Page d'histoire : Saint Augustin Thagaste, 13 novembre 354 - Hippone, 28 août 430

Saint Augustin par Philippe de Champaigne, 1645-1650

Aurelius Augustinus naît le 13 novembre 354 à Thagaste (1), au cœur de cette Numidie qui avait d’abord prospéré sous des rois – Syphax, Massinissa – avant de s’épanouir dans le cadre d’une romanisation réussie. Le phare en avait été, deux siècles auparavant, un voisin, Apulée de Madaure. D’une famille de bourgeoisie modeste, où le père est encore païen alors que la mère, Monique, est une pieuse chrétienne, le jeune Augustin est remarqué par un mécène local, qui finance ses études supérieures à Carthage : des études littéraires brillantes, avec mieux qu’un soupçon de philosophie, un cursus fait pour mener un jeune homme bien doué à la carrière de professeur de rhétorique, en un temps où la parfaite maîtrise du bien parler permettait encore de hautes espérances. De fait, Augustin est à vingt ans titulaire d’une chaire à Carthage, avant d’aller chercher fortune à Rome, puis à Milan, alors la capitale de l’Empire d’Occident. Au -printemps 386, dans sa trente-deuxième année, il est au seuil d’une réussite à laquelle il aspire encore : un beau mariage, bientôt sans doute un poste dans la haute administration impériale. Mais l’écoute d’Ambroise, l’évêque de la ville, la lecture de saint Paul, la contagion aussi de quelques exemples inclinent cette destinée en un tout autre sens. Au mois d’août 386, dans un jardin de Milan, une voix divine prend les accents de celle d’un enfant pour inciter Augustin à trouver dans un verset de saint Paul le chemin de la « vie parfaite ».

La renonciation à toute ambition temporelle et l’engagement dans une vie de continence concrétisent cette conversion avant même le baptême, reçu des mains d’Ambroise au printemps suivant. L’intellectuel chrétien qu’est devenu Augustin solde son passé dans ses premiers Dialogues et dans les Soliloques. Désireux de vivre désormais une existence de type cénobitique, il retourne en Afrique, chez lui, à Thagaste, où il commence à jeter les bases à la fois d’une anthropologie et d’une doctrine du christianisme, avec des livres comme le Traité du libre arbitre et le texte Sur la vraie religion.

Mais le cours de cette destinée s’infléchit encore une fois. Le fils tant aimé meurt à 18 ans. Augustin se rend à Hippone (2) pour y fonder un monastère. Mais dans l’église de la ville, reconnu, entouré, il est ordonné prêtre séance tenante, à son corps défendant. Quatre ans plus tard, en 395, il sera nommé évêque-coadjuteur, bientôt titulaire du siège. Une autre vie commence, où l’on ne s’appartient plus. L’admirable est que les contraintes du service pastoral – les offices, bien souvent la prédication –, de l’assistance juridique et sociale aux fidèles, de la présence aux conciles, celles aussi, constamment présentes durant les vingt premières années de l’épiscopat, des luttes menées contre les manichéens puis contre les donatistes, n’aient pas fait obstacle à l’élaboration d’une œuvre immense, le plus souvent dictée par l’évêque entouré de ses secrétaires dans le silence de la nuit. Les Confessions, livre immortel, seront ainsi élaborées en l’espace de deux ou trois ans ; la rédaction de la Cité de Dieu s’échelonnera sur une quinzaine d’années, du lendemain de la prise de Rome par Alaric à l’année 425 ; celle du Traité sur la Trinité l’occupera plus longtemps encore. Outre ces œuvres mûrement méditées – il faut y ajouter le Commentaire sur la Genèse, les livres Sur la nature et l’origine de l’âme –, les ouvrages de circonstances, écrits à la faveur des débats menés contre les donatistes, contre les ariens, contre les pélagiens, amèneront Augustin à aborder tous les problèmes – sur le temps de l’Histoire, sur l’âme humaine, sur Dieu, sur la liberté de l’homme et sur la grâce – que l’Antiquité finissante se posait, et à leur donner des réponses qui seront son legs au Moyen-Âge occidental.

« Nul dans l’Occident chrétien, disait Henri-Irénée Marrou, n’a plus qu’Augustin mis d’idées en circulation ». Mais il traduisait déjà ce sentiment, celui qui sans nommer le modèle identifiait ainsi le portrait peint à fresque au VIe siècle au Palais du Latran, à Rome : « Les Pères de l’Église ont dit les uns ceci, d’autres cela ; mais celui-ci a tout dit dans le langage des Romains, dévoilant de sa grande voix les sens mystiques de l’Écriture ». Miraculeusement transférée des murs de l’Hippone vandale dans ceux de la bibliothèque apostolique, l’œuvre augustinienne allait traverser les siècles, résister à l’épreuve des filtres et des tamis de la scolastique médiévale, inspirer des esprits aussi divers que ceux de Thomas d’Aquin, saint Bonaventure, Duns Scot, Luther et Érasme, et nourrir en notre temps la réflexion de philosophes comme Hanna Arendt et Paul Ricœur. Mais c’est l’Âge classique français, notre XVIIe siècle, de Descartes à Pascal, et à travers la grande et douloureuse querelle du Jansénisme, qui est tout particulièrement redevable au génie de saint Augustin. Cette dette justifie à elle seule que le 1650e anniversaire de la naissance de l’enfant de Thagaste, de l’évêque d’Hippone, soit commémoré dans nos célébrations nationales.

 

Serge Lancel
Membre de l'Institut

 

1. Aujourd’hui Souk-Ahras (Algérie)
2. Aujourd’hui Annaba (Algérie)

Source: Commemorations Collection 2004

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