Page d'histoire : François Viète Fontenay-le-Comte (Poitou), 1540 - Paris, 23 février 1603

François Viète

Du moins pour ce qui concerne sa gloire, François Viète a eu le malheur d’être étiqueté « vendéen ». Dans la représentation française ordinaire, un intellectuel de haut rang peut-il en effet provenir de ces régions enclavées de l’Ouest où l’on osa défier la République une et indivisible ? Et comme de plus il fréquenta des cercles protestants restés fidèles au pouvoir royal, et reconnut la vertu apaisante du grand geste de l’Édit de Nantes, il n’est pas bien perçu par ceux qui mettent la Vendée en exemple type des persécutions étatiques.

Rappeler qu’il est né à Fontenay-le-Comte, dépendant alors de la province du Poitou, et qu’il fut une figure exemplaire de l’humanisme à la Renaissance, ne touche vraiment que les érudits. Et tout effort de mémoire est vain si l’on rappelle que Viète fut mathématicien, car l’intelligentsia française, du moins celle d’un certain âge, a une revanche à prendre sur les mathématiques du lycée, mathématiques qui la rappellent toujours à la modestie. La phrase : « je n’ai jamais été bon en mathématiques », n’est-elle pas un passeport d’élégance médiatique ? Le génie mathématique a rarement été en France un gage de célébrité.

C’est aussi bien le hasard d’un défi lancé par l’ambassadeur espagnol qui fit repérer Viète comme mathématicien à la cour d’Henri IV. Au moins c’est à Rome que son déchiffrement du code secret espagnol lui valut le soupçon de pratiquer la magie, et Viète trouva la bonne réponse en expliquant sa méthode par écrit en 1590. Mais les mathématiciens eux-mêmes n’ont pas attribué le nom de Viète à un théorème. Pourquoi ? Parce que l’oeuvre de Viète, la plus forte au XVIe siècle, a tellement fécondé les mathématiques qu’elle s’y est perdue. À la façon dont le papillon fait oublier la chrysalide. Si avare de se trouver des devanciers, Descartes avouait pourtant qu’il était parti des mathématiques auxquelles Viète était arrivé.

Les textes de Viète, publiés à compte d’auteur, et par un homme qui ne fut jamais professeur dans une université,s’arrachaient encore chez les spécialistes au milieu du XVIIe siècle. Comment le caractériser en quelques mots ? Peut-être en faisant valoir sa capacité à faire de la manipulation de la langue algébrique un raisonnement, maintenant par cette langue toujours visible l’objet du calcul. Est symbolique de ce fait que dans l’écriture de tout problème géométrique, Viète distingua les quantités inconnues des quantités constantes par l’usage opposé des voyelles et des consonnes.

Viète n’incarne-t-il pas magnifiquement l’esprit de la Renaissance, et son rapport au savoir antique qui fonde les Modernes, en écrivant : « l’Art que je produis aujourd’hui est un art nouveau, ou du moins tellement dégradé par le temps que j’ai cru nécessaire de lui donner une forme entièrement neuve ». Il écrivait en latin, langue de l’essentiel de son œuvre, et c’est sans doute une raison encore du faible renom de Viète en France. Pensons que ses oeuvres n’ont pas encore été rassemblées en une publication critique ! N’est-il pas grand temps de le faire ?

Jean Dhombres
directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales

Source: Commemorations Collection 2003

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