Document d'archives : Paul Bouchet, avocat

Contenu :

Rushes de tournage bruts.
Fiche technique :
- Interview : Mogniss H. Abdallah.
Paul Bouchet participe ici à un débat sur le thème « Les Jeunes et la justice », tenu au Centre Georges Pompidou-Beaubourg dans le cadre de l'exposition « Les Enfants de l'immigration » (17 janvier - 23 avril 1984).
A la tribune, François Lefort, chargé de mission auprès de Georgina Dufoix (Secrétaire d'Etat à la Famille, à la population et aux travailleurs immigrés) introduit le débat en rappelant que son thème évoque automatiquement dans la tête des gens « l'insécurité ». « Mais ici on pense à l'insécurité liée aux crimes racistes ».
Paul Bouchet prend ensuite la parole : « incontestablement, il y a des crimes racistes. De la Marche pour l'égalité et contre le racisme et son arrivée le 3 décembre 1983 à Paris, on garde en mémoire « ce moment émouvant et significatif du défilé avec ces portraits d'un certain nombre de jeunes qui ont payé de leur vie le racisme dans notre pays ». Il est normal que, même s'il y a beaucoup d'injustices à combattre dans notre société, on donne une priorité au combat contre les crimes racistes. Simplement, il ne faut pas se contenter de bonnes intentions. Il faut essayer de parler de cela avec précision. Dénoncer ces crimes cela est fait, du moins par ceux qui en ont conscience, mais déterminer quelle est la façon la plus efficace cela demande peut-être un peu plus d'expérience et de réflexion – les seules dénonciations verbales ne suffisent pas. Alors il y a d'abord une affaire de textes. Les associations, à de nombreuses reprises, ont réclamé de façon de plus en plus insistante des textes nouveaux pour aggraver les peines punissant les crimes racistes et ensuite pour permettre dans les procès l'intervention des associations antiracistes. Et elles s'étonnent que cela ne soit pas déjà fait. La bonne solution serait que ceux qui représentent la société, les magistrats, le procureur de la république, le parquet, agissent eux-mêmes avec suffisamment de diligence et d'énergie. Il est vrai que dans certains cas, il est nécessaire que des représentants plus directs des victimes soient là, il fallait donc un texte spécial. Ce texte est prêt. La préparation a été soigneuse. Il faut espérer qu'il passe au parlement avant l'été. Pour la révision du code pénal tout est prêt depuis plus d'un an. Mais il y a d'autres textes en attente, tant l'ordre du jour parlementaire est encombré. Il est sain que les associations multiplient leurs interventions pour que le parlement comprenne que c'est une priorité parmi les priorités.
Permettez-moi de dire que ce n'est pas parce qu'il y aura de nouveaux textes que cela va miraculeusement changer les choses, ce n'est pas parce que les peines dans le Code seront plus lourdes que les racistes les plus forcenés deviendront brusquement raisonnables. Mais en même temps il n'est pas inutile d'avoir ces textes qui exprimeront une indignation morale, et il est bon à cet égard qu'il y ait une arme plus efficace. L'accès au prétoire des associations permettra je crois dans certains procès – et je le vois déjà - d'avoir des instructions plus poussées avec des éléments mieux recueillis, en faisant apparaître davantage les mobiles racistes. Des associations de jeunes immigrés que je connais ont joué un rôle extrêmement positif en passant au crible tous les témoignages, tous les éléments recueillis. C'est cela une des voies essentielles des combats à mener ».
Paul Bouchet met cependant en garde contre les risques d'effets pervers, en particulier pour la constitution partie civile : « on ne peut pas permettre que se constituent au dernier moment pour tel procès des associations qui deviendraient des groupes de pression sur la justice ». Il voit là une tentation de « privatiser la justice », parfois pour « réclamer de l'argent ». D'où l'idée de n'accepter pour la constitution partie civile que les associations ayant plus de cinq ans d'existence, et dont l'objet statutaire est la lutte contre le racisme. Une condition contestée par les associations nouvellement créées autour d'affaires de crimes racistes ou sécuritaires.
Dans la salle, pleine à craquer, des questions fusent, parmi lesquelles des reproches sur la confidentialité dans laquelle sont préparés les projets de loi ou la révision du code pénal, auxquels les acteurs et actrices de terrain ne sont pas associés.
Après le débat, Mogniss H. Abdallah de l'Agence IM'média relaie ces questions lors d'une interview improvisée [ à 23 min. 05''], puis rappelle la demande des jeunes et des familles pour que les avocats montent davantage au créneau publiquement, d'une manière ou d'une autre : « je connais bien cette demande des familles, exprimée publiquement. Il faut savoir ce que l'on entend par engagement de l'avocat. Il est évident qu'un avocat fait son travail quand il accepte de défendre une affaire. Ceci étant, je le dis aux jeunes immigrés et aux autres citoyens, il y a un mode d'engagement qui est contraire aux traditions de la justice – pas toujours bonnes - mais aussi tant que l'instruction reste pour partie secrète, il arrive fréquemment que des prises de position publiques aillent à l'encontre du but visé. J'ai un secret professionnel, je le respecte c'est une obligation de mon métier. La famille elle peut parler, moi pas. Normalement, en cours d'instruction, les avocats n'ont pas à intervenir publiquement sur le déroulement de l'instruction. Ceci étant il y a des choses qu'on ne peut pas laisser passer. Une fois l'instruction terminée, tout devient public et il y a une bataille d'opinion à mener. On doit être engagé à fond quand on plaide dans ces affaires-là.
-Mogniss : dernière question : est-ce qu'il est bon pour un procès de faire une distinction entre crime raciste et crime tout court ? N'y a-t-il pas un risque d'effet pervers, celui d'instaurer des circonstances atténuantes pour tel ou tel crime ?
-En cette matière je suis très peu doctrinaire. Pour moi, tout crime est abominable. Les atteintes aux personnes et à la vie, à la liberté, c'est plus important que les atteintes aux biens. Quand le crime a des mobiles racistes est-ce plus grave ? Peut-être. Le racisme c'est la conjonction de deux abominations. Au niveau de la peine, il y a des cas où les circonstances aggravantes peuvent éviter des peines exagérément indulgentes. Je ne crois pas beaucoup au changement par le seul texte. C'est symbolique à un moment donné qu'un pays comme la France prenne conscience de la gravité des crimes racistes, en l'inscrivant plus clairement dans ses lois.
Aux Minguettes quand j'étais médiateur, j'ai dit aux jeunes qu'ils prenaient leur place dans un combat qui est permanent et universel, le combat pour la justice doit être mené à tout moment par chacun. ».

Cote :

NUMAUD/0013/126

Informations sur le producteur :

Paul Bouchet, avocat, ex-bâtonnier du barreau de Lyon, président du Fonds d'Action Sociale pour les travailleurs immigrés et leur famille (FAS) entre 1983 et 1986, a été nommé médiateur entre les jeunes et le Premier Ministre Pierre Mauroy suite aux affrontements entre jeunes et policiers le 21 mars 1983 aux Minguettes (Vénissieux).

Conditions d'accès :

Consultable sur les postes informatiques en salle de lecture de La contemporaine.
Prendre contact avec le département des archives (collections@lacontemporaine.fr).

Description physique :

Importance matérielle :
Durée : (00:41:00)
Dimensions :
Taille : 5,19 Go

Ressources complémentaires :

Un extrait de son intervention a été rajouté au documentaire Minguettes 1983 : paix sociale ou pacification?, diffusé en permanence lors de cette exposition dans l'espace Révoltes positives, un patrimoine commun, confié à l'Agence IM'média.
Voir : Le New Deal culturel à Beaubourg, bulletin disponible en consultation à La Contemporaine dans le fonds de l'Agence IM'média  (cote : ARCH/0007).

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