Page d'histoire : Une certaine tendance du cinéma français de François Truffaut Janvier 1954

François Truffaut en 1964

Les césures rythmant l’histoire du cinéma sont souvent attachées à l’influence de certains films, à l’apport d’innovations techniques, à l’émergence d’écoles ou de mouvements, parfois, plus rarement, à des groupes intellectuels ou à certaines revues. Il existe un texte d’une quinzaine de pages auquel les histoires du cinéma accordent une place privilégiée : « Une certaine tendance du cinéma français », écrit par François Truffaut, publié dans le numéro 31 des Cahiers du cinéma en janvier 1954.

Il s’agit d’une exception célèbre, sans doute le seul article critique traçant avec autant de vigueur une rupture dans l’histoire d’un art. Ce pouvoir conféré à un jeune critique de 22 ans d’écrire en un tour de main l’histoire du cinéma demeure absolument unique. Truffaut ne fut pas le premier à analyser ni à dénoncer l’influence néfaste de l’adaptation littéraire dans le cinéma français mais son texte est considéré comme décisif ; il écrivait dans une nouvelle revue (1) de faible tirage mais ses quinze pages rencontrèrent une large audience. Surtout, il aurait signé ainsi l’arrêt de mort d’un certain cinéma hexagonal, la « Qualité française », et, de la même plume, l’acte de naissance d’un autre, la « Nouvelle Vague ».

François Truffaut a écrit et réécrit ce texte pendant deux années d’intense maturation ; il était alors le protégé direct du principal critique de l’après-guerre, André Bazin, chez qui il vivait, et également un jeune et nouveau rédacteur des Cahiers du cinéma, où il avait signé son premier papier en avril 1953, en écrivant sur les films américains de série B. Les rédacteurs en chef de la revue, Doniol-Valcroze et Bazin, ont d’abord refusé la publication d’un premier état du texte de Truffaut, intitulé « le Temps du mépris », jugé trop insultant contre les tenants du cinéma français. Le jeune critique reprend son texte, en lui adjoignant une démonstration concrète des méfaits de l’adaptation « de qualité » (il soustrait pour ce faire un scénario à Pierre Bost et Jean Aurenche, ses principaux adversaires), et en ôtant nombre des attaques ad hominem et des jugements trop acerbes.

Quand le texte paraît, il fait suffisamment de bruit pour valoir à son auteur la haine d’une bonne part des scénaristes et des cinéastes français, mais aussi un engagement immédiat à Arts, où Jacques Laurent lui confie la page cinéma qu’il saura transformer en une tribune efficace. Le jeune Truffaut, à 22 ans, est parvenu à écrire à chaud l’histoire du cinéma français, donnant force de provocation à ce texte qui dénonce la « tradition de la qualité ». Il parvient à lui conférer la puissance d’une loi et l’évidence d’une vérité grâce à ses « campagnes de presse » dans les Cahiers du cinéma et Arts. Il est sûr que François Truffaut, critique, lance ainsi le mouvement de la « Nouvelle Vague ».

Antoine de Baecque
historien
critique de cinéma
responsable des pages Culture de Libération

1. La création des Cahiers du cinéma a été signalée dans la brochure des Célébrations nationales 2001 par une mention

Source: Commemorations Collection 2004

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