Page d'histoire : Sébastien Bourdon Montpellier (Hérault), 2 février 1616 - Paris, 8 mai 1671

La Fuite en Égypte, huile sur bois de Sébastien Bourdon,
XVIIe siècle, Paris, musée du Louvre.
© Photo RMN – Grand Palais (musée du Louvre) / Hervé Lewandowski

Un petit homme du Midi, sec, noir de poil, le nez busqué, le teint hâve, un regard de feu. Des manières courtoises sous lesquelles se devine l’humeur emportée, de la familiarité avec les élèves, de l’aménité avec les collègues. Un air de gaieté qui dissimule un fonds d’inquiétude. Beaucoup de probité et des principes moraux qui doivent procéder d’une enfance protestante, en un temps où les réformés du Midi défendaient leur parti jusque sous les canons du roi de France ; ce peintre “fuit les débauches” et ne déteste pas sermonner. Au demeurant, des amis fidèles et nombreux, deux mariages heureux l’un et l’autre, semble-t-il, seize enfants, dont la plupart moururent jeunes, une vive inclination pour la musique, et un entrain merveilleux dans tout ce qu’il fait. Voilà Bourdon. »

Il convient de commencer par ce portrait par Jacques Thuillier qui fit tant pour ce peintre à la vie des plus aventureuses. À vingt ans il est ébloui par Rome mais doit rapidement fuir car risquant d’être dénoncé comme hérétique. En s’établissant à Paris, il affronte une rude concurrence tant la peinture parisienne connaissait dans ces années 1640 un summum rarement égalé par la suite. Ses rivaux se nomment Simon Vouet, Philippe de Champaigne, Jacques Stella, Laurent de La Hyre, les frères Le Nain, et de son âge Eustache Le Sueur et Charles Le Brun. Parmi les tableaux peints en 1644 pour le raffiné oratoire d’Anne d’Autriche au Palais-Royal, sa Fuite en Égypte (aujourd’hui au Louvre) est préférée à ceux de ses rivaux. En 1648 il est un des fondateurs de l’Académie royale de peinture et de sculpture. Il tente fortune à la cour de la reine Christine de Suède en 1652-1653, dont il nous reste l’imposant et « viril » portrait équestre (Madrid, musée du Prado).

Bourdon est un artiste déconcertant. Bien que protestant il représenta la vie des saints, dont celle de saint Ignace ! Il est comme le « Protée de la peinture », tant ses visages sont variés comme la divinité antique capable de se métamorphoser. À Rome, il peint à la manière de plusieurs peintres dont Poussin, au point que la confusion fut longtemps possible… Il est capable de brosser des décors et des tableaux d’église lyriques puis ultra-classiques comme des scènes de genre. Il fut un portraitiste brillant et ses paysages, peints ou gravés, comptent parmi les plus poétiques de son temps. Pour n’employer que des termes anachroniques, Bourdon fut ainsi tour à tour un des « Peintres de la réalité », baroque, atticiste, néoclassique et, dans certains paysages, romantique ou fantastique.

Nicolas Poussin, côtoyé à Rome et à Paris, fut un modèle constant. À son exemple Bourdon donne le meilleur de son art dans ses tableaux de chevalet destinés aux « curieux », ce qui était une nouveauté à Paris. Durant sa maturité, méditant certains sujets en plusieurs variations, il compose des peintures tout en frise ou à l’aspect « cubique ». Surtout, il est un admirable coloriste, avec l’audace de certains accords : quand on les a vus, comment oublier la triade bleu-jaune-rouge de ses tableaux les plus sévères, la palette raffinée de L’Homme aux rubans noirs (Montpellier, musée Fabre), les verts et les gris du Paysage du musée de Providence (États-Unis) ?

Dominique Jacquot
conservateur en chef du musée des Beaux-Arts de Strasbourg

Source: Commemorations Collection 2016

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