Page d'histoire : Le traité des Pyrénées 7 novembre 1659

Don Luis de Haro fermant le temple de la Guerre et Mazarin ouvrant celui de la Paix,
gravure allégorique commémorative de la paix des Pyrénées, 1659
Paris, BnF © Cliché BnF

Le traité des Pyrénées, en mettant un terme à la guerre entamée en 1635 entre la France et l’Espagne, clôt une longue période d’un siècle et demi marquée par la prééminence de la maison de Habsbourg qui, forte de sa double implantation à Vienne et à Madrid et détentrice quasi assurée de la couronne impériale, prétendait à la monarchie universelle. Il instaure un nouvel ordre international, au bénéfice de notre pays.

Ce traité s’inscrit dans une continuité. Il est le fruit d’une activité diplomatique incessante, menée par Mazarin parallèlement aux opérations militaires. En 1648, la paix générale parut à portée de main. L’Empereur, menacé jusqu’aux portes de Vienne, se retira du conflit. Lors des traités de Westphalie, il dut céder à la France ses possessions alsaciennes (à l’exclusion des « villes libres », dont Strasbourg) et octroyer à ses vassaux allemands une autonomie qui vidait le titre impérial de sa substance. Mais l’Espagne refusa d’y souscrire et continua la lutte. Si elle l’emportait, les mesures imposées à son cousin deviendraient caduques. La politique étrangère voulue par Richelieu et poursuivie par Mazarin risquait de sombrer. La guerre étrangère, doublée pour partie d’une guerre civile, se prolongea dix ans avant que ce dernier pût enfin, grâce à la victoire des Dunes, engager les négociations en position de force.

Les accords préliminaires signés le 4 juin 1659 et connus sous le nom de traité de Paris, demandaient à être complétés. Mazarin tenait à un règlement global de tous les points litigieux. Ainsi s’explique la multiplicité des questions dont discutèrent pied à pied, du 13 août au 7 novembre 1659, le cardinal ministre et son homologue castillan Don Luis de Haro, réunis sur la Bidassoa dans l’Île des Faisans. Étaient en cause non seulement les deux belligérants, mais leurs alliés respectifs – autrement dit l’Europe entière. Le traité comportait 124 articles, dont voici l’essentiel.

L’Espagne, souscrivant aux clauses de Westphalie, reconnaissait les droits de la France sur l’Alsace, avec deux places clefs sur le Rhin, Brisach et Philippsbourg. Elle lui concédait le Roussillon et la Cerdagne (moins Llivia) ; l’Artois (moins Aire et Saint-Omer) ; trois places en Flandre (Gravelines, Saint-Venant et Bourbourg) ; trois en Luxembourg (Montmédy, Thionville et Damvillers) ; deux en Hainaut (Le Quesnoy et Landrecies). D’âpres discussions opposèrent les négociateurs au sujet de Condé, que l’Espagne voulait rétablir dans ses biens et prérogatives alors que Louis XIV tenait à lui faire payer sa trahison. Mazarin dut s’incliner, mais obtint en échange trois places de plus en Hainaut (Philippeville, Mariembourg et Avesnes), comme rançon du pardon accordé au prince. En dépit des consignes laissées par Richelieu, il consentit à rendre la Lorraine à la famille ducale, mais assortie de conditions très dures : cession du duché de Bar et des places de Clermont-en-Argonne, Stenay, Moyenvic, Dun et Jametz, démantèlement des fortifications de Nancy, droit de passage pour les armées françaises se rendant en Alsace. C’était la soumettre à l’emprise française, dans l’attente d’un rattachement.

Mazarin usa de sa victoire avec modération et borna ses exigences. Ces acquisitions, quoique dispersées, assuraient à la France une relative sécurité sur ses frontières les plus vulnérables. Il renonça à la conquête des Pays-Bas espagnols qui nous aurait livré la rive gauche du Rhin : un casus belli pour les Anglais et les Hollandais. Il restitua donc à l’Espagne toutes les autres places occupées et il remit aux Anglais celle de Dunkerque, promise pour prix de leur alliance. Il se garda d’humilier ses adversaires et leur sauva la face, pour prévenir tout esprit de revanche. Il donna donc le maximum de publicité à la clause du mariage entre Louis XIV et sa cousine l’infante Marie-Thérèse. Lorsque les deux souverains se rencontrèrent le 6 juin 1660, pour jurer solennellement la paix, il n’y avait ni vainqueur ni vaincu, tous baignaient dans la joie d’une réconciliation familiale. Quelques arrière-pensées avaient bien présidé au contrat. L’Espagne imposait à l’infante de renoncer à l’héritage paternel. Mais Hugues de Lionne eut l’habileté grâce à un simple mot – moyennant – de lier la renonciation au versement effectif de la dot compensatoire, réservant ainsi les droits de la jeune reine. Clause périlleuse : tout dépendrait de l’usage qui en serait fait.

Mazarin, raisonnant en européen, voulait une paix à l’échelle du continent. Il paracheva son œuvre en sommant les pays du Nord de régler leurs différends – ce qu’ils firent. Il put mourir « content », ayant atteint tous ses objectifs. L’Europe sortait de ses mains transformée. L’Espagne déclinante renonçait à ses visées impérialistes. La France, enrichie de gains territoriaux et auréolée de sa victoire, s’imposait pour longtemps comme la puissance dominante. Le rêve d’une monarchie universelle pacificatrice, naguère caressé par les Habsbourg, laissait place à une conception réaliste des relations politiques. La paix reposerait sur l’équilibre des forces, la conjonction des États de taille moyenne servant de dissuasion aux appétits des plus gros. Tous s’engageaient à veiller au respect des traités, la France étant vouée au rôle – fort délicat – de gendarme de la paix. Enfin, le traité des Pyrénées prenait acte du fait que les intérêts nationaux prévalaient désormais sur la solidarité confessionnelle et il entérinait la division politique et religieuse de l’Allemagne agréée en Westphalie. Certes il sonnait le glas des tentatives pour y restaurer le catholicisme, mais il coupait court aux projets d’expansion protestante. Ce fut la fin des guerres de Religion dévastatrices.

Jugé sur le long terme, le traité des Pyrénées, liquidant le passé et traçant une esquisse du monde à venir, apparaît donc comme un tournant décisif dans l’histoire de la France et de l’Europe.

 

Simone Bertière
maître de conférences à l’université de Bordeaux III
chargée d’enseignement à l’École normale supérieure de jeunes filles
écrivain

Source: Commemorations Collection 2009

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