Page d'histoire : Alexandra David-Néel Saint-Mandé (Val-de-Marne), 24 octobre 1868 – Digne-les-Bains (Alpes-de-Haute-Provence), 8 septembre 1969

Alexandra David-Néel sur la route de Gangtok au Sikkim, en septembre 1912, fonds documentaire de Samten Dzong, Digne-les-Bains (Alpes-de-Haute-Provence), maison d’Alexandra David-Néel.

Femme d’exception, elle naît d’une mère belge catholique et d’un père français protestant, instituteur puis journaliste, révolutionnaire très actif en 1848. Sa mère lui manifeste une « indifférence méchante » : « Tout en moi lui déplaît, comme tout lui déplaisait en mon père. Je lui ressemble tant !… », écrit-elle en 1905. Une enfance sans bonheur, la confrontation violente que lui fait vivre son père avec la mort et la cruauté humaine, alors qu’elle n’a que deux ans, par le spectacle des cadavres des insurgés de la Commune, contribuent sans nul doute à forger très tôt le caractère, le regard sans illusion sur l’homme et le destin de celle qui deviendra féministe, anarchiste, journaliste, mais aussi cantatrice, bouddhiste, voyageuse, ainsi qu’écrivain de talent. Alexandra David-Néel est une aventurière dans l’âme, éprise de liberté et de découvertes dès son plus jeune âge.

C’est au musée Guimet que naît sa vocation, ainsi qu’elle le relate dans L’Inde où j’ai vécu. Dans l’une de ses dernières lettres, adressée en février 1969 à la directrice, Jeannine Auboyer, elle rappelle que cette institution représente toute sa jeunesse et ses aspirations de débutante orientaliste, et qu’elle a côtoyé Émile Guimet, son fondateur. Elle avait découvert le « musée-temple » peu après sa création en 1889 et adopté le bouddhisme quelques années plus tard, en 1892, devenant « la première bouddhiste de Paris », après avoir été catholique, puis protestante unitarienne. C’est pourquoi des peintures himalayennes de sa collection et les centaines d’ouvrages de sa bibliothèque tibétaine seront légués au musée. Son premier article sur le bouddhisme, paru dans le journal L’Étoile socialiste (1895), après un séjour en Inde (1894), est peu connu, mais fort révélateur d’une personnalité rebelle et insoumise, pour qui le but de l’existence est de vaincre la souffrance, omniprésente, non de s’y résigner en victime, et ce par un incessant combat contre l’ignorance qui en est la cause, conformément aux préceptes du bouddhisme : « Nous marchons à tâtons dans la nuit, sans connaître notre véritable nature, l’esprit plein de préjugés, voyant les choses faussement… C’est l’humanité qui se crée elle-même l’enfer où elle gémit. » Âgée alors de vingt-sept ans, elle mène cependant une carrière de cantatrice (1888-1902), car c’est ainsi qu’elle gagne sa vie, non sans succès. Elle suit au Collège de France les cours de sanskrit de Sylvain Lévi, dont elle deviendra l’amie, mais aussi d’Édouard Foucaux qui fut en outre le premier tibétologue français et celui qui lui parla du Tibet pour la première fois. Dans les années qui suivent, elle s’emploie à se faire connaître en rédigeant livres et articles.

Son premier grand périple en Asie (1911-1925) va la rendre célèbre. Elle est, en effet, la première Européenne à atteindre Lhassa, la capitale du Tibet interdit en février 1924, au terme d’un dangereux voyage clandestin de 2 000 kilomètres à pied, affrontant l’hiver avec Yongden, son assistant et disciple, originaire du Sikkim où elle séjourna longuement.

Alexandra David-Néel ne pouvait être une épouse ordinaire : réfractaire à la vie conjugale, elle ne vécut que quelques mois avec son mari (Louise Eugénie Alexandrine Marie David a épousé en 1904 Philippe Néel de Saint-Sauveur). Néanmoins, en dépit de leur séparation, un lien exceptionnel les unira jusqu’à la mort de celui-ci en 1941, et elle lui adressera des centaines de lettres, tout au long de ses pérégrinations asiatiques. Elle fut aussi une mère hors norme, faisant de Yongden, engagé à son service à quatorze ans, son fils adoptif.

Par ses multiples ouvrages, récits de voyages, textes philosophiques, elle partagea de manière vivante son expérience directe de la culture et du bouddhisme du monde tibétain, marquant ainsi l’histoire de leur découverte par l’Occident. Mais il faut souligner qu’en retour sa réputation de « dame lama » s’était répandue au Sikkim et au Tibet, par le biais des personnalités religieuses qu’elle y avait rencontrées, les enseignements qu’elle avait même parfois prodigués à leur demande. C’est cette réputation, non de simple érudite, mais de bouddhiste engagée dans une exigeante pratique personnelle, qui lui permit de rencontrer le treizième dalaï-lama. Elle fut la seule femme occidentale à pouvoir ainsi l’interroger au sujet des « hautes théories philosophiques du bouddhisme ».

Ses voyages, ses écrits, son existence tout entière témoignent d’une extraordinaire et infatigable quête de liberté, extérieure et intérieure. Sa maison, achetée en 1928 et léguée à la ville de Digne-les-Bains, a reçu en 2016 l’appellation « musée de France ».

 

Nathalie Bazin, conservateur en chef du patrimoine
musée national des arts asiatiques – Guimet

Source: Commemorations Collection 2018

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