La " saint-cochon " ou La Mangounhe de Claudine et Roland Sabatier

La cochonnaille a mauvaise presse : l'élevage intensif des porcs pollue les nappes phréatiques de Bretagne et d'ailleurs, de sorte que les projets d'installation de porcheries industrielles, jusque dans le Cantal, provoquent des levées de bouclier ; les soupes de cochon et autres apéritifs " saucisson-pinard " sont vus comme une provocation dans la France multiculturelle. Et pourtant, comme l'a montré Michel Pastoureau dans des pages éloquentes, le porc était considéré, par les hommes du Moyen Âge, comme un animal très proche de l'homme ; chose curieuse, cette conception culturelle empirique a été confirmée par la science génétique. C'est cette proximité que reflète le truculent livre de Claudine et Roland Sabatier, qui vivent et travaillent à Barriac-les-Bosquets et dont on découvrira ici les illustrations originales. Dans l'humour qui en imprègne chaque page, on retrouve un peu de cette antique tendresse de l'homme pour le cochon. Tendresse un peu vache, au jour fatal de la mangounhe, mais dont le jovial porc de couverture, lui-même attablé (pour un festin " cochonphagique " ?), avec une serviette en vichy, un nez en rondelle de saucisson et dans un médaillon de saucisses, nous montre que ces petites bêtes ne tiennent pas rigueur à la mangounhère de son couteau. Le cri inimitable de la Saint-Thomas et les glous-glous du sang qui coule dans le seau sont vite oubliés au moment de passer à table. La fête de la Mangounhe (en février à Laroquebrou) et celle du porc de montagne (en juillet à Junhac) ont d'ailleurs adopté une communication résolument guillerette.

Roland Sabatier a dessiné pour Lui, Gault et Millau et Science et Vie. C'est ce qui explique que la cochonnerie est ici abordée sous le triple angle du charme, de la gastronomie et de la vulgarisation scientifique. L'ouvrage, en effet, a beau être mince, il est bien complet ; il a beau être drôle (avec des jeux de mots dignes du Canard), il n'en est pas moins pédagogique. En quatre chapitres (Le Pays de Salers, l'Anatomie, la Saint-Cochon et la Mangounhe), les Sabatier se font tour à tour ethnographes, naturalistes, occitanistes (avec un glossaire qui ravira les orfèvres en la matière), gastronomes, voire médecins légistes. Les vignettes anthropomorphiques et les calembours assaisonnent agréablement les pages de leur humour porcal mais léger.

Ce bel ensemble, confié par Claudine et Roland Sabatier au Conseil général pour un an, va être exposé successivement dans plusieurs lieux du Cantal, grâce au travail de la Médiathèque départementale. Les Archives départementales s'honorent d'ouvrir le bal du Cochon.

Ces dessins intelligents et drôles, savants et légers, agrémentés de photographies de Philippe Haumont et Mathilde Cuvelier, ne feront peut-être pas changer d'avis les végétariens et autres allergiques. Pour tous les autres, il est une invitation à la (re)découverte des riches traditions porcales du Cantal, à l'orée de l'hiver cantalien et de ses mangounhes cruelles et succulentes

Édouard Bouyé, directeur des Archives départementales du Cantal