Page d'histoire : Paris et ses annexes 1860

Vue des fortifications de Passy en septembre 1861
Dessin de Léon Joseph Florentin Bonnat
© RMN/René-Gabriel Ojéda

C’est un étrange espace que celui du Paris que, préfet de la Seine en 1853, Haussmann s’emploie à remodeler et à redéfinir. La capitale, c’est ce qu’entoure depuis le XVIIIe siècle l’enceinte des Fermiers généraux, un mur scandé par des « barrières » où, établis dans les pavillons dessinés par Ledoux, les agents de l’octroi taxent le passage des marchandises. Autour de cette ville, des villages à l’histoire déjà ancienne, avec leur église, leur mairie, leurs fêtes et parfois leur théâtre. L’activité agricole l’emporte largement, qui concourt à l’approvisionnement de Paris. Pour éviter l’octroi, des manufacturiers ont établi là, sur des terrains à bon marché, des usines qui commencent de différencier les communes. L’industrie chimique est à Javel, la mécanique aux Batignolles. Les abattoirs comme les usines à gaz trouvent place sans peine. Les guinguettes y font fortune : l’air y est bon et le vin y est moins taxé.

Au-delà des villages du premier pourtour, Thiers a construit à partir de 1841 une défense rapprochée de la capitale. Ce sont « les fortifs », avec leurs fossés, leurs levées de terre et leurs quatre-vingt-quatorze bastions. On en attend de ne pas revoir Paris occupé comme en 1814.

Haussmann ne se contente pas de tracer en ville des percées et des boulevards. Il va normaliser l’espace parisien en annexant les communes comprises dans l’enceinte de Thiers. Cela améliorera le rendement de l’octroi. Cela simplifiera la gestion administrative et économique de la capitale. Bien sûr, les résistances se manifestent. Les villages perdront leur indépendance, les maires leur écharpe. Aux termes de deux lois de juin 1859, l’annexion est faite le 1er janvier 1860 : Paris s’étend jusqu’aux fortifs, que doublent à l’intérieur les boulevards des Maréchaux. Pour une fois, la fortification a précédé l’extension. Vingt arrondissements, et non plus douze, donnent sa structure administrative à une ville qui approche des deux millions d’habitants.

Cela change l’économie de l’espace. Jusque-là, les Parisiens se pressaient dans l’étroit parcellaire du centre. Les villageois préféraient se rapprocher de l’enceinte. Les espaces disponibles entre le noyau de la capitale et l’enceinte des Fermiers généraux (actuelle ligne du métro aérien) accueillent à la fin du XIXe siècle des constructions nouvelles, aux façades ornées, aux nombreux balcons, en des rues larges et droites. Ce sont les « beaux quartiers » comme ceux des Grands Boulevards, du Champ-de-Mars ou de la plaine Monceau. De l’autre côté, subsistent au plus près de l’ancienne limite les petites maisons villageoises, autour de rues souvent sinueuses. Leur destruction, à la fin du XXe siècle, permettra un nouvel urbanisme moderne.

L’annexion touche également la toponymie. Il y avait autour de Paris bien des places de l’Église ou des rues des Vignes. Il fallut arbitrer. Certains villages, comme Auteuil, Grenelle, Montmartre ou Charonne, ont durablement laissé à des quartiers leur plan et leur nom.

Jean Favier
membre de l’Institut
président de la Commission française pour l’UNESCO
président du Haut comité des célébrations nationales

Source: Commemorations Collection 2010

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