Article : Sources relatives à l'affaire Lip

Affiche appelant à la manifestation du 29 septembre 1973 © Archives départementales du Doubs, 1Fi1651 

Parmi les nombreux mouvements sociaux qui marquent les années suivant Mai 68, parfois appelées « années 68 », celui qui se déroule à partir d’avril 1973 dans l’entreprise Lip de Besançon est sans doute l’un des plus connus. Il est documenté par des sources très variées et d’une très grande richesse, mais que leur dispersion rend difficile à repérer. À l’occasion du cinquantième anniversaire du conflit, il a donc paru utile d’en dresser un état aussi exhaustif que possible.

L'affaire Lip

L’entreprise d’horlogerie bisontine, dont les origines remontent au milieu du XIXe siècle, se signale par ses nombreuses innovations techniques. Après la Seconde Guerre mondiale, elle est devenue la principale fabrique française d’horlogerie et une des marques les plus connues des Français. L’installation d’une usine ultra-moderne dans le quartier bisontin de Palente montre la puissance de l’entreprise, dirigée par l’emblématique Fred Lip depuis 1945.

Cependant, les années 1960 voient arriver les premières difficultés, dues notamment à la dépendance excessive de Lip au marché français et à ses faibles exportations. Fred Lip décide alors de faire appel au consortium suisse Ébauches SA, qui prend progressivement le contrôle de la société. Les difficultés de l’entreprise sont aggravées par l’arrivée des premières montres à quartz, qui déstabilisent le marché horloger. Fred Lip est remplacé par Jacques Saintesprit en 1971. Ce dernier démissionne en avril 1973, précipitant la crise.

Les salariés découvrent lors de la venue des administrateurs provisoires le 12 juin le projet du consortium suisse, qui prévoit le démantèlement de l’entreprise et le licenciement de salariés. Ils décident de prendre possession du stock de 100 000 montres non vendues et, le 18 juin, reprennent la production de montres avant d’en vendre à partir du 20 juin, puis de se verser une paie le 2 août. Les salariés pratiquent ainsi une nouvelle forme de grève, avec le slogan « on fabrique, on vend, on se paie ».

L’usine Lip de Palente, photographie extraite du bilan de la société pour l’année 1966 © Archives départementales du Doubs, 2337W80 

Le mouvement acquiert un retentissement national, poussant le gouvernement à intervenir. Ce dernier désigne l‘industriel Henry Giraud comme médiateur. Des négociations, particulièrement suivies par les médias, ont lieu à la Saline royale d’Arc-et-Senans. L’usine de Palente est évacuée le 15 août, avant une grande marche le 29 septembre, avec 100 000 participants revendiqués. Le plan Giraud est rejeté le 12 octobre, et le destin de l’entreprise semble scellé.

Des industriels, autour de Claude Neuschwander, décident alors de tenter de reprendre l’entreprise dans le cadre d’un plan répondant aux revendications des salariés. Après négociations, sont signés le 29 janvier 1974 les accords de Dole prévoyant le redémarrage de l’entreprise et la reprise progressive de l’ensemble des salariés. La nouvelle Compagnie européenne d’Horlogerie commence son activité en mars 1974. Cependant les difficultés persistent et des dissensions apparaissent entre les actionnaires et la direction. L’entreprise dépose le bilan en avril 1976, marquant le début d’un second conflit avec une seconde occupation. Plusieurs coopératives sont créées, avant d’être légalisées en 1980 et de quitter Palente. Finalement, la plupart de ces coopératives cesseront leur activité au cours des années 1980.

Richesse et diversité des sources

L’affaire Lip, qui a agité la France des années 1970 dans le contexte de la fin des Trente Glorieuses, a profondément marqué les mémoires et a été source d’une importante production éditoriale.

Les archives la concernant sont exceptionnellement riches, aux Archives départementales du Doubs et au Musée du Temps de Besançon, bien sûr, mais aussi dans bien d’autres services français et étrangers. Cette profusion et cette dispersion ont justifié la constitution d’un portail qui permet de les retrouver et, pour quelques-unes d’entre elles, de les consulter.

Ces nombreuses archives, publiques et privées, donnent des perspectives très variées, puisqu’elles proviennent aussi bien des différents services de l’État que de protagonistes de l’affaire. Le rôle de chaque acteur et l’intérêt de ses archives sont expliqués par une notice. Si les documents écrits sont les plus représentés, d’autres supports sont présents, comme par exemple des affiches et des documents audiovisuels.

Des membres de la CFDT et de la CGT de l'usine Lip défilent dans les rues de Besançon lors d'une manifestation en août 1973
Manifestation à Besançon, août 1973, photographie de Bernard Faille pour L’Est républicain © Bibliothèque d’étude et de conservation de Besançon, Phi49356 

Parmi les institutions conservant des fonds sur l’affaire Lip, les Archives départementales du Doubs figurent au premier rang. Les documents qu’elles conservent permettent d’appréhender l’ensemble des points de vue sur le conflit. En effet, les différents services de l’État ayant eu à connaître de l’affaire, pour le maintien de l’ordre public, l’accompagnement des salariés ou encore pour le traitement judiciaire du conflit, y ont réalisé des versements. Elles conservent également des fonds privés provenant des acteurs de la grève, organisations syndicales locales ou salariés de l’entreprise, comme Michel Jeanningros, qui a méthodiquement collecté l’ensemble des documents relatifs à l’affaire, constituant un fonds d’une richesse sans doute unique sur un conflit social.

Du fait de son fort retentissement, de nombreuses autres institutions, partout en France mais aussi en Suisse, conservent des fonds relatifs à l’affaire Lip. Pour les repérer, a d’abord été utilisé le portail national des archives FranceArchives, qui n’est toutefois pas exhaustif. D’autres services pouvant potentiellement détenir des fonds significatifs ont été contactés et ont accepté de transmettre des informations. En revanche, des fonds émanant d’observateurs qui ne comportaient que des publications imprimées se retrouvant ailleurs ont été écartés.

Les recherches ont également bénéficié de l’appui d’enseignants de l’Université de Franche-Comté et de l’Université de Haute-Alsace, qui ont suggéré des pistes.

L’état des fonds ainsi constitué a vocation à être complété des archives qui seront repérées ou signalées à l’avenir. Les lacunes constatées pourront être signalées aux Archives départementales du Doubs, qui ont créé le portail et continueront de l’alimenter.

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