Page d'histoire : Arrestation du premier assassin confondu par ses empreintes digitales 16 octobre 1902

Adolphe Bertillon vers 1890 par Nadar
Collections du laboratoire de police scientifique
© Préfecture de Police de Paris

fiche signalétique et dactyloscopique de Henri-Léon Scheffer
Collections du laboratoire de police scientifique
© Préfecture de Police de Paris

L'affaire Scheffer : une victoire de la science contre le crime ?

Le 16 octobre 1902, 107, rue du Faubourg Saint-Honoré à Paris, on découvre, dans l'appartement d'un dentiste, le corps de son domestique assassiné. Le vol semble à l'origine du meurtre. Le voleur, sans doute surpris en pleine effraction, a laissé de nombreuses empreintes de doigts sur la vitrine d'un médailler fracturé.

Servi par un concours de circonstances étonnant, Alphonse Bertillon, directeur du service de l'Identité judiciaire, réussit à les identifier comme étant celles d'un certain Henri-Léon Scheffer, né en 1876, arrêté et fiché quelques mois plus tôt. Dans un rapport au juge d'instruction daté du 24 octobre, il démontre la similitude des empreintes et explique que leur disposition prouve qu'elles ont été faites après le bris de la vitrine. C'est la première fois qu'un assassin est identifié, convaincu de meurtre et condamné à l'aide de ses empreintes : " les seuls dénonciateurs qui ne trompent ni ne mentent jamais ".

Cette affaire, d'un grand retentissement, fut à la source d'une illusion durable : la police, parvenue " à ce degré supérieur de l'évolution policière ", serait à même de résoudre les affaires les plus complexes par des méthodes " scientifiques ".

Elle présente par ailleurs un double paradoxe lié au rôle de Bertillon.

Inventeur de l'anthropométrie, ce dernier est à l'origine d'une " science criminelle " qui parut suffisamment riche de promesses à ses contemporains pour qu'ils le placent, aux côtés de Pasteur, au rang des savants d'exception que la France avait donnés au monde.

En quelques années, le " bertillonnage " triompha jusqu'en Amérique. Il comportait cependant des faiblesses. Si l'anthropométrie permettait de distinguer deux individus dissemblables, elle ne permettait pas d'affirmer que deux séries identiques désignaient la même personne. Ce moyen, ce sont les crêtes papillaires que l'on trouve à l'extrémité des doigts qui l'offrent. Utilisées empiriquement par l'administration anglaise au Bengale, classées par Galton et Henry entre 1886 et 1894, les empreintes digitales constituent la marque d'identification que l'on cherchait avec obstination en cette fin de siècle obsédée par la " montée du crime " et la récidive.

Elles présentent un autre avantage : celui de subsister après le passage d'un criminel. L'affaire Scheffer le démontra de façon spectaculaire : la dactyloscopie allait bouleverser la police judiciaire.

Le paradoxe vient de ce que ce fut Bertillon qui réalisa cette première mondiale alors qu'il marqua toujours une grande réticence à l'égard d'un système concurrent du sien. Cette réussite n'empêcha d'ailleurs pas que, jusqu'à sa mort, en février 1914, il refusa d'abandonner un classement anthropométrique que toutes les polices du monde avaient délaissé dès le tournant du siècle.

Le deuxième paradoxe est plus inquiétant, il concerne le rôle de " l'expert " convoqué par la justice pour dire le " vrai ". Bertillon, fondateur de la criminalistique, fut à ce titre souvent convié par les tribunaux aux fins d'expertise. Or, dans l'affaire Dreyfus, il avait fait preuve d'un tel parti-pris, d'une telle obstination à nier l'évidence, qu'ils firent douter de sa raison et que la commission scientifique, dirigée par Henri Poincaré, convoquée par la Cour de cassation, eut beau jeu de démontrer la dérive et les dangers d'une pseudo technicité.

C'est assez dire que l'événement de 1902 comporte autant de menaces que de promesses.

Jean-Marc Berlière
professeur à l'université de Bourgogne

Pour aller plus loin

  • Les Archives nationales ont publié le catalogue de l'exposition Fichés ? Photographies et identifications du Second Empire aux années soixante organisée en 2011 .
  • Criminocorpus, plateforme francophone de publication scientifique en ligne sur l’histoire de la justice, des crimes et des peines, consacre plusieurs dossiers à la police scientifique et au bertillonnage.

Source: Commemorations Collection 2002

Liens