Page d'histoire : Avènement du Second Empire 2 décembre 1852

Louis-Napoléon Bonaparte en 1852

Le neveu de Napoléon 1er, Louis Napoléon Bonaparte, était président de la République depuis le 10 décembre 1848, et " Prince-président ", doté des pleins pouvoirs, depuis le coup d'État du 2 décembre 1851. Le rétablissement de la dignité impériale héréditaire ne faisait pas de doute : il fut décidé par le senatus-consulte du 7 novembre 1852, ratifié par le plébiscite (au suffrage universel masculin) du 21 novembre, et consacré par l'installation solennelle de Napoléon III aux Tuileries le 2 décembre. 2 décembre, date fétiche ! Napoléon 1er avait été sacré par le Pape à Notre-Dame de Paris le 2 décembre 1804, et vainqueur à Austerlitz le 2 décembre 1805.

Ce souci de filiation symbolique du Second Empire au Premier n'empêche pas l'originalité du régime, et d'abord de son souverain. Napoléon III n'a pas le " génie " ni la grandeur fulgurante de son oncle mais il est intelligent, cultivé, et conscient du mouvement moderne du siècle. L'épanouissement du capitalisme industriel et financier, l'achèvement - pour l'essentiel - du réseau des voies ferrées, l'agrandissement de Paris et son nouveau tissu de grandes artères (Haussmann), la libéralisation du commerce extérieur, les conquêtes coloniales doivent autant à la claire ambition du souverain qu'au mouvement spontané et universel du progrès servi par la haute conjoncture du troisième quart de siècle. Même la législation sociale moderne s'amorce, avec la loi de 1864 sur la liberté de coalition. Du vieux système de la contre révolution, Napoléon III n'a vraiment conservé que deux traits, il est vrai fort importants : l'extrême méfiance à l'égard du libéralisme politique et parlementaire, des assemblées, des débats, etc… - et l'alliance constante avec l'Église catholique, alors à l'apogée de son influence morale et sociale.

On divise traditionnellement les dix-huit années du régime en deux périodes : de 1852 à 1859, " l'Empire autoritaire ", tout consacré à l'écrasement de la minorité républicaine et à la répression de toute expression libérale. Dure période, qui mériterait peut-être davantage la sévère étiquette de " Terreur blanche " que celle de l'avènement de Louis XVIII. Puis après l'amnistie de 1859, " l'Empire libéral ", progression lente, hésitante, mais réelle vers des libertés d'expressions publiques et des droits de parole au Corps légisatif. En 1870, on en était presque à un Empire parlementaire (ministère Émile Ollivier), quand, au premier obstacle, l'Empereur recourut à son arme absolue, l'appel au peuple sous la forme du plébiscite.

Car Napoléon III n'avait jamais eu besoin de vraiment terroriser les campagnes (sauf en quelques départements) pour obtenir leurs voix : jamais moins de sept millions de voix (oui) pour le régime, face à un maximum d'un million et demi de non atteint en 1870. Souvent peu instruits, souvent soumis aux influences des notables, des maires (nommés par le pouvoir) et du clergé, satisfaits de la bonne conjoncture économique, les " ruraux " (le terme est alors péjoratif dans le langage de la gauche) constituent un soutien irrésistible au régime même quand il " perd " les grandes villes intellectuelles, petites bourgeoises et ouvrières.

Ainsi devait se définir pour la science politique à venir le type idéal du " bonapartisme " : régime moderne, plutôt autoritaire, assuré du soutien de la majorité du peuple dans la mesure où celui-ci est encadré par les valeurs de tradition, ordre, religion, fierté nationale ; un régime jouant volontiers de ce populisme aussi bien contre les notables libéraux à l'anglaise que contre les prolétaires " jacobins ".

Ce n'est pas trop insister que de décrire ce schéma : c'est contre lui que la culture républicaine s'est définie Le Second Empire a servi de repoussoir aux Républiques troisième et quatrième (seule la cinquième atténuera un peu cette répulsion). Les dix-huit années du régime de Napoléon III ont eu peut-être pour plus durable effet de modeler, ou plutôt - si l'on ose dire - de contre-modeler près d'un siècle d'histoire politique française.

Il faut insister sur le lien entre le Second Empire et l'Église romaine. Il explique le plus spectaculaire des actes symboliques : dès le coup d'État, décembre 1851, le Panthéon avait été rendu au culte catholique, et la République n'osera le renationaliser qu'en 1885. Il explique aussi la politique extérieure : Napoléon III a été favorable au Risorgimento italien tant qu'il s'est opposé à l'Autriche, mais il a été hostile au patriotisme italien dès lors que celui-ci a menacé l'intégrité des États du Pape.

Ainsi s'explique ce qui pourrait être jugé paradoxal. C'est pendant sa période autoritaire que Napoléon III a fait des guerres que l'on peut juger progressistes (guerre de Crimée, en alliance avec les Anglais, contre le tsar ; guerre d'Italie, en soutien du Piémont, contre l'Autriche), et c'est pendant sa période à peu près libérale qu'il s'est montré hostile aux Garibaldi, aux Juarez, aux Lincoln, héros de la liberté.

C'est dans la politique extérieure qu'il devait périr.

Il est impossible de savoir jusqu'où serait allée l'évolution de l'Empire libéral. Une monarchie constitutionnelle à la façon britannique, belge ou scandinave ? C'est évidemment indémontrable. Le fait est que Napoléon III a tout perdu dans l'aventure mal engagée et mal conduite de la guerre franco prussienne. Plus encore que le souvenir du " Crime " du 2 décembre, le désastre de Sedan a été fatal à la dynastie napoléonienne. Tandis qu'à l'inverse l'effort pathétique de Gambetta pour mener jusqu'au bout la Défense nationale devait - par contraste - servir d'argument moral pour la République.

 

Maurice Agulhon
professeur au Collège de France
membre du Haut comité des célébrations nationales

Source: Commemorations Collection 2002

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