Document d'archives : La démolition des clochers

Inventaire d'archives :

Archives de la Révolution (L)

Informations sur le producteur :

Le 7 pluviôse an 2, dans l'idée de se servir de biens qui sont désormais inutiles aux cultes, mais utiles à la Nation, Albitte décrète la démolition des clochers dans l'Ain et du Mont-Blanc. Par cet arrêté, le représentant en mission veut donner à la Nation en armes ce qui lui appartient, dans un moment où tout doit être fait pour " vaincre ou mourir ". Le décret de la Convention du 23 frimaire, qui oblige tous les prêtres à abdiquer leurs fonctions (et celui qu'Albitte prend aussi dans ce sens le 8 pluviôse), rend inutile l'usage d'ustensiles, linges et bâtiments cultuels. De plus, en supprimant les cloches, Albitte rend impossible le recours au tocsin, donc empêche la communication dans les campagnes en cas de soulèvement : " le son des cloches était le signal des sacrés calotins de la Vendée " . Cette idée n'est pas dénuée de sens si on se rappelle que l'arrivée de Rollet-Marat dans les villages de l'est de Bourg, était précédée du tocsin .
Les arrêtés des 7 et 8 pluviôse an II sont des rappels des décrets de la Convention, doublés de mesures qui répondent à la priorité du moment qui est de conduire la guerre. Peut-être faut-il voir aussi dans cet arrêté un moyen de punir la population tentée par le fédéralisme en lui enlevant un bien précieux, comme l'avait fait quelques décennies plus tôt Louis XIV avec les paysans bretons. Une mesure similaire avait été prise à Lyon, dans la Saône-et-Loire et dans la Nièvre. Ces arrêtés furent sans doute pris sur le conseil des commissaires civils.
Les nécessités de la guerre sont l'une des principales motivations d'Albitte quand il s'en prend aux clochers. En effet, il ne veut pas qu'on les détruise, mais bien qu'on les démonte pour en récupérer les éléments et les employer au service de la Nation : " toutes les cloches se fondent à Pont-de-Vaux et à Valence. Les fers, les argenteries, les matériaux, les cordages s'accumulent, et vont alimenter nos coffres et nos manufactures d'armes " .
L'arrêté est mal perçu par la très grande majorité des habitants. Il casse un rythme de vie qui jusque-là était ponctué par les cloches. " l'exécution de cet arrêté enlève d'abord à l'agriculture une multitude de bras précieux, mais ce qu'il faut surtout remarquer, c'est que les habitants des campagnes n'ont plus dès lors aucun moyen pour venir simultanément dans le Temple de la Raison célébrer les jours décadaires et qu'il leur devient impossible de se réunir promptement " . Les arrêtés sont donc mal appliqués. De plus le mauvais fonctionnement de la poste et la difficulté des communications retardent l'arrivée des documents officiels. Mais, souvent, il arrive que les habitants du lieu ne veulent pas que leur clocher soit abattu. Seul le zèle des agents nationaux des districts, soutenu par la vigilance des comités de surveillance , pousse à l'exécution de l'arrêté. Quand les municipalités sont trop réticentes, les districts doivent envoyer des commissaires pour pousser à l'accomplissement des ordres d'Albitte.
Dans les rapports des commissaires du district de Nantua, on peut constater que seize communes, au moins, ont conservé leurs cloches. Treize autres ont conservé des objets de culte (allant des statues de saints aux vitraux, ustensiles et autels). Il est à noter que beaucoup des ces commissaires ont donné une certaine extension à l'arrêté d'Albitte. Toujours dans le district de Nantua, seize communes n'ont pas démoli leur clocher, six ne l'ont fait qu'à moitié et douze ont gardé des cloches pour le timbre de l'horloge. L'arrêté d'Albitte a sans doute poussé certaines communes à s'équiper d'une horloge, ou à faire réparer celle déjà existante.
Ces démolitions qui se poursuivent même après le départ d'Albitte, mettent à mal beaucoup d'églises. En effet, les décombres, en tombant, percent les toitures ou endommagent les voûtes. De même, beaucoup des débris de démolitions et des gravats sont abandonnés là où ils sont tombés et encombrent longtemps les rues, au détriment de la salubrité publique et de la commodité des passants. Souvent, les démolitions n'ayant été qu'à moitié faites, les matériaux sont laissés sans surveillance et des vols sont commis par les habitants .
De manière générale, les matériaux n'étant pas destinés à la fonderie ou à la marine, sont vendus par les municipalités. Beaucoup de citoyens se sont portés acquéreurs de matériaux provenant des démolitions, mais les payèrent souvent à vil prix.

Type de document :

Document d'archives

Liens