Page d'histoire : Napoléon III (Charles Louis Napoléon Bonaparte) Paris, 20 avril 1808 - Chislehurst, 9 janvier 1873

Napoléon III, en uniforme de général de brigade, dans son grand cabinet aux Tuileries, huile sur toile d’Hippolyte Flandrin, 1862,
Versailles, châteaux de Versailles et de Trianon
© RMN/Gérard Blot

Une vie d’aventures, extraordinairement riche et mouvementée, une vie mieux qu’exceptionnelle : singulière, incroyable, stupéfiante, voici comment peut être qualifiée l’existence de Louis Napoléon Bonaparte,  si l’on s’attache à évoquer l’homme et sa destinée plutôt que le monarque et son règne.

À première vue, il n’existe que très peu de points communs entre  l’adolescent exilé, le conspirateur parfois ridicule, le politicien habile et le souverain tout puissant, sans parler de l’officier de l’armée suisse, du rebelle de Forli, du prisonnier du fort de Ham, et du constable des beaux quartiers de Londres. Et pourtant il s’agit bien du même homme, de la même vie. Vie qui se transforme en destin par la force de la volonté.

Oui, c’est bien l’homme qui, d’emblée, captive. À quarante ans, il est le  premier président de la République de notre histoire ; à quarante-quatre ans, il est notre deuxième et dernier empereur ; il règnera plus longtemps que le premier et, comme lui, marquera durablement le pays, imposant des idées qui sont les siennes propres, qu’il a méditées, mûries. Pourtant, le second Empire et Napoléon III n’occupent pas une place très enviable dans notre conscience collective. Cette époque suscite en général des jugements dépourvus de compréhension et d’indulgence. Nous croyons savoir qu’on y fit la fête, qu’on y fit la guerre, qu’on y fit de l’argent. Ferdinand Bac l’a peinte comme une « parade militaire traversant un bal masqué ».

Il est vrai que Napoléon III n’a pas eu un Abel Gance pour réaliser un chef-d’oeuvre à sa gloire. On veut retenir de lui qu’il accéda au pouvoir par un coup d’État et ne sut se servir de ce pouvoir confisqué que pour nous conduire à l’effondrement de Sedan. Raccourci bien pauvre et bien réducteur en fait... Car la vie de Napoléon III a tout d’une vie exceptionnelle et ce qui fait  de Louis Napoléon Bonaparte un homme à la fois attachant et respectable ce n’est pas seulement son oeuvre, aussi impressionnante que mal comprise, pas seulement son habileté et la force de caractère dont il fit montre pour passer de l’exil au pouvoir, c’est aussi et surtout sa fidélité à ses convictions.

D’où vient dès lors que peu d’hommes auront été si mal traités par l’histoire et les historiens ? Bien sûr, tout n’est pas exemplaire dans le règne de Napoléon III. Les erreurs, les insuffisances n’y manquent pas. L’homme a ses défauts, ses faiblesses.

Et puis, il y a Sedan...

Néanmoins, il faut bien comprendre que les réputations posthumes ne  sont pas toujours celles que l’on a méritées mais souvent celles qu’on vous fabrique pour les besoins d’une cause. Pour son malheur, Louis Napoléon s’intercale entre deux républiques : l’une qu’il est censé avoir renversée, l’autre qui s’édifie sur les décombres présumés de son règne. Qu’importe si, le 2 décembre, la République est déjà morte et bien morte. Cavaignac, aux applaudissements de l’immense majorité du personnel politique de l’époque et avec l’assentiment de Victor Hugo lui-même, a fait tirer sur la foule en juin et les conservateurs de tout bord ont achevé le travail, allant jusqu’à remettre en cause le suffrage universel. Et pourtant, on feint de croire que c’est Louis Napoléon qui a tué l’espoir populaire.

Mais laissons parler Émile Zola, qui sut montrer plus de nuances : « À vingt ans, en plein Empire, je tenais le neveu du grand Napoléon pour le bandit, le « voleur de nuit » qui, selon l’expression célèbre, avait allumé sa lanterne au soleil d’Austerlitz. Dame, j’avais grandi au roulement des foudres de Victor Hugo : Napoléon le Petit était pour moi un livre d’histoire d’une vérité absolue... je le voyais l’oeil terne, furtif, les traits pâlis, à travers cette rhétorique hennissante, écumante, géniale. Mais j’en suis revenu depuis. Car, au fait, le Napoléon III des Châtiments, c’est un croquemitaine sorti tout botté et tout éperonné de l’imagination de Victor Hugo. Rien n’est moins ressemblant que ce portrait... sorte de statue de bronze et de boue élevée par le poète pour servir de cible à ses traits acérés, disons le mot, à ses crachats. Non, l’Empereur : un brave homme, hanté de rêves généreux, incapable d’une action méchante, très sincère dans l’inébranlable conviction qui le porte à travers les événements de sa vie qui est celle d’un homme prédestiné, à la mission absolument déterminée, inéluctable, l’héritier du nom de Napoléon et de ses destinées. Toute sa force vient de là, de ce sentiment des devoirs qui lui  incombent ».

Alors d’où vient le discrédit que l’on continue de réserver à Louis Napoléon ? On hasardera qu’il est peut-être dû à une sorte de décalage anachronique entre ce qu’il voulait faire et ce qu’on attendait de lui. Or son bilan est considérable : la rénovation de Paris avec Haussmann, le développement commercial, la réforme financière, l’expansion du textile, de la chimie, de la sidérurgie et de la métallurgie, des chemins de fer, la modernisation de l’agriculture... Certes restent les très fortes inégalités, ainsi qu’en définitive une impression d’inachevé et le sentiment de beaucoup d’occasions perdues. Et pourtant ce ne furent pas des années perdues pour la  France. 

Louis Napoléon n’est pas une pâle copie de son oncle. Ce n’est pas un imitateur. C’est un homme tendu vers l’avenir. Pour son neveu, Napoléon Ier aura été à la fois une chance et une hypothèque : une chance car la référence à l’Aigle aura incontestablement servi les desseins de Louis Napoléon. Une hypothèque aussi car cette référence aura eu pour effet de dénaturer le sens profond et réel de son action et de masquer la richesse et l’originalité de sa personnalité. Gageons que la célébration du bicentenaire de sa naissance contribuera à mesurer plus objectivement son oeuvre.

Philippe Seguin
Premier Président de la Cour des Comptes

Source: Commemorations Collection 2008

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