Page d'histoire : Promulgation de l'édit de Milan février 313

Songe de Constantin, bataille du pont Milvius, invention de la vraie Croix.
Illustration des Homélies de saint Grégoire de Nazianze
Manuscrit à peinture, vers 879-882, fol. 440
© Bibliothèque nationale de France

En février 313, Licinius, en son nom propre et au nom de Constantin, adressa de Nicomédie au gouverneur de Bithynie la fameuse circulaire (mandatum) que nous appelons « Édit de Milan ». Par cette circulaire, dont le texte nous est conservé en grec par Eusèbe et en latin par Lactance, les deux Augustes accordent aux chrétiens « la permission pleine et entière de pratiquer leur religion » et précisent que « la même possibilité d’observer leur religion et leur culte est concédée aux autres citoyens, ouvertement et librement ». Tel est l’essentiel de cette décision, si du moins nous suivons la version latine, qui parle de religio (« religion »), alors que la version grecque parle de thrèskeia, qui signifie « culte », dont l’équivalent latin est cultus et non religio.

Pour  la  première  fois,  les  autorités  romaines  reconnurent le christianisme comme « religion ». Était-ce voulu ? En ont-elles seulement eu véritablement conscience ? Constantin nourrissait très vraisemblablement le projet d’unifier l’Empire en le plaçant sous l’autorité d’un seul et unique Dieu en même temps que d’un seul Empereur, comme Eusèbe de Césarée en fera la théorie quelques années plus tard, la nouvelle ville de Constantinople en étant le centre et le symbole. Mais le christianisme, qui se comprenait déjà comme religio dans l’espace latin depuis que Tertullien l’avait qualifié ainsi en 197, n’était pas une religio comme les autres. Il revendiquait d’être la uera religio ueri Dei, « la vraie religion du vrai Dieu ». Le reconnaître comme religio, c’était obligatoirement le reconnaître comme seule religio et rabaisser toutes les autres religiones au rang de superstitiones (« superstitions »), y compris la religio romaine elle-même, c’est-à-dire de survivances non légitimement fondées et intellectuellement déraisonnables, et, donc, à éradiquer au nom de la Vérité. Par ce geste, Constantin, qui pensait sans doute asseoir son pouvoir (potestas) sur une autorité (auctoritas) plus solide, transférait en fait l’autorité impériale à une institution interne à l’empire, l’Église, ce que n’était pas la religion romaine. Ce qui sera pleinement réalisé à la fin du IVe siècle avec l’empereur Théodose 1er et l’évêque Ambroise de Milan, provoquant à terme la fin de la partie latine de l’Empire romain que l’on appelle Empire d’Occident. Un régime de chrétienté succèdera alors au régime impérial romain. Le véritable « Empereur », le véritable « Auguste » sera le pape. Le politique sera destitué au profit de la religion, celle-ci étant désormais considérée, moyennant une fausse étymologie, comme ce qui fait le lien entre les hommes, alors que c’est le propre du politique.

Quand une religion prétend détenir la vérité, un État ne peut la reconnaître comme religion sans perdre sa souveraineté. Il ne peut la reconnaître que comme culte.

Maurice Sachot
professeur émérite de l’université de Strasbourg

Source: Commemorations Collection 2013

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