Page d'histoire : Guillaume le Pieux, duc d’Aquitaine Vers 875 – Lyon (Rhône), 28 juin 918

Christ glorieux, fresque, fin du XIIe siècle, Brioude (Haute-Loire), basilique Saint-Julien.

Lorsqu’il décède, Guillaume d’Aquitaine est à la tête de l’une des plus grandes principautés du royaume des Francs. Fils de Bernard Plantevelue, l’un des fidèles de Charles le Chauve, il apparaît comme un parfait représentant de cette « aristocratie d’Empire » d’origine franque sur laquelle reposait, depuis le règne de Charlemagne, le gouvernement des souverains carolingiens aux périphéries de l’empire. 

Mais Guillaume fait surtout partie de cette génération de princes qui, dans le contexte des raids normands, alors que la royauté est profondément affaiblie et la Couronne disputée entre Carolingiens et Robertiens, s’affranchit de la prérogative royale sur l’attribution des honneurs et entreprend de capter les réseaux vassaliques royaux à son profit. Dès 893, Guillaume, jusque là simple comte d’Auvergne, s’approprie le titre de duc d’Aquitaine, s’efforce de faire entrer Géraud d’Aurillac dans sa fidélité et n’hésite pas à s’opposer au roi Eudes. Cette confrontation ne tourne pas à son désavantage et Guillaume en retire un nouvel honneur, l’abbatiat laïque de Brioude (abbaye où il se fera inhumer aux côtés de saint Julien et de l’empereur Avitus), qui lui confère, outre l’accès à des domaines, des réseaux clientélaires et une emprise sur l’Église régionale, un grand prestige religieux que souligne son surnom. Guillaume cumule alors les titres de comte, marquis, duc et abbé. Le cœur de sa principauté est constitué de l’Auvergne, du Velay et du Gévaudan, mais au nord et à l’est son autorité rayonne jusqu’en Berry, s’étend à l’Autunois, au Mâconnais et au Lyonnais, au sud jusqu’à la Gothie. Dans la grande Aquitaine, elle n’est limitée que par ses voisins, les comtes de Poitiers et de Toulouse. Avant 898, une union prestigieuse avec Engelberge, fille de Boson, roi de Bourgogne Provence, affermit ses positions. C’est fort de cette alliance qu’il fonde, avec son épouse, le 11 septembre 909 ou 910, l’abbaye de Cluny, dont la direction sera plus tard confiée à son protégé Odon. Cette fondation encore modeste s’élève dans le comté de Mâcon, à la limite de la princi­pauté de Guillaume et du royaume de son beau-père. Elle vient conforter cette alliance tout en posant les premiers jalons d’un nouveau monachisme étroitement lié à Rome – l’abbaye est dédiée à Pierre et Paul et placée sous la protection du pape – et en partie dégagé de la tutelle princière – son abbé doit, conformément à la règle de saint Benoît, être « librement » choisi par les moines. La principauté de Guillaume fut éphémère : elle disparut dès 927, à la mort de son neveu Acfred, minée par l’essor des seigneurs locaux. Mais, avec la fondation de Cluny, Guillaume avait contribué à l’exceptionnelle floraison monastique appelée à couvrir l’Europe féodale.

Florian Mazel
professeur d’histoire médiévale à l’université Rennes 2
Institut universitaire de France

Source: Commemorations Collection 2018

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