Page d'histoire : Émile Reynaud Montreuil-sous-Bois (Seine-Saint-Denis), 8 décembre 1844 – Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne), 9 janvier 1918

Jouet d’optique dit Praxinoscope et bande lithographique « La nageuse ». À plat, les bandes « Glissade et saut-de-mouton » et « Le steeple-chase », par Émile Reynaud, fin du xixe siècle, Paris, musée des Arts et Métiers – CNAM.

Jeune professeur au Puy-en-Velay, Émile Reynaud se passionne très tôt pour la lanterne magique et les jouets d’optique. S’inspirant du Phénakistiscope de Joseph Plateau (1832), il conçoit en 1877 son « Praxinoscope » (de deux mots grecs signifiant « action » et « montrer »), où douze images successives représentant un mouvement sont obturées une à une, au moyen de douze miroirs prismatiques rotatifs. Reynaud commercialise avec succès son appareil en 1878 et s’attache à le perfectionner : le Praxinoscope-théâtre en 1879, par exemple, offre de charmantes images lithographiées et animées en trois dimensions.

La version la plus complexe, le Théâtre optique, est brevetée le 1er décembre 1888. Reynaud tente de vendre cet appareil, mais en vain. Il se décide alors à l’exploiter lui-même. L’inauguration des Pantomimes lumineuses a lieu au musée Grévin, 10 boulevard Montmartre à Paris, le 28 octobre 1892. Les projections, accompagnées par la musique de Gaston Paulin, connaissent un succès durable : quelque 500 000 personnes ont assisté, entre 1892 et 1900, à 12 800 séances du Théâtre optique.

Dans cet appareil volumineux, une longue bande peinte de 70 mm de large, régulièrement perforée entre les images, défile devant le condensateur d’une lanterne, grâce à un tambour à goupilles saillantes. La bande peut progresser en avant ou en arrière, au gré de l’opérateur. Les images se réfléchissent sur les prismes en rotation, puis sont projetées sur un miroir, et enfin sur un écran. Piano et effets acoustiques accompagnent les saynètes. C’est un spectacle vivant, Reynaud pouvant varier les effets et la vitesse de ses personnages animés.

Refusant l’aide de la photographie, Émile Reynaud a peint, une par une, les images (mesurant 6 × 6 cm) de chacune des bandes de son répertoire. Travail de bénédictin, lorsqu’on sait qu’Autour d’une cabine, par exemple, projeté au musée Grévin en 1894, contient 636 poses peintes sur gélatine (la bande mesure 45 m de long). En tout, Reynaud a peint minutieusement, avec grande poésie, sept saynètes : Pauvre Pierrot !, Autour d’une cabine, Un rêve au coin du feu, Le Clown et ses chiens, Un bon bock, Guillaume Tell, Le Premier Cigare.

La cinématographie va rendre obsolète la méthode artisanale et solitaire de Reynaud, qui meurt dans la misère en 1918. Désespéré, il a détruit son Théâtre optique et la majorité de ses bandes peintes. Seuls deux chefs-d’oeuvre ont survécu, Pauvre Pierrot ! et Autour d’une cabine. Avec Émile Reynaud, l’art des projections lumineuses a atteint un sommet d’audace technique et de poésie. Il a ouvert la voie au dessin animé cinématographique : Walt Disney le reconnaîtra comme l’un des plus grands précurseurs.

Laurent Mannoni
directeur scientifique du patrimoine et du Conservatoire des techniques Cinémathèque française

Source: Commemorations Collection 2018

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