Page d'histoire : Les trois évêchés de Metz, Toul et Verdun contrôlés par la France 1552

Henri II per l'atelier de François Clouet, 1559

Profil de la ville de Metz gravure de Sébastien Le Clerc
© Metz - bibliothèque-médiathèque du Pontiffroy
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Le contrôle des trois évêchés lorrains de Metz, Toul et Verdun par la France s'inscrit dans le long conflit qui oppose, depuis le début des guerres d'Italie, les Valois aux Habsbourg. Il s'inscrit aussi dans la politique des relations de plus en plus étroites nouées entre la France et les princes protestants d'Allemagne pour faire barrage à la puissance de Charles Quint. Il est vrai que l'empereur aux dix-sept couronnes était alors à la tête de la plus formidable puissance territoriale qu'un homme ait dirigé en Europe. Pour les rois de France, cette puissance, à vrai dire plus imaginaire que réelle, a fait naître une obsession qui perdura plusieurs siècles : la peur d'une prise en tenailles du royaume par les possessions des Habsbourg. Cette obsession commanda toute la politique étrangère du royaume du " Très Chrétien ", au moins jusqu'à la fin du règne de Louis XIV.

Des pourparlers secrets, amorcés en mai 1551 avec les princes protestants en lutte contre l'empereur, aboutissent à un accord à la fin du mois de septembre : le roi de France leur promet des subsides et l'ouverture d'un second front aux Pays-Bas pour diviser les forces de Charles Quint. En échange, Henri II obtient le droit d'occuper les Trois Évêchés. Le traité de Chambord, signé le 15 janvier, entérine ce dispositif, confirmant notamment la possibilité pour le roi de s'emparer de Metz, Toul, Verdun, " et autres villes de l'Empire ne parlant pas allemand ".

Durant l'hiver 1551-1552, Henri II, qui s'autoproclame " défenseur des libertés germaniques ", prépare son " voyage d'Allemagne " : des taxes sont levées sur les villes, un emprunt est demandé au clergé, des offices sont créés (l'édit sur les présidiaux, nouveaux tribunaux royaux chargés de juger les affaires de justice jusqu'à 250 livres, est contemporain du traité de Chambord), des avances sont demandées aux banquiers de Lyon, de Lucques, de Florence… Au même moment, Charles Quint, incapable de faire face aux dépenses dévorantes de son empire ingouvernable, fut, dit-on, stupéfait de cette facilité du roi de France à obtenir ainsi des espèces sonnantes et trébuchantes. Pendant son absence, Henri II confie la régence à sa femme, Catherine de Médicis, épouse jusqu'alors effacée qui fait ainsi, pour la première fois, l'expérience de l'exercice du pouvoir : elle manifeste son mécontentement contre un cordelier qui prêche à Paris contre les levées de deniers ; elle reçoit en audience l'ambassadeur d'Angleterre ; elle assiste, en femme " très humble et obéissante " au conseil du roi. Elle se souviendra de cette expérience fondatrice au lendemain de la mort brutale de son époux, à l'issue d'un tournoi fatal en 1559…

Une armée considérable, de plusieurs dizaines de milliers de soldats, s'ébranle en avril 1552, commandée par le souverain en personne qui assume ainsi, comme pratiquement tous les souverains français, sa fonction de roi de guerre. Le duc de Montmorency entre à Toul, qui lui a ouvert ses portes, dès le 5 avril. Aussitôt, il y installe une garnison. Le 10 avril, le jour des Rameaux, l'armée du roi entre à Metz, qui n'oppose aucune résistance : le souverain fait sa " joyeuse entrée " dans la ville soumise le lundi de Pâques, le 18 avril. Henri II traverse alors les Vosges pour aller en Alsace où les troupes obtiennent des Strasbourgeois suffisamment de vivres pour continuer l'expédition. Verdun, le troisième évêché, est pris sans difficulté, le 12 juin. Montmédy capitula le 23. Mais la défection de l'Électeur Maurice de Saxe, inquiet de la puissance française et qui se réconcilie avec Ferdinand Ier, le 2 août, empêcha Henri II de franchir le Rhin.

Le 10 novembre, le duc d'Albe assiège Metz, bien défendue par François d'Aumale, futur duc de Guise, nommé lieutenant-général. Ce dernier se distingua particulièrement, obligeant Charles Quint à une retraite douloureusement ressentie par le vieil empereur, au début du mois de janvier 1553. Cette victoire contribua à renforcer la puissance des Guise en Champagne et dans les territoires frontière. Le " voyage d'Allemagne " fut aussi marqué, pour les troupes, par de multiples difficultés de ravitaillement qui mirent en évidence la fragilité de l'organisation de l'armée et la faiblesse des finances royales.

Le traité de Westphalie, en 1648, confirma la possession des trois évêchés par la France.

Dans cette affaire, il demeure un mystère en partie inexpliqué : la facilité de la prise des trois villes, notamment Metz, cité puissante, fortifiée, défendue, qui avait résisté à de nombreux sièges et attaques dans les siècles précédents.Comme Toul et Verdun, elle ouvrit ses portes au " Très Chrétien ", sans combat, comme résignée. Pourquoi ? Il semblerait qu'une crise de conscience urbaine ait miné, depuis plusieurs décennies, l'identité de la ville. Le premier quart du XVIe siècle rend compte en effet d'un net déclin du sentiment collectif messin. Pour nombre de notables traumatisés par les crises, notamment religieuses, qui secouent l'Empire (particulièrement la sanglante guerre de paysans en 1524-1525), la sécurité passait avant tout par la protection d'un puissant suzerain, en l'occurrence le roi de France. " C'est alors, explique Martial Gantelet, une ville sans destin et enferrée dans une impasse politique qui tombera, comme un fruit mûr, entre les mains d'Henri II. Ce qui ne signifie pas la disparition de toute conscience municipale, mais simplement sa mutation, voire sa renaissance, dans le cadre général du royaume de France (1) ". La prise de Metz, Toul et Verdun fait office de révélateur d'une mutation géopolitique inscrite dans la longue durée : l'affirmation et le triomphe des grands États territoriaux au détriment des identités et des solidarités locales.

Joël Cornette
professeur à l'université de Paris VIII Vincennes-Saint-Denis

1 - Martial Gantelet, " Entre France et Empire, Metz, une conscience municipale en crise à l'aube des Temps modernes (1500-1526) ", dans Revue Historique, CCCIII/1, p. 5-45.

Source: Commemorations Collection 2002

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