Page d'histoire : Charles d'Orléans Paris (hôtel Saint-Pol), 24 novembre 1394 - Amboise (Indre-et-Loire), nuit du 4 au 5 janvier 1465

Charles d’Orléans et Marie de Clèves, tapisserie, vers 1460-1465, Paris,
musée des Arts décoratifs. Marie de Clèves (1426-1487),
seconde épouse de Charles d’Orléans et mère de Louis XII.
© RMN-Grand Palais / Agence Bulloz

Petit-fils de roi (Charles V est son grand-père) et père de roi (Louis XII), Charles d’Orléans, fils de Louis d’Orléans et de Valentine Visconti, a connu un destin de contrastes. Son père est assassiné en 1407 sur ordre du duc de Bourgogne, Jean sans Peur. Sur le champ de bataille d’Azincourt en 1415, il est fait prisonnier et reste vingt-cinq ans en Angleterre dans l’attente de sa libération, contre une rançon difficile à réunir. En 1409, il voit mourir en couches sa première épouse, Isabelle de France, veuve de Richard II ; sa deuxième épouse, Bonne d’Armagnac, en 1435. La troisième, Marie de Clèves, unie à lui à l’âge de quatorze ans, sur un calcul politique du duc de Bourgogne, Philippe le Bon, dont elle est la nièce, lui survivra. Elle meurt en 1487.

Prince et poète, Charles d’Orléans commence à écrire dès sa jeunesse. Bien éduqué par une mère sensible aux arts et aux lettres, il occupe le temps de la prison à l’écriture : « De balader j’ay beau loisir, / Autres deduis me sont cassez » [Ballade 40, éd. Mühlethaler, « J'ai bien le loisir de faire des ballades / Les autres plaisirs me sont interdits. »]. Mais la poésie est plus qu’un passe-temps pour le duc. L’organisation de son manuscrit personnel, le fameux manuscrit de la Bibliothèque nationale de France, [ms Français 25458] le montre. Charles d’Orléans a une conscience d’auteur. Il vit une vie en poésie. Le recueil qu’il rapporte d’Angleterre en 1440 comporte essentiellement des ballades que le poète a encadrées de deux textes narratifs en vers, « La retenue d’Amour » et « La departie d’Amour », sur le modèle du Roman de la Rose de Guillaume de Lorris. Il évoque l’amour, de sa naissance « un bien matin », « le jour saint Valentin », où les yeux, la vue de la beauté jouent un rôle capital, à la mort de l’objet d’amour, la mort de la dame. Charles prend congé de l’amour, en datant sa « départie » de 1437, « le jour troisiesme, vers le soir, / En novembre ». Symétrie parfaite. Le poète est passé de la jeunesse à la vieillesse, son premier médecin donné par Amour, Espoir, devenu « le beau menteur plain de promesse », est remplacé par un second qui a les couleurs de l’âge, Nonchaloir, qui apporte avec lui la rouille de l’ennui.

De retour en France et après une tentative avortée de reconquête des possessions venues de sa mère, en Italie, à Asti, Charles partage son temps entre Blois, où il réside le plus souvent, et Orléans. C’est l’époque des rondeaux, d’une poésie en demi-teinte, « Plus penser que dire », où le poète jette un regard ironique sur lui-même, son entourage et le monde. Le manuscrit personnel du duc enregistre des échanges de pièces avec ses familiers, son médecin, maistre Jehan Caillau, par exemple, d’autres princes, tel René d’Anjou, des poètes d’autres cours, Bourgogne, Bretagne, Bourbonnais, et un poète de passage, en quête de subsides, qui écrit trois pièces de sa main dans le manuscrit du duc : François Villon. L’ensemble des ballades sur le thème : « Je meurs de soif auprès de la fontaine », comme d’autres séries autour de symboles tels que « l’ostellerie de pensée », « la forest de longue actente », « la maison de douleur », « jaulier des prisons de Pensée », sont des témoignages éclatants de cette sociabilité de cour, de ces échanges entres poètes, de cette émulation de la pensée et de la poésie.

Poète du moi, d’un moi éclaté dont les différentes facettes dialoguent entre elles par la grâce de l’allégorie, Charles d’Orléans est le grand poète de la mélancolie dans laquelle il « trempe son encre » pour écrire : « C’est la prison Dedalus / Que de ma merencollie, / Quant je la cuide fallie, / G’i rentre de plus en plus » [Rondeau 331, éd. Mühlethaler, « C’est la prison de Dédale / Que ma mélancolie / Quand je la pense disparue, / J’y rentre de plus en plus. »].

Redécouverte en 1740 par l’abbé Sallier, publiée plusieurs fois au XIXe siècle, par Pierre-Vincent Chalvet de manière partielle en 1802, puis par Aimé Champollion-Figeac en 1842, la poésie de Charles d’Orléans vit dans les mémoires. On a récité enfant : « Le temps a laissé son manteau / De vent, de froidure et de pluie », ou « Hiver, vous n’êtes qu’un vilain » ; on murmure, plus âgé « Il n’est nul si beau passe temps / Que se jouer a sa Pensée », séduits par une poésie du temps qui passe, de la jeunesse perdue dans une immobilité contrainte, la prison, et qui rêve.

Jacqueline Cerquiglini-Toulet
professeur émérite à l’université Paris-IV-Paris-Sorbonne

Source: Commemorations Collection 2015

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