Page d'histoire : Maximilien de Béthune, duc de Sully Château de Rosny, 1560 - Château de Villebon, 22 décembre 1641

Portrait de la galerie de Saint-Germain-Beaupré Blois, musée des Beaux-Arts
© RMN/René-Gabriel Ojéda
 

De la naissance de Sully, on sait seulement qu’elle eut lieu dans le vieux château féodal de Rosny, à l’ouest de Mantes. L’événement a pu se produire soit en décembre 1559 soit en janvier 1560. Le choix du millésime 1560 permet de réunir dans un même hommage le premier Bourbon (mort en 1610) et son principal conseiller.

Les destinées des deux hommes sont en effet liées à jamais depuis qu’en juillet 1572 François de Béthune, baron de Rosny, présenta son deuxième fils à Henri de Bourbon, roi de Navarre, venu à Paris pour épouser Marguerite de Valois. Célébré le 18 août, le mariage fut suivi peu après, dans la nuit du 24 au 25, par le massacre de la Saint-Barthélemy ; le jeune page du roi de Navarre y échappa de justesse, tandis que Henri, contraint d’abjurer, était retenu à la cour de France en résidence surveillée. Quand en février 1576 Henri réussit à gagner son gouvernement de Guyenne et ses États souverains, Maximilien le rejoignit et, hormis une courte période en 1581-1583 pendant laquelle il suivit le duc d’Anjou, frère de Henri III et héritier présomptif du trône, dans son expédition aux Pays-Bas, il lui resta fidèle, combattant à ses côtés pendant les guerres de Religion avant de l’assister dans le gouvernement du royaume.

C’est à partir de 1598, quand la paix civile (édit de Nantes) et étrangère (traité de Vervins) permet la reconstruction du royaume, que Henri IV confie au baron de Rosny (il deviendra duc et pair de Sully en 1606) des charges toujours plus nombreuses. Certaines d’entre elles (surintendant des fortifications et grand maître de l’artillerie en 1599, gouverneur de la Bastille en 1602) entrent de toute évidence dans les compétences d’un gentilhomme préparé au métier des armes. La décision de Henri IV de l’appeler en 1598 à diriger les finances de son royaume est plus surprenante mais sans doute due aux services rendus par Maximilien lors du siège d’Amiens dans l’été 1597. Ce dernier, en bon protestant, avait suivi les consignes de Philippe Duplessis-Mornay qui avait demandé aux gentilshommes huguenots de ne pas rejoindre l’armée royale, afin de faire pression sur le roi pour l’amener à signer sans tarder l’édit de Nantes. Dans cette période difficile, Rosny avait su obtenir le financement nécessaire à la poursuite du siège. Son aptitude à trouver de l’argent avait séduit Henri IV qui en fit son surintendant des finances malgré son inexpérience en matière administrative et budgétaire. En peu d’années, Sully réussit non seulement à résorber un déficit public abyssal mais aussi à constituer une réserve monétaire dans le château de la Bastille. En 1599, Maximilien est encore nommé grand voyer de France et en 1602 surintendant des bâtiments. À ce double titre, il mène une ambitieuse politique d’urbanisme et d’aménagement du territoire, dirige à Paris la construction de la place Royale (actuelle place des Vosges), de la place Dauphine et de l’hôpital Saint-Louis, entreprend de grands travaux au Louvre et aux Tuileries, et dans tout le royaume répare les routes, construit des ponts et des canaux (notamment le canal de Briare, qui ne sera terminé que sous Louis XIII). Il a existé une parfaite identité de vues entre le roi et son ministre, sauf au sujet de l’expansion française outre-mer : contrairement à Henri IV, Sully était viscéralement hostile à toute forme de colonisation.

Tout s’écroule en 1610 : après l’assassinat du roi, le 14 mai, la régence est confiée à Marie de Médicis. Après quelques mois d’une cohabitation difficile, Sully doit démissionner de ses charges de surintendant des finances et de gouverneur de la Bastille en janvier 1611. Il vivra encore trente années, au cours desquelles il assistera impuissant à l’anéantissement de son œuvre. Constatant avec amertume l’oubli dont il est victime, désespérant de revenir un jour au pouvoir, il écrit ses Mémoires, les célèbres Œconomies royales, où il rappelle avec insistance, non sans travestir souvent la réalité des faits, l’amitié qui le liait au feu roi et la part qu’il a prise à la restauration du royaume. Il est ainsi l’auteur d’une des entreprises de désinformation les plus audacieuses et les plus réussies de l’histoire.

Après une éclipse sous Louis XIV, la personne et l’œuvre de Sully, tout comme celles de Henri IV, seront remises au goût du jour au XVIIIe siècle par les physiocrates qui feront de lui le protecteur de l’agriculture et le proposeront en modèle, jetant ainsi les bases d’une légende popularisée ensuite par les manuels scolaires. Sully reste dans la mémoire collective, par excellence, le bon ministre d’un bon roi.

Les spécificités du ministère de Sully peuvent se résumer en quelques mots. Premier en date des grands hommes d’État du Grand Siècle, il fut aussi le seul protestant et le seul gentilhomme. Après lui, l’Église (Richelieu et Mazarin), puis la Robe (Colbert et Louvois) ont été appelées à diriger la France. Il est le seul noble d’épée qui se soit aventuré dans les arcanes de la gestion financière, jusque-là réservée aux gens de robe, et qui y ait personnellement acquis une réelle compétence.

La personnalité hors du commun de Maximilien de Béthune a laissé des traces dans l’histoire de la France, et de nombreux souvenirs sur le territoire national. Soixante ans avant Colbert, Sully a instauré l’« État de finance », première forme de « monarchie administrative », ce régime politique où la justice, incarnée par le chancelier de France, s’efface devant les finances et leur surintendant – une situation qui s’est perpétuée jusqu’à nos jours. Parmi les ministres du XVIIe siècle, il a d’autre part été le premier à amasser, grâce aux largesses royales, une grande fortune, bien loin de celles de Richelieu et surtout de Mazarin, mais assez proche de celle de Colbert. Aujourd’hui, une fortune d’homme d’État, quand elle devient trop importante, est suspecte. Sous l’Ancien Régime, elle était le signe que le ministre jouissait de l’estime du roi. Sully a investi sa fortune principalement dans la terre et dans la pierre. De nombreux châteaux évoquent aujourd’hui encore sa mémoire, notamment Rosny-sur-Seine (Yvelines), Sully-sur-Loire (Loiret), Villebon (Eure-et-Loir). Henrichemont (Cher) fut à l’origine une ville nouvelle dont il décida la construction en 1608 et qu’il n’eut pas le temps de terminer. Lui attribuer la plantation des ormes de nos villages relève en revanche de la légende. Sans même quitter Paris, on peut rencontrer le souvenir de Sully à l’Arsenal (sa résidence officielle) et dans ses environs (rue Sully, pont Sully, quai de Béthune, etc.) et à l’hôtel de la rue Saint-Antoine, mais aussi au musée du Louvre et au ministère des Finances à Bercy (en souvenir respectivement du surintendant des bâtiments et du surintendant des finances) et devant l’Assemblée nationale, où sa statue voisine avec celles de Michel de L’Hospital, de Colbert et de d’Aguesseau. Enfin, Sully reste présent dans la mémoire collective par la phrase célèbre « Labourage et pâturage sont les deux mamelles de la France », un mot historique qui n’a pas été prononcé mais qui a été écrit et qu’on peut lire dans les Œconomies royales.

 

Bernard Barbiche
professeur émérite à l’École des chartes
 

Source: Commemorations Collection 2010

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