Page d'histoire : Auguste Perret Ixelles (près de Bruxelles), 12 février 1874 - Paris, 25 février 1954

Auguste Perret par Antoine Bourdelle, 1921

Peu d’architectes ont, aussi bien qu’Auguste Perret, illustré à la fois la modernité technique, ici le béton armé, et la référence à la continuité de l’art de bâtir, telle que celui-ci est affirmé dans l’architecture française depuis l’âge gothique par des praticiens situés à l’écart du modèle académique. Auguste est à la tête, avec ses frères Gustave et Claude, de l’entreprise de construction Perret frères, qui prend la suite de celle créée par leur père, un communard exilé en Belgique, après son retour à Paris en 1880. Cet ancrage professionnel dans le monde de la construction est fondamental pour comprendre la trajectoire d’Auguste Perret, qui, malgré des études incomplètes à l’École des Beaux-arts, et malgré l’absence du cursus honorum qui conditionne l’accès à la commande publique, achèvera sa carrière dans une double posture originale, celle d’un entrepreneur, et celle d’un architecte officiel majeur, membre de l’Institut.

Confrontés très tôt à des programmes nobles, qui impliquent un rapport étroit entre la conception architecturale et l’étude du projet constructif en béton armé (que réalisera l’entreprise), Auguste et Gustave Perret, par leur maîtrise du nouveau procédé, construisent des édifices marquants : un élégant immeuble d’habitation à ossature (rue Franklin, 1902-1903), un grand garage (rue de Ponthieu, 1906-1907) ; leur coup d’éclat est la réalisation du théâtre des Champs-Élysées (1911-1913), où ils parviennent à supplanter l’architecte du projet initial dans un édifice luxueux et en vue, accordé aux manifestations du théâtre de l’avant-garde. Parallèlement à d’importants édifices industriels, les frères Perret produisent un édifice-clef, l’église de Raincy (1922-1923), où des coques minces de béton, raidies par des tirants et des tympans, portent sur de fines aiguilles de béton, qui ôtent tout rôle porteur à la paroi de claustra et de verre. Identifié à une « Sainte-Chapelle du béton armé », l’édifice est très bien accueilli par le clergé, sensible à l’économie du « tout béton », et qui écarte plusieurs entreprises sous-traitantes. Après 1925, des commandes publiques consacrent le rôle de chef de file d’Auguste Perret, courtisé par des ministres éclairés (Anatole de Monzie) : les services d’études du ministère de la Marine (boulevard Victor), le Mobilier national, le musée des Travaux publics (aujourd’hui le Conseil économique et social). L’expression apparente de la structure, la trame large, le dessin raffiné des supports, le béton bouchardé : ces mises au point définissent les ressources d’un « classicisme structural » (J. Abram), et font la démonstration de sa capacité à répondre à des programmes monumentaux.

À partir de 1939, l’intérêt de Raoul Dautry pour l’œuvre d’Auguste Perret le conduit à confier à celui-ci des chantiers d’importance nationale : usine d’aluminium pour la S.C.A.L. à Issoire (1939-1942), reconstruction du Havre (à partir de 1945), et installation du C.E.A. à Saclay (à partir de 1948). Installé aux places d’honneur dans toutes les instances académiques et professionnelles, Auguste Perret achève sa carrière dans le statut d’un architecte officiel, entouré d’élèves et de disciples, porteur d’un projet d’une monumentalité destinée à une rapide obsolescence, sans toutefois que s’atténue la cohérence d’une architecture saturée par la rigueur des études techniques du projet.

Gérard Monnier
professeur à l’université Paris I Panthéon-Sorbonne

Source: Commemorations Collection 2004

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