Outre les tableaux sur l'histoire des dieux, les Éléments, Télémaque, on citera la singulière série sur l'histoire de Clovis, au sujet si neuf (1735-1738) ; la plupart des toiles du cycle sont conservées au musée de Troyes.

Natoire fut reçu à l'Académie, où il fit belle carrière, à la fin de 1734. De 1737 à 1739, il décora le Salon ovale de l'hôtel de Soubise (Archives nationales), avec huit tableaux en écoinçon sur l'histoire de Psyché. Son style souple et mouvementé, dont le coloris vif et la grâce aimable s'appuient sur un dessin très ferme, y fait merveille. À la même époque, il donna une douzaine de cartons (la plupart conservés à Compiègne) pour une tenture destinée à Grimod du Fort, tissée à Beauvais (tenture au musée des tapisseries d'Aix). En 1740, il entreprit aussi une série de sept grands cartons pour les Gobelins, l'histoire de Marc Antoine, qu'il n'achèvera jamais (cartons à Arras et Nîmes). Mais son chef-d'œuvre dans la peinture décorative, disparu mais connu par la gravure, fut la chapelle de l'hospice des Enfants Trouvés, dans la Cité, autour de 1750. À l'intérieur d'un décor illusionniste dû à des spécialistes italiens, qui complétait l'architecture réelle, avec notamment une fascinante voûte ruinée, Natoire peignit une douzaine de grandes compositions sur l'adoration des mages et des bergers, chef-d'œuvre d'invention pour lequel on conserve de nombreux dessins.

En 1747, Natoire participa au concours organisé par la Direction des bâtiments, avec le très beau Triomphe de Bacchus du Louvre. Il peignit aussi bon nombre de tableaux religieux et surtout mythologiques, irréalistes et charmants. En 1751, le peintre fut nommé directeur de l'Académie de Rome, où il passa le reste de sa vie. Il fut dans les premières années un directeur actif, qui ranima les envois des pensionnaires qu'il incita par ailleurs à dessiner, comme lui-même, la campagne romaine. De 1754 à 1756, il peignit le plafond de l'église Saint-Louis des Français avec une Apothéose de saint Louis, clairement organisée, avec des raccourcis modérés, dans la tradition française. La production peinte de Natoire se réduisit ensuite fortement au profit du dessin ; de même, sa tutelle sur les pensionnaires se relâcha-t-elle progressivement. Vite oublié après sa mort, Natoire n'en fut pas moins l'un des peintres les plus doués de la France du XVIIIe siècle.

Antoine Schnapper
professeur émérite à l'université de Paris-Sorbonne

Source: Commemorations Collection 2000

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