Page d'histoire : Les obsèques nationales de Portalis août 1807

Jean Étienne Marie, comte de Portalis, ministredes Cultes de 1804 à 1807
huile sur toile, Pierre Gautherot, XIXe siècle
Versailles, châteaux de Versailles et de Trianon
© RMN/Gérard Blot

Le « lieu de mémoire » de Portalis est souvent la promulgation en 1804, du Code civil des Français, dont il fut le défenseur, l’architecte et le penseur. En déplaçant sa « commémoration » à ses obsèques nationales et à son inhumation immédiate au Panthéon, voulue par Napoléon, le Haut comité des célébrations nationales fait retrouver, sous les bustes, l’homme. L’ampleur du personnage dépasse sa participation au Code civil, comme l’établit la biographie récente de J. B d’Onorio.

L’université d’Aix vient-elle de former un maître du Barreau ? Les remières plaidoiries l’augurent dès les années 1770 et il est vite appelé dans de « grandes causes », telle la défense des « Dragons du Roi » qui fut en 1790 sa dernière plaidoirie à Aix, dont le Parlement allait être dissous : accusés d’avoir tué un paysan dans une émeute, ils risquaient d’être écharpés, mais Portalis rappela le droit de tout accusé d’être défendu en vertu de la Déclaration des droits de l’homme comme du « droit naturel ».

Son talent oratoire s’appuie sur une vaste culture juridique. Après le parlement d’Aix, le Conseil des Anciens, puis le Conseil d’État et le Tribunat, comme l’Académie, et Bonaparte lui-même, l’apprécieront. L’autorité du jeune Portalis était telle que le duc de Choiseul le consulta, alors qu’il avait 24 ans, sur la validité et les effets du mariage des protestants après la révocation de l’Édit de Nantes. Les conclusions de Portalis, applaudies par Voltaire, furent le fondement de l’état civil des protestants de 1787.

Dès 1789, tolérant et modéré, il fut effrayé par le déchaînement des passions et des violences. Hostile au nouveau découpage du territoire et à la constitution civile du clergé, puis à la vente de biens de l’Église « nationalisés », il respectait néanmoins la loi. Il participa à la milice des citoyens d’Aix, dont il fit le règlement. On songea à lui pour l’armature du nouveau département : ses amis n’oubliaient pas qu’il avait souvent négocié à Paris des aides à la Provence. Mais c’est précisément pour cela qu’il découragea toute tentative pour le rallier, et déclina toute mission contredisant son engagement.

De 1791 à 1794, l’étau se resserra. S’estimant menacé, il partit en 1792 pour Lyon, et fut alors inscrit sur la liste des émigrés. Il crut plus sûr en 1793 de venir à Paris, où il avait conservé des relations, mais fut arrêté en décembre. Quelques amitiés le firent échapper à la Conciergerie, et interner à la Maison de Santé de la rue de Charonne. Il y prépara sa plaidoirie devant le Tribunal révolutionnaire, où il eut la chance de retrouver un ami aixois : on glissa son dossier au bas de la pile soumise à l’accusateur public. Libéré en septembre 1794, il reprit la profession d’avocat, écrivit, fréquenta la section « Brutus » du Faubourg-Montmartre si bien qu’il fut élu au Corps législatif et devint à 49 ans membre du Conseil des Anciens, « la raison de la République ».

Le retentissement de ses interventions sur des sujets brûlants, telle la censure préalable, et la dénonciation du danger pour la démocratie de « sociétés particulières vouées aux discussions politiques », le conduisirent à la présidence de ce Conseil. Entre conventionnels et royalistes, il était à la tête du parti constitutionnel, mais le Directoire avait senti le danger des oppositions qui s’organisaient ; il fit envahir les assemblées et condamner à la déportation nombre de députés, dont Portalis, et des journalistes. Pour échapper à cette « demi-Terreur », selon son expression, il s’exila avec son fils Joseph-Marie – sa quasi-cécité lui imposant d’être accompagné.

Il passa en Suisse, puis en Allemagne et accepta une invitation au grand duché de Holstein. Il y resta presque deux ans et y conçut une véritable « somme » : De l’usage et de l’abus de l’esprit philosophique durant le XVIIIe siècle, qui ne paraîtra qu’en 1820.

La déclaration des Consuls du 15 décembre 1799 : « La Révolution est fixée aux principes qui l’ont commencée : elle est finie... » permet à Portalis de rentrer en France. Tout va très vite dès lors, grâce notamment à Cambacerès. Ils appréciaient réciproquement leur finesse de juriste, et étaient liés par la francmaçonnerie : le Conseil des Prises, en avril, le Conseil d’État en septembre 1800, alors que Portalis a déjà été nommé en août à la Commission de rédaction du Code civil, dont Cambacerès étudiait le projet depuis la Constituante. Dès janvier 1801, le texte est remis au gouvernement, précédé du « Discours préliminaire » non signé, mais oeuvre évidente de Portalis : des pages entières écrites par lui avant la Révolution, ou pendant l’exil, constituent des références pérennes.

Tout a été dit sur l’apport de Portalis à la « constitution civile de la société française ». Après le Portalis historique, le Portalis « intemporel » (J.F. Niort) peut-il nous aider à restaurer la qualité et la sécurité d’un droit redevenu pluriel et sectorisé ? Ne doit-on pas encore dire que la loi fixe les maximes générales mais ne doit pas descendre dans le détail, qu’elle ne peut jamais atteindre tous les cas possibles et qu’il faut laisser au juge une latitude née de la nécessité ?

Ce Portalis, toujours actuel – non parce que devenu immortel en entrant à l’Académie – ne cesse d’être cité dans les cours souveraines comme par les présidents des assemblées parlementaires dans leurs recherches sur le droit aujourd’hui.

Mais ne quittons pas Portalis sans le créditer du Concordat : il est, dans sa maison familiale, un portrait de lui tenant dans ses mains le Concordat, dont il était si fier.

Le rétablissement de la paix religieuse était, pour Bonaparte, une priorité de la restauration sociale. Signé dès 1801, le Concordat doit « concilier le bien de la religion de la majorité des Français avec le maintien de la tranquillité publique » – donc avec la police des cultes. Croyant sincère doté du sens de l’État, Portalis était l’homme de cette mission ; il fut donc directeur puis, en 1804, ministre des cultes. Mission difficile, car il fallait trouver l’équilibre entre de multiples opposants. La solution fut pour Napoléon, comme pour Portalis, dans les « Quatre articles du clergé de France » – la déclaration rédigée par Bossuet, dont la clef de voûte est que l’Église n’a reçu de puissance de Dieu que sur les choses spirituelles. S’appuyant sur cette « charte » de l’Église gallicane, il démontrait que les articles organiques pour l’application du Concordat, jamais négociés et rejetés par Rome, entraient dans cette tradition.

Le discours de Portalis sur l’organisation des cultes ne heurtait pas Napoléon et permit une gestion assez favorable à l’Église. Pour Portalis, « l’esprit religieux était l’âme universelle de la morale... les principaux articles d’une morale naturelle constituant le fond de toutes les religions... »

Les institutions et les hommes doivent être jugés en leur temps : cet homme de tradition a eu le génie de rattacher la pensée juridique et philosophique des tumultes de son époque à l’ère nouvelle qui s’ouvrait.

 

Marceau Long
vice-président honoraire du Conseil d’État
président de la Société des amis des archives de France

 

Source: Commemorations Collection 2007

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