Page d'histoire : Tenue à Paris du premier Congrès général arabe 18-21 juin 1913

Au XIXe siècle, un mouvement de renaissance arabe, la Nahda, lança une résurgence culturelle qui évolua vers des aspirations politiques. Le pionnier du réveil national arabe fut Abdel Rahman el Kawakibi, lequel à l’instar d’un autre Syrien, Rachid Rida, faisait partie du courant musulman réformiste (Islah) et alliait réformisme religieux et nationalisme arabe. En 1905, le syro-libanais chrétien, Négib Azoury, publiait, à Paris, Le réveil de la nation arabe en faveur de la création d’un État arabe indépendant.

Au début du XXe siècle, dans la partie du monde arabe vivant encore sous occupation ottomane, la situation s’était dégradée après la révolution, en 1908, du Comité Union et Progrès (les Jeunes Turcs), contre le pouvoir du sultan. Outre la sous-représentation des députés arabes, la colère était due à des mesures impopulaires, telle l’imposition de la langue turque. Le mouvement national arabe s’organisa dans des sociétés d’intellectuels, de hauts fonctionnaires et d’officiers : le Cercle littéraire (al Muntada), al Kahtâniyya, le parti de la décentralisation avec les Syriens Rafik el Azm, Rachid Rida, Abdulhamid el Zahraoui, notable musulman de Homs, les Palestiniens Hafez el Saïd ou Ali Nachâchibi, des Libanais... L’une des principales sociétés fut fondée en France sous le nom de Jam’iyat al Arabiya al Fatat.

Alors que les dirigeants turcs intensifiaient la répression contre les tenants de l’arabisme, al Fatat décida de réunir un congrès pour appeler l’attention internationale sur la cause arabe. Le choix se porta sur Paris. En avril 1913, les invitations furent lancées avec un Appel à la Nation arabe. Le 18 juin 1913, le Congrès général arabe se tint dans la salle de conférences de la Société de géographie au 184 boulevard Saint-Germain à Paris. Présidé par le cheikh el Zahraoui, il rassembla vingt-cinq délégués (Syrie, Liban, Palestine, Transjordanie, Mésopotamie…), plus de deux cents participants arabes et quelques dizaines de Français pour la clôture. Les délégués chrétiens étaient pratiquement au même nombre que les musulmans. Le 21 juin, les congressistes adoptèrent une résolution constituant la première expression de revendications arabes par une instance représentative. Elle appelait à des réformes radicales afin d'assurer aux Arabes l'exercice de leurs droits politiques et le respect de leur langue. Des émissaires furent reçus à Istanbul, à la demande de la France.

Le Congrès arabe de Paris a été l’ultime tentative d’une nouvelle coopération arabo-turque. Hélas, les Jeunes Turcs choisirent de s’enfermer dans une idéologie extrémiste. C’est dans ce contexte que le monde marcha vers la guerre. En 1916, les Jeunes Turcs, qui avaient pris le parti de l’Axe, profitèrent du prétexte pour exécuter, à Beyrouth et à Damas, les chefs nationalistes dont el Zahraoui, l’ancien président du congrès de Paris.

Il reste que le Congrès de Paris a marqué une étape dans le développement du mouvement panarabe qui se développa ensuite avec les congrès de Jérusalem (1931) et de Bloudane (1937), avec les penseurs Sati el Housri et Michel Aflak, le philosophe du Baas, puis l’action de Nasser. Il est remarquable que le nationalisme arabe soit toujours resté fidèle aux idées du Congrès de 1913 : l’entente entre musulmans et chrétiens, l’esprit de dialogue avec l’extérieur, la modération, autant de valeurs dont le monde arabe a encore besoin.

Charles Saint-Prot
directeur de l’Observatoire d’études géopolitiques de Paris

Source: Commemorations Collection 2013

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