Page d'histoire : Django Reinhardt Liberchies (Belgique), 23 janvier 1910 - Fontainebleau, 16 mai 1953

Portrait de Django Reinhardt en 1944 par le Studio Harcourt

Si Django Reinhardt fut un génie de la musique, il fut aussi un anticonformiste notoire. Élevé à l’école buissonnière, il avait reçu une éducation basée sur la transmission orale.

Sans le soutien inconditionnel de sa compagne Naguine, sa brève existence n’aurait pas connu le rayonnement que l’on sait. Personnage paradoxal, il était aussi rigoureux et précis dans sa maîtrise artistique qu’imprévisible et fantasque dans sa vie privée.

Django le manouche n’aurait sans doute jamais été le musicien qu’il fut, s’il n’avait été façonné par la culture des gens du voyage. Épris de liberté,déjouant les règles académiques, il trouva très tôt à travers la musique, mais aussi plus tard dans la peinture, le secret des plus grands artistes : la griffe.

Enfant du métissage culturel, il eut, très jeune, l’extraordinaire faculté de marier les genres, trouvant dans le jazz un terrain de jeu privilégié. Cette découverte déterminante marqua très tôt la naissance de son style si personnel.

Très vite remarqué par les chefs d’orchestre et les grands ensembles de l’époque, il fit alors la rencontre qui allait précipiter sa carrière : celle de Stéphane Grappelli, avec lequel il forma ensuite le fameux Quintet du Hot Club de France, avec son frère Josef à la guitare, et Louis Vola à la contrebasse.

Entretemps, il dut surmonter le terrible handicap causé par l’incendie de sa roulotte qui le priva de l’usage de deux doigts de la main gauche. Il vécut alors reclus pendant des mois, dépossédé de sa principale raison de vivre.

Son orgueil et un travail acharné lui permirent de transcender cette infirmité : il adapta sa technique de guitariste aux deux doigts restants, ce qui donna à son jeu une originalité incomparable et une virtuosité inégalée.

Le Django « joueur » venait de gagner son pari contre l’adversité. Joueur, il l’était et le restait, lorsque l’envie lui prenait de disparaître sans laisser de trace, pour s’adonner à son sport favori, le billard, ou encore faire la fête dans un camp manouche. Mais il l’était surtout lorsque ses doigts dévalaient le manche de sa guitare, créateur funambule à la limite de la rupture d’équilibre, tentant les arabesques les plus audacieuses.

Il y a une légende « Django ». Il est la preuve vivante qu’une technique instrumentale n’a de sens que lorsqu’elle est l’application directe d’une pensée musicale et d’un puissant lyrisme.

Django Reinhardt, compositeur, aura laissé un répertoire d’une grande richesse, dont l’un des fleurons restera à jamais le merveilleux « Nuage », augurant les années sombres que l’Europe, avec la guerre, allait traverser.

Il y a chez ce personnage haut en couleurs cette intemporalité propre aux génies rebelles, poètes musicaux et visionnaires, comme une aptitude à défier le temps. Duke Ellington, qui fut l’une de ses idoles, l’invita à le rejoindre outre-atlantique.

Mais pour Django le rêve américain fut impossible à vivre, car il ne trouva pas en lui d’écho à ses aspirations manouches. Stéphane Grappelli me fit lire à ce propos une lettre que Django lui avait adressée de New York, et dans laquelle il lui faisait part de son désarroi. Ces quelques mots maladroits, écrits phonétiquement, car il ne savait ni lire ni écrire, témoignaient d’une âme sensible et profondément candide.

Django Reinhardt a réinventé l’instrument le plus populaire du monde, la guitare. Il est reconnu aujourd’hui comme l’un de ses grands maîtres. Honorer sa mémoire, c’est également reconnaître la musique de jazz comme un art majeur, mesurer le talent et l’apport inestimable des musiciens improvisateurs dont il fut l’un des plus brillants.

Didier Lockwood
violoniste de jazz

Source: Commemorations Collection 2003

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