Page d'histoire : Louis-Antoine de Bougainville Paris, 12 novembre 1729 - Paris, 31 août 1811


Vue de la Nouvelle Cythère découverte par Mr. De Bougainville […] 1768
Dessin à la plume aquarellé
Bibliothèque nationale de France
© BnF

Louis-Antoine de Bougainville est né le 12 novembre 1729 dans une famille de la bourgeoisie parisienne qui s’insère dans la noblesse au milieu du XVIIIe siècle. Au terme d’études classiques, ce surdoué montre des aptitudes remarquables pour les sciences et publie en 1755, un Traité du calcul intégral. Fils de notaire, il a choisi l’épée. Après un passage aux Mousquetaires Noirs en 1750-1751, Bougainville entame une carrière d’officier. Une parenthèse diplomatique s’ouvre en 1754-1755, lorsqu’il accompagne le duc de Mirepoix, nommé ambassadeur extraordinaire à Londres. Un séjour plein de promesses, pour ce jeune secrétaire d’ambassade aussi passionné par la géographie que par les mathématiques : Bougainville rencontre Georges Anson, le patron de la Royal Navy, qui a accompli en 1740-1744 un fameux voyage autour du monde.

Lorsque la guerre de Sept ans se déclenche, au début de l’année 1756, Bougainville est nommé aide de camp du marquis de Montcalm, commandant des troupes du Canada. Il se comporte bravement, participe à plusieurs combats, dont la bataille du fort Carillon (6 juin 1758) au cours de laquelle il est blessé. Bougainville se trouve parmi les défenseurs de Québec, qui est assiégé par une puissante force navale anglaise et capitule en septembre 1759. Puis c’est le tour de Montréal...

De cette expérience, Bougainville retire une initiation rapide à la navigation océane lors des traversées qu’il effectue à plusieurs reprises entre France et Nouvelle-France. L’officier de terrain a aussi tenu un journal de campagne, où il montre vis-à-vis des Amérindiens un esprit dénué de tout préjugé : on trouve dans ses écrits cette remarque au sujet des Outaouais : « À mesure que j’aurais l’occasion d’apprendre quelque chose concernant leur religion, leurs usages ou leurs mœurs, je ne négligerai pas un objet important aux yeux d’un philosophe et qui tient à l’étude la plu[s] essentielle, celle de l’homme ». Le Parisien Bougainville a aussi appris qu’une France forte devait se projeter outremer.

Sa route croise celles de Choiseul, qui suscite divers plans pour compenser la perte du Canada. Bougainville lui propose de créer un établissement aux îles Malouines (aujourd’hui Falkland ou Malvinas) qui sont situées au large de l’Argentine et à environ 600 km du cap Horn. Ancien lieu de relâche des baleiniers malouins, cet archipel inhabité pouvait constituer un relais pour la recherche de l’hypothétique continent austral. Tout en accordant un brevet de capitaine de vaisseau à Bougainville, Choiseul accepte ce projet sans le financer, puisque c’est une compagnie privée qui arme les deux navires de l’expédition des Malouines. Cette aventure est plutôt bien engagée en 1766, lorsque la monarchie espagnole revendique sa souveraineté sur les Malouines. Choiseul, qui a besoin de l’alliance avec l’Espagne des Bourbons (en vertu du Pacte de Famille) fait volte-face. Chargé de restituer les Malouines moyennant une substantielle indemnisation, Bougainville conçoit en même temps le projet d’un voyage de découverte du Pacifique. Il reçoit le commandement de La Boudeuse et de L’Étoile, une frégate et une flûte de la marine royale. Les Anglais ont déjà lancé deux expéditions vers la mer du Sud ou océan Pacifique (Byron en 1764-1766, puis Wallis-Carteret en 1766-1768), tandis que les Ibériques et les Hollandais sont à l’affût de tout ce qui se passe dans cet immense espace océanique, qu’ils considéraient comme leur chasse gardée.

Bougainville appareille de Nantes en novembre 1766 avec des officiers et des équipages expérimentés. Il a aussi embarqué deux scientifiques : un jeune astronome et mathématicien, Pierre-Antoine Véron et un médecin botaniste, Philibert Commerson. Si la traversée de l’Atlantique est rapide (La Boudeuse arrive à Montevideo fin janvier 1767), plus de dix mois sont mangés par l’opération de restitution de cet archipel, soit près de la moitié de la durée du voyage, puisque les instructions royales prescrivaient de ne pas dépasser le terme de deux ans. Bougainville sort du détroit de Magellan le 26 janvier 1768. Après avoir aperçu les Tuamotu, il aborde Tahiti le 1er avril. La rencontre avec les Polynésiens suscite un enthousiasme sans borne, mais ce séjour idyllique dans la « Nouvelle Cythère » dure peu, puisque La Boudeuse et L’Étoile reprennent leur périple à la mi-avril. Après la découverte des Nouvelles-Hébrides, Bougainville renonce à atteindre la Chine et met le cap à l’ouest, reconnaît les Samoa et traverse les Nouvelles-Hébrides. Il longe en juin la dangereuse barrière de corail qui défend la côte est de l’Australie, passe au large de la Nouvelle-Guinée et traverse l’archipel des Salomon. Cette exploration de la Mélanésie apparaît très rapide, mais le temps presse, car les vivres s’épuisent, tandis que les indigènes se montrent peu accueillants, sinon franchement hostiles. Bougainville entre dans la mer des Moluques et parvient à Batavia fin septembre 1768. Le retour s’opère avec la traversée de l’océan Indien, l’escale à l’Île de France (l’île Maurice) et le passage du cap de Bonne-Espérance. La Boudeuse mouille à Saint-Malo 16 mars 1769.

En mai 1771, Bougainville publie son Voyage autour du monde par la frégate La Boudeuse et la flûte L’Étoile. Son journal de voyage montre la qualité et la justesse de ses observations au sujet des Polynésiens et des Mélanésiens. Ce marin matheux vérifie avec succès la méthode des distances lunaires pour le calcul de la longitude et ses relevés contribuent à améliorer la cartographie du Pacifique. Accueillant les critiques des salons, Bougainville disait qu’après tout, c’était déjà beau d’avoir donné son nom à une fleur (la bougainvillée).

La suite de la trajectoire de Bougainville est moins connue mais tout aussi intéressante. Maintenu dans la marine royale, il prend part comme chef d’escadre aux opérations navales de la guerre d’Amérique. Commandant de L’Auguste dans la flotte de l’amiral de Grasse, il prend part au combat victorieux de la Chesapeake (5 septembre 1781) qui permet la chute de Yorktown, événement décisif de la guerre d’Indépendance. Bougainville continue de servir dans la marine pendant la Révolution et l’Empire. Il fut aussi membre de l’Institut, du Bureau deslongitudes et de la Commission de préparation de la campagne d’Égypte. Napoléon, qui le tenait en haute estime, en fit un sénateur et un comte de l’Empire. Mort en 1811 avec le grade de contre-amiral, Bougainville incarna le modèle de l’officier de marine patriote et savant du siècle des Lumières. Sa dépouille repose au Panthéon.

 

André Zysberg
professeur à l’université de Caen

 

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Source: Commemorations Collection 2011

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