Page d'histoire : Avènement de François Ier Janvier 1515

François Ier recevant dans la Salle des Suisses
à Fontainebleau « La Grande Sainte Famille » de Raphaël,

huile sur toile d’Anicet Charles Gabriel Lemonnier, entre 1814 et 1824,
Rouen, musée des Beaux-Arts.
© Direction des Musées de France, 1989 / Carole Loisel / Catherine Lancien

Buste de François Ier, terre cuite émaillée
attribuée à Girolamo Della Robbia, New York (États-Unis),
The Metropolitan Museum of Art.
© The Metropolitan Museum of Art,
Dist. RMN-Grand Palais / image of the MMA

Victoire au noble roi François, victoire au gentil de Valois » : ainsi s’achève la chanson de Clément Janequin qui célèbre, avec les onomatopées de la bataille, les hauts faits de Marignan, le 14 septembre 1515. Ce jour-là, le robuste souverain (il mesure près de deux mètres) âgé de vingt ans seulement, chargeant en armure la lance au poing à la tête de ses gendarmes, avait défait l’armée suisse et redonné à la France la jouissance du Milanais, perdu par Louis XII en 1513. Le royaume est alors un pays riche et puissant, peuplé de dix-huit millions d’habitants en majorité paysans. Le roi, pour qui « il n’est de richesse que d’hommes », n’hésite pas à lourdement taxer ses sujets par la taille (impôt finançant la guerre) et la gabelle (impôt sur le sel).

Le jeune « triomphateur des Helvètes » est, dès son retour, décidé à donner à sa cour une magnificence et un lustre jusqu’alors inconnus en France. La formation qu’a fournie Louise de Savoie au fils de son époux, comte d’Angoulême, en l’entourant de lettrés et en l’initiant aux arts, a prédisposé François à un rôle de mécène qui complète magnifiquement la figure qu’il affectionne du roi-chevalier. De l’Italie qui exerce sur lui une extrême fascination, il emprunte l’idée que les femmes sont indispensables à la vie de cour, non seulement parce qu’il en est grand amateur mais encore parce qu’elles encouragent, à l’image de sa soeur, la très savante Marguerite, le développement de la culture. De plus, pour elles, les courtisans sont prêts à dépenser des fortunes et à contribuer à la splendeur royale. La Cour, encore itinérante mais déjà très étoffée, suit partout le souverain, amateur passionné de chasse, qui consomme avec extravagance et se donne à voir ainsi dans tout le pays. François Ier caresse cependant des rêves de sédentarité. Grand architecte, il couche sur le papier nombre de projets, à commencer par Romorantin et Chambord. À Romorantin, en 1518, Léonard de Vinci lui-même avait été appelé à l’aide pour envisager un ensemble palais-écuries-ville idéale de 400 mètres, le long d’une rivière canalisée, la Sauldre. À terme le réseau de canaux aurait permis de rattacher le Rhône à la Loire. L’abandon de cette entreprise herculéenne, en 1519, accouche néanmoins d’un « plan B », plus modeste mais magnifique : Chambord. Viennent ensuite le château de Madrid, Fontainebleau et Saint- Germain-en-Laye. Les meilleurs artistes conseillent le monarque avec des idées à la mode inspirées de la Renaissance italienne : parmi eux Léonard mais aussi Dominique de Cortone, Benvenuto Cellini, le Rosso Fiorentino ou le Primatice. Le décor très ésotérique de Fontainebleau est justement l’oeuvre de ces deux hommes qui fondent un style prestigieux nommé aujourd’hui « école de Fontainebleau ».

Des fêtes de cour grandioses placent la France au niveau international, telle cette reconstitution de Marignan à Amboise qui, en 1518, impliqua des milliers de figurants assiégeant un faux château avec des canons tirant des ballons. François se veut également protecteur des lettres en un temps où l’imprimerie fait d’importants progrès. Il constitue une Bibliothèque royale et fonde un Collège des lecteurs royaux, le futur Collège de France, qui accueille des humanistes, tel Guillaume Budé, et des mathématiciens cartographes, tel Oronce Fine. À la cour, la poésie de Clément Marot commence à définir les règles de la prosodie et, en 1539, l’édit de Villers-Cotterêts fait de la langue française la langue officielle des actes administratifs.

Sur le plan de la politique extérieure, après l’échec diplomatique du camp du Drap d’or (qui visait à rapprocher la France de l’Angleterre d’Henri VIII) et la candidature malheureuse de François Ier au trône impérial, la guerre entre les Valois et les Habsbourg se rappelle constamment au royaume. Dans ce contexte, l’armée, dotée d’une puissante artillerie, se trouve réorganisée sur le modèle des légions romaines. Les ingénieurs italiens inspirent, aux marges du royaume, des fortifications (Doullens, Amiens, Navarrenx) qui forment une sorte de troisième « corps du roi » prêt à défendre la France menacée d’invasion. En 1521 et 1522, l’armée française doit justement repousser ses ennemis au nord et à l’est puis combattre de nouveau en Italie. En 1523, le connétable Charles de Bourbon, s’estimant floué par son suzerain sur des questions de fiefs, passe au service de Charles Quint. En février 1525 à Pavie, un usage maladroit de l’artillerie et de la cavalerie débouche sur la capture du souverain, emmené à Madrid et contraint d’y signer un humiliant traité. Relâché après avoir laissé ses enfants en otage, il dénonce ce dernier et reprend les armes en France et en Italie en ayant fondé la ligue de Cognac. Charles Quint finit en 1529 par signer une paix dite paix des Dames, car arrangée par Louise de Savoie et Marguerite d’Autriche. Les enfants de France sont récupérés contre une forte rançon. En 1535, la guerre reprend néanmoins en Provence et mars est favorable au Valois qui annexe la Savoie et le Piémont. Pour consolider ses acquis et affaiblir Charles Quint, François Ier s’allie avec les princes protestants allemands, et même avec l’Empire ottoman dont les galères sont accueillies pour l’hivernage dans le port de Marseille. En 1542, Charles Quint s’allie à son tour avec Henri VIII et saisit le port de Boulogne.

Entre-temps, François Ier a tourné son regard vers les Amériques pour tenter de rattraper sur mer l’avance considérable de son rival, maître déjà de colonies au Mexique et au Pérou, riches en métaux précieux. Grâce au marchand dieppois Jean Ango et au Florentin Giovanni da Verrazzano, les Français apprennent l’existence de la Floride et de Terre-Neuve. En 1534, le marchand Jacques Cartier et le soldat Jean François de Roberval prennent possession de la Nouvelle-France (le Canada) et commencent à rechercher un passage au nord-ouest.

Le règne de François Ier est cependant marqué par les premières tensions religieuses. Originellement, la politique du souverain en la matière est plutôt tolérante. Le concordat de Bologne lui a donné le pouvoir de nommer les évêques et les abbés et le cénacle d’humanistes qui entourent sa soeur Marguerite, avec la figure notable de Lefèvre d’Étaples, promeut une pensée évangéliste qui pourrait faire office de via media entre catholicisme et réforme.

Cependant, l’Église de France durcit ses positions et, en 1534, des placards cloués sur la porte de la chambre du roi à Blois déclenchent l’ire royale et la persécution de tous les « hérétiques ». Pas seulement les luthériens : le parlement d’Aix envoie ainsi au bûcher les Vaudois du Lubéron. À la mort du roi, due à une septicémie liée à un abcès, en 1547, la France demeure unifiée religieusement. Le mariage du roi avec Claude de France, fille de Louis XII et d’Anne de Bretagne, a permis le rattachement de la Bretagne au royaume. La confiscation des terres du duc de Bourbon y a également intégré des fiefs du centre de la France. François Ier fut un monarque fort ; cependant les États, aux mains des grands de France, continuaient d’imposer leur loi à une monarchie qui demeurait consultative. L’absolutisme qu’encourageaient les théoriciens politiques du temps n’était encore qu’un rêve au moment ou le prince Henri monta sur le trône sous le nom d’Henri II.

Pascal Brioist
professeur d’histoire moderne à l’université de Tours
Centre d’études supérieures de la Renaissance

Source: Commemorations Collection 2015

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