Page d'histoire : Marie Durand Le Bouschet-de-Pranles (Pranles, Ardèche), 15 juillet 1711 - Pranles, juillet 1776

La tour de Constance
© CMN, Paris, photo Philippe Berthé

Inscription « Resister » (attribuée à Marie Durand) de la salle haute des prisonnières de la tour de Constance
© CMN, Paris, photo Alain Lonchampt

Marie Durand, la plus célèbre des prisonnières de la tour de Constance à Aigues-Mortes, symbole du temps du « désert » pour les protestants français, est née au Bouschet-de-Pranles, non loin de Privas, en Vivarais, le 15 juillet 1711. Comme tous les enfants nés après la révocation de l’édit de Nantes (1685), cette fille d’un greffier au passé camisard fut baptisée à l’église catholique paroissiale. Dès 1719, son frère Pierre devint « prédicant » puis pasteur clandestin, arrêté et pendu à Montpellier, en 1732. Mariée en 1730 sans être passée à l’église, Marie Durand fut arrêtée peu après avec son mari et menée à la tour de Constance, la prison des femmes « religionnaires ». Entrée à l’âge de 19 ans, elle n’en est sortie qu’à près de 57 ans, libérée parmi les dernières, en 1768, par grâce princière, sans avoir abjuré.

Pendant trente-huit années, Marie Durand a enduré l’enfermement à la prison d’Aigues-Mortes, réputée pour son insalubrité, dans un environnement de marécages. Les prisonnières, entre une vingtaine et une trentaine de femmes selon les moments, arrêtées pour la plupart dans des assemblées interdites, rasées, étaient entassées dans deux salles circulaires, dix-huit pas d’un mur à l’autre, avec deux heures de sortie dans la « basse-cour », matin et soir. Dans cette promiscuité forcée au long des années, des femmes ont accouché, allaité des enfants, d’autres ont agonisé et sont mortes. Jeunes ou vieilles, toutes ont été malades, secouées de crises de paludisme, et se sont usées d’attente. Parfois, l’une d’elles quittait les autres, libérée avec certificat de catholicité du curé d’Aigues-Mortes, ou expulsée car devenue folle.

Parmi les prisonnières, Marie Durand semble avoir joué un rôle prépondérant, en partie sans doute par son prestige de sœur de martyr, qui lui a valu d’être en relation avec les pasteurs du Refuge, à Lausanne et Amsterdam, et avec le pasteur Paul Rabaut à Nîmes, en partie aussi par son niveau d’instruction supérieur, qui a fait d’elle une lectrice consolatrice et une correspondante, la porte-parole de ses sœurs de captivité. En effet, les communications avec l’extérieur de la prison, nouvelles, lettres, paquets, étaient plus ou moins tolérées. Les lettres de Marie Durand témoignent rarement de ses souffrances physiques (ainsi des douleurs à la tête qui parfois la tenaient huit jours et la faisaient hurler), plus souvent de ses inquiétudes, de ses espoirs, de sa foi dans le « Dieu de miséricorde », exprimée dans le langage d’une Écriture mémorisée depuis l’enfance, et lue dans les bribes d’un psautier caché. C’est donc à Marie Durand qu’on a attribué le mot « résister », gravé par une anonyme dans la pierre du cachot de la tour de Constance.

2011 marque aussi le centenaire de l’un des lieux de mémoire des prisonnières de la tour de Constance, le Musée du Désert. Fondé en 1911, il est le premier musée des protestants français, ancré dans un site camisard, le Mas Soubeyran (Mialet, Gard). Il évoque tout le temps du « désert », de la religion interdite, entre la révocation de l’édit de Nantes (1685) et la Révolution française.

Marianne Carbonnier-Burkard
maître de conférences à l’Institut protestant de théologie
Faculté de Paris

Source: Commemorations Collection 2011

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