Page d'histoire : Etienne Louis Boullée Paris, 12 février 1728 - Paris, 4 février 1799

Projet de métropole, «Vue intérieure au temps des Ténèbres»
Paris, Bibliothèque nationale de France

© BNF

L'architecte qui proclamait à la veille de la Révolution que son art était "encore en son enfance", le maître qui n'eut jamais autant de disciples qu'à la fin du XXe siècle, le visionnaire dont les dessins sont aujourd'hui, partout dans le monde, exposés, reproduits, exploités, à l'affiche comme à la scène, fut un sédentaire, né et mort à Paris, une homme de tradition, fidèle à ses maîtres et à ses amis. S'il s'éloigna de Paris, ce fut tout au plus de quelques lieues. On ne le vit ni à Rome, où s'empressaient les artistes de sa génération, ni à Londres où se retrouvaient déjà les esprits plus avertis. Partageant les faveurs dont jouissaient les architectes français, il travailla pour l'Allemagne et pour la Russie, mais sans sortir de son cabinet. Pourquoi l'aurait-il fait alors que toute l'Europe était à Paris ?

Le père d’Etienne Louis Boullée, qui était lui-même architecte, le détourna de sa vocation pour la peinture en le mettant à l'école de Jacques François Blondel et de Jean Laurent Legeay, qui le formèrent. Bien placé dans le réseau des solidarités parisiennes et soutenu par la critique, il remporta quelques succès (aménagement de l'église Saint-Roch, 1752-1763 ; salon de M. Tourolle, 1762) qui lui attirèrent les faveurs de la clientèle privée. Pendant une décennie, il construisit des hôtels particuliers, notamment l'hôtel de Brunoy (1774) aux Champs-Élysées, qui fut célèbre car il conciliait les exigences contradictoires de la commodité à la française et de la monumentalité à l'antique. Cependant les réalisations furent rares (il n'en reste que l'hôtel Alexandre, bien modifié) ; Boullée s'accommodait mal de la sujétion aux particuliers et de la modicité des programmes. La commande publique était plus à sa mesure : il participa à quelques concours, qui nous ont valu de beaux dessins ; mais il dut s'incliner devant des confrères plus habiles et moins exigeants. Il se voua très tôt à la théorie et à l'enseignement. Il participa activement aux travaux de l'Académie royale d'architecture, dans laquelle il était entré dès 1762 (il dut en revanche attendre 1780 pour passer en la première classe).

A la mort de Blondel (1774), qui était le professeur en titre de l'Académie, Boullée régenta l'organisation des concours académiques et notamment celui du Grand Prix, qui assurait au lauréat une brillante carrière. Ses élèves l'emportèrent d'autant plus facilement dans les concours que Boullée en choisissait lui-même les sujets et mettait à la disposition de ses protégés des "corrigés". Ces corrigés ont fait la réputation internationale de Boullée : dans la première moitié du XIXe siècle, par la médiation des projets des concours diffusés par la gravure ; au XXe siècle, par la diversité des dessins originaux légués à la Bibliothèque nationale, auxquels l'érudition comme la profession ont fait une renommée posthume. Louis Kahn était un admirateur de Boullée.

Ces dessins, à la Piranèse ou à la Hubert Robert, qui révèlent un authentique talent de peintre, avaient aussi vocation pour illustrer l'Essai sur l'art, son traité resté inédit jusqu'au XXe siècle. Paradoxalement, Boullée qui a été reconnu comme une sorte de Vitruve de la modernité, comme le maître des derniers architectes du millénaire, n'avait pas d'autre ambition que d'accomplir l'idéal d'une architecture universelle, longtemps poursuivi par les thuriféraires du classicisme. Récusant le modèle de l'architecture gréco-romaine (tout en l'utilisant) jugée trop contingente, il prône l'imitation de l'architecture primitive, et plus directement l'imitation de la nature, modèle originel. Le cénotaphe de Newton (1784) est une énorme sphère à l'image de l'univers discipliné par la théorie du savant.

Jean-Marie Pérouse de Montclos
directeur de recherche au CNRS

Source: Commemorations Collection 1999

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