Article : Les départements : la juste proximité depuis 230 ans

Depuis leur création en 1790, les départements oeuvrent pour répondre au souhait de Mirabeau devant l'Assemblée constituante en 1789 : « Je voudrais une division matérielle dont l'objet ne fût pas seulement d'établir une représentation proportionnelle, mais de rapprocher l'administration des hommes et d'y admettre un plus grand concours de citoyens. »

De la Révolution à nos jours : une constante évolution

Sous l'Ancien Régime, l'organisation territoriale de la France divisée en provinces est très complexe. Les circonscriptions administratives, militaires, ecclésiastiques, judiciaires, fiscales se recoupent.

Carte de la France sous l'Ancien régime.
Carte de la France sous l'Ancien régime. © Archives nationales

À la Révolution, après l'abolition générale des privilèges, dont ceux particuliers des provinces, le projet de donner la même division territoriale à tous les services publics et à la représentation nationale est porté par l’Assemblée constituante. Dans son  discours du 7 septembre 1789, l'abbé Sieyès propose un plan de réorganisation administrative du royaume visant à légitimer la représentation proportionnelle des députés à l'Assemblée : chaque portion du territoire doit être équitablement représentée à l’Assemblée nationale siégeant à Paris.

Portrait de Sieyès. © Assemblée nationale
Portrait de Sieyès. © Assemblée nationale

Le projet du comité Sieyès est basé sur la « Carte de France par quadrillage », établie par le géographe Robert de Hesseln en 1786. La France est subdivisée en 81 subdivisions carrées de 70 kilomètres de côté environ (18 lieues sur 18), chaque subdivision est composée de neuf districts de neuf cantons chacun.

Il a été prévu que les citoyens les plus éloignés du chef-lieu doivent être en mesure de faire le trajet aller-retour à cheval sur la journée, selon le vœu de Condorcet. Ce découpage permet de résoudre la question de la représentation politique proportionnelle des différentes régions mais ne tient pas compte des données naturelles (relief, voies de communication, densité de population, etc.). Il est finalement abandonné.

Châssis figuratif du territoire de la France partagé en divisions égales entre elles conformément au rapport du Comité de Constitution fait à l'Assemblée Nationale, le 29 septembre 1789
Châssis figuratif du territoire de la France partagé en divisions égales entre elles conformément au rapport du Comité de Constitution fait à l'Assemblée Nationale, le 29 septembre 1789. © Archives nationales

Les départements, au nombre de 83, sont créés par le décret du 26 février 1790, qui détermine les limites et les chefs-lieux des nouveaux départements.  Leurs noms doivent rompre avec les anciennes provinces du royaume, on choisit donc des noms de fleuves, de rivières ou de montagnes. Les départements sont divisés en districts, cantons et communes. Leur administration est confiée à un Conseil général dont les membres sont désignés par le pouvoir central. Cette organisation vise à homogénéiser le découpage du territoire français tout en établissant une administration locale libérée de l'emprise de l'aristocratie. C'est également une réponse au danger insurrectionnel rappelé par la « Grande peur » de juillet-août 1789. Durant des mois, la définition des limites du nouveau département et le choix du chef-lieu ont donné lieu à de vives controverses dans certains départements.

À la veille du Consulat (décembre 1799), le territoire français compte 113 départements. En effet dès 1792, la France en guerre s'étend considérablement et la majorité des régions annexées sont organisées en départements. Outre plusieurs nouveaux départements en métropole (Alpes-Maritimes, Vaucluse, Rhône, Loire, Mont-Blanc et Léman...) et aux Antilles (Guadeloupe, Saint-Domingue), sont concernés également la Belgique, les Pays-Bas, une partie de l'Allemagne (rive gauche du Rhin et côtes de la mer du Nord), de la Suisse et de l'Italie.

Carte Mont-Blanc Léman 1793
Département du Mont-Blanc décrété le 29 janvier 1793 par la Convention nationale. Département du Léman décrété le 28 floréal an 6 par le Corps législatif. Carte publiée par P. G. Chanlaire (1758-1817), géographe et éditeur. © Archives départementales de la Savoie

Les conquêtes successives de Napoléon Ier étendent encore le territoire français bien au-delà de son domaine de 1789. À son apogée, l'Empire compte 130 départements et même 134 si l'on inclut les éphémères départements français d'Espagne. Les villes de Rome, Hambourg, Amsterdam, Turin, Bruxelles et Aix-la-Chapelle deviennent des préfectures, au même titre que Bordeaux, Rennes ou Marseille.

Sous le Consulat, les préfectures, nouvelles entités administratives, sont instaurées dans le cadre départemental. La fonction de préfet est créée par le Premier Consul Napoléon Bonaparte, le 17 février 1800 : le préfet (assisté de sous-préfets) devient l'autorité centrale et unique, représentant l'État sur le territoire du département. La fonction préfectorale remplace approximativement celle occupée sous l'Ancien Régime par les intendants royaux supprimés à la Révolution.

Costume de préfet, 1800. Bibliothèque municipale de Rouen
Costume de préfet, dessiné et gravé par Chataigner, eau-forte couleur, 1800. © Bibliothèque municipale de Rouen

À la chute de l'Empire en 1815, la France est réduite à 86 départements ; les trois départements supplémentaires par rapport à ceux de 1790 sont : le Vaucluse, le Tarn-et-Garonne construit sur des portions de départements voisins et la Loire issue du département Rhône-et-Loire qui devient le Rhône.

Emblème du département Rhône-et-Loire. ©
Emblème du département Rhône-et-Loire en 1791. Fonds Auguste Chaverondier. © Centre de documentation Joseph Déchelette

La Deuxième République (1848-1852) est marquée par la départementalisation de l'Algérie en trois départements : Alger, Oran et Constantine.

Carte de l'Algérie par A. Vuillemin 1842. © BNF - Gallica
Carte de l'Algérie dressée d'après les documents réçens [sic] du dépôt de la Guerre sur les provinces d'Alger d'Oran et Constantine par A. Vuillemin 1842. © BNF - Gallica

Le 3 Juillet 1848, est instaurée l’élection des Conseillers généraux au suffrage universel, à raison d’un élu par canton.

En 1860, le rattachement de Nice (Alpes-Maritimes) et de la Savoie (Duché de Savoie) partagée entre les départements de la Savoie et de la Haute-Savoie conduit à un total de 89 départements.

Rattachement de la Savoie à la France en 1860
Rattachement de la Savoie à la France en 1860. © Archives départementales de la Haute-Savoie

Avec la loi du 10 août 1871, le Département devient une collectivité territoriale de plein droit et le Conseil général reçoit une compétence générale pour régler les affaires d’intérêt départemental. Le Conseil général, dont les membres sont élus pour six ans au suffrage universel, est renouvelé par moitié tous les trois ans.

À la suite de la défaite de 1871, le Bas-Rhin, la majeure partie du Haut-Rhin et de la Moselle, ainsi qu'une partie de la Meurthe et des Vosges sont cédés à l'Allemagne. Ces trois départements sont rétrocédés à la France en 1919 après la Première guerre mondiale. La partie du Haut-Rhin restée française en 1871, située autour de Belfort, n'est pas réintégrée dans son département d'origine en 1919 et constitue le département du Territoire de Belfort en 1922.

En 1946, la Guadeloupe, la Guyane, la Réunion et la Martinique deviennent des départements d'outre-mer.

Aimé Césaire
Aimé Césaire, député-maire de la Martinique et rapporteur du projet de loi sur la départementalisation de 1946. © Assemblée nationale

La réorganisation de la région parisienne en 1964, effective en 1968, transforme les deux départements de la Seine et de Seine-et-Oise en sept départements : Paris, les Yvelines, l'Essonne, les Hauts-de-Seine, la Seine-Saint-Denis, le Val-de-Marne et le Val-d'Oise.

L'Avenir du 11 octobre 1967, Archives départementales du Val d'Oise ©
L'Avenir du 11 octobre 1967, Archives départementales du Val d'Oise. ©

Le département de Corse est divisé en 1976 en Corse-du-Sud et en Haute-Corse. La loi portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRE) du 7 août 2015 prévoit la substitution d'une collectivité territoriale unique à l'actuelle collectivité territoriale de Corse et aux deux départements de la Haute-Corse et de la Corse-du-Sud.

Une nouvelle collectivité territoriale — la collectivité européenne d'Alsace — regroupant les départements du Bas-Rhin et du Haut-Rhin et disposant de compétences particulières doit voir le jour le 1er janvier 2021.

Le tournant décisif de 1982 et les réformes récentes

Le 27 avril 1969, le Président de la République soumet au référendum un projet de loi relatif à la transformation des circonscriptions régionales en collectivités territoriales se superposant aux départements. Ces collectivités disposaient d’un conseil régional délibératif sur le modèle du conseil général, le préfet de région jouant le double rôle de délégué du gouvernement et d’exécutif régional. Survenant moins d’un an après mai 1968 et lié à une réforme du Sénat, le non au référendum l’emporte, entraînant le départ du général de Gaulle.

Echec du référendum de 1969
Échec du référendum de 1969. ©

En 1981, suite à l’élection de François Miterrand, le ministre de l’intérieur et de la décentralisation, maire de Marseille, Gaston Deferre, est chargé de la grande réforme de la décentralisation. La loi est votée le 28 janvier 1982 et promulguée le 2 mars 1982. Le département devient une collectivité territoriale de plein exercice. La tutelle du préfet est remplacée par le contrôle de légalité.

Le président du Conseil général exerce désormais le pouvoir exécutif départemental. Il assure la préparation ainsi que la mise en œuvre du budget du département. Les Conseils généraux reçoivent de nouvelles compétences : action sociale, ports de commerce et de pêche, transports scolaires, gestion des collèges. C’est ce qu’on a appelé « l’Acte I de la décentralisation ».

François Miterrand et Gaston Deferre
François Miterrand et Gaston Deferre © AFP

Jean-Pierre Raffarin, premier ministre de Jacques Chirac, lance « l’Acte II de la décentralisation » en 2003. Promulguée le 28 mars 2003, la loi constitutionnelle relative à l’organisation décentralisée de la République précède l’adoption d’un important transfert de compétences nouvelles au profit des collectivités territoriales. La réforme est adoptée par la voie du Congrès et non par celle du référendum. Le principe de « l’organisation décentralisée » de la République est posé (art.1er de la Constitution) et la région trouve sa consécration constitutionnelle.

La loi du 18 décembre 2003 confie aux départements, à compter du 1er janvier 2004, la responsabilité et la gestion de l’allocation du revenu minimum d’insertion (RMI, remplacé en juin 2009 par le revenu de solidarité active RSA). De manière un peu paradoxale, la réforme, qui se fixait à l’origine un objectif de renforcement des compétences du niveau régional, débouche surtout, à la faveur de la discussion parlementaire, sur le renforcement du rôle et des compétences dévolues aux départements, en particulier dans le domaine social.

À la suite de la loi du 13 août 2004, la gestion des routes précédemment classées dans le domaine public routier national est transférée aux départements. Ils se voient également confier le recrutement et la gestion des techniciens et ouvriers ainsi que des agents de service des collèges et l’organisation des transports scolaires.

Entre 2005 et 2008, de nouveaux transferts ou extensions de compétences sont réalisés au bénéfice des départements, notamment dans le domaine de la protection de l’enfance (loi du 5 mars 2007) et de l’accompagnement des personnes handicapées (loi du 11 février 2005).

Par la loi du 17 mai 2013, les conseillers généraux deviennent des conseillers départementaux. Les conseillers départementaux sont au nombre de deux par canton et chaque binôme est composé d’une femme et d’un homme.

Infographie sur les conseils départementaux

Infographie sur les conseillers départementaux. © Conseil départemental de la Manche

La loi du 27 janvier 2014 de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles (MAPTAM) permet au département d’organiser les modalités de l’action commune des collectivités et des intercommunalités pour l’exercice des compétences relatives à l’action sociale, au développement social et à la contribution à la résorption de la précarité énergétique, à l’autonomie des personnes et à la solidarité des territoires.

La loi du 7 août 2015 relative à la nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe) supprime la clause de compétence générale des Départements. La culture, le sport, le tourisme, la promotion des langues régionales et de l’éducation populaire deviennent des compétences partagées.

Infographie sur les compétences des départements. © Conseil départemental d’Ille-et-Vilaine

Focus sur des cas particuliers

Quand les départements changent de nom...
1791 : Mayenne-et-Loire devient Maine-et-Loire.

  • 1941 : la Charente-Inférieure devient Charente-Maritime.

  • 1955 : la Seine-Inférieure devient la Seine-Maritime.

  • 1957 : la Loire-Inférieure devient la Loire-Atlantique.

  • 1969 : les Basses-Pyrénées deviennent les Pyrénées-Atlantiques.

  • 1970 : les Basses-Alpes deviennent les Alpes-de-Haute-Provence.

  • 1990 : les Côtes-du-Nord deviennent les Côtes-d'Armor.

Publicateur de Nantes vers 1800

Paris et Lyon, des statuts à part

Paris

Jusqu’en 2018, Paris est un département partageant ses compétences et ses ressources avec la Ville. La loi du 28 février 2017 relative au statut de Paris et à l’aménagement métropolitain fusionne la commune et le département. Une nouvelle collectivité à statut particulier (au sens de l’article 72 de la Constitution), dénommée « Ville de Paris » est créée. Elle exerce à la fois les compétences de la commune et du département de Paris depuis le 1er janvier 2019.

Armoiries de la Ville de Paris

Lyon

La Métropole du Grand Lyon, créée le 1er janvier 2015 par la loi MAPTAM, est une collectivité territoriale à statut particulier, fondée sur un accord politique local exceptionnel. Elle cumule les fonctions d’un département et celles d’un E.P.C.I et regroupe toutes les communes appartenant à la Communauté urbaine de Lyon. À partir du renouvellement de 2020, 166 conseillers métropolitains composeront le conseil de la métropole et seront élus au suffrage universel direct.

Infographie sur les compétences de la métropole. © Métropole de Lyon

Ressources complémentaires

Quelques ressources à explorer dans les Archives départementales...

... et aux Archives nationales

Une sélection de ressources sur le portail France Archives

Des ressources à découvrir sur d'autres sites

 

 

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