Page d'histoire : Georges Jacques Danton Arcis-sur-Aube, 26 octobre 1759 - Paris, 5 avril 1794 (16 germinal an II)

Après avoir été portée aux nues par les positivistes et par l’historien Alphonse Aulard, la figure devenue emblématique de Danton a été noircie à l’excès par un autre grand historien, le très robespierriste Albert Mathiez († 1932), lequel s’est acharné, avec une érudition féroce et jubilante, à traquer les moindres travers du personnage, à commencer par son opportunisme et sa vénalité, et à tenter d’explorer les moindres zones d’ombre d’une carrière mouvementée, jalonnée de compromis et de compromissions. Cette entreprise de déboulonnage de l’« idole pourrie » (Saint-Just) n’a pas empêché Danton, biographies un peu complaisantes à l’appui (Louis Barthou, 1932), de rester aux yeux des Français l’un des plus populaires parmi les hommes de la Révolution.

Né en Champagne dans un milieu de toute petite bourgeoisie robine, avocat aux Conseils du Roi (1787), Danton a été successivement président du district des Cordeliers (1789), administrateur du département de Paris puis second substitut du procureur de la Commune (1791), ministre de la Justice au lendemain du 10 Août puis député de la Montagne à la Convention nationale (1792), régicide (janvier 1793) et membre du « Comité de salut public » de la Convention (du 6 avril au 10 juillet 1793). Bon vivant et même jouisseur, très grand orateur d’improvisation, ayant un rare sens des formules (« Après le pain, l’éducation est le premier besoin du peuple »), le « Mirabeau de la populace » incarne une violence révolutionnaire plus physique et spontanée qu’idéologique. « Capable d’une atrocité et point atroce, accessible aux bons sentiments et aux mauvais » (selon Roederer), « trop voluptueux pour son ambition et trop indolent pour acquérir le pouvoir suprême » (selon l’Américain Gouverneur Morris), Danton a réussi à parcourir les cinq premières années de la Révolution en demeurant humain jusque dans ses outrances, à la différence de certains Jacobins idéologues dans l’âme et terroristes par doctrine.

Aujourd’hui que la mémoire et les mémoires – avec les émotions simples qu’elles véhiculent – ont tendance à supplanter une vision historique des choses, célébrer la naissance de Danton revient à faire un choix. C’est choisir d’oublier les innombrables faiblesses du personnage pour ne se souvenir que du patriote de 1792, et non point de l’homme qui, alors ministre de la Justice, a laissé faire les massacres de Septembre dans les prisons parisiennes (« Je me fous bien des prisonniers » ; « Nous ne pouvons gouverner qu’en faisant peur ») mais de celui qui, au même moment, a incarné le sursaut national face à l’invasion des armées autrichienne et prussienne (« Tout appartient à la patrie quand la patrie est en danger » ; « De l’audace, toujours de l’audace, encore de l’audace et la France est sauvée ») et qui, un an et demi plus tard, pour avoir voulu freiner une Terreur d’État qu’il avait lui-même contribué à déchaîner, s’est débattu comme un beau diable devant le Tribunal révolutionnaire avant de monter crânement sur l’échafaud.

Physique massif, laideur somptueuse, attitude martiale : la magnifique statue qui domine le carrefour de l’Odéon (1891) perpétue à Paris l’image qu’a voulu immortaliser la IIIe République, celle de l’homme de l’« audace ».

Frédéric Bluche
maître de conférences à l’université Paris II

Source: Commemorations Collection 2009

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