Document d'archives : Lettre de l'évêque de Gap à celui de Marseille [Henri de Belsunce, nommé le 5 avril 1709, mort le 4 juin 1755], au sujet du...

Titre :

Lettre de l'évêque de Gap à celui de Marseille [Henri de Belsunce, nommé le 5 avril 1709, mort le 4 juin 1755], au sujet du collège et du séminaire de Gap :

Contenu :

Présentation du contenu
« J'ay receu, mon très respectable seigneur, la dernière lettre dont vous m'avés honoré, comme une nouvelle preuve de votre zèle pour la foy et comme un nouveau témoignage de vos bontés pour moi... Je vais vous mettre exactement au fait de ce qui s'est passé et de ce qui se passe icy au sujet du prétendu collège, comme aussy du séminaire. A l'égard du séminaire, il est depuis environ vingt six ans entre les mains des RR. PP. Doctrinaires, et par tout ce que j'ay pu découvrir depuis que je suis dans ce diocèze, il m'a paru que mes prédécesseurs en ont été contents. A mon arrivée, comme j'ay toujours été fort prévenu contre eux, je les ay examiné de près. Je ne leur ay point laissé donner d'écrits, et je leur ay fait enseigner Abély ; présentement, ce sera la théologie de Poitiers. Je leur ay donné pour commentaire sur l'Écriture Sainte Menochius, l'Examen particulier de M. Tronson et, pour méditation, l'Abrégé de Du Pont par le R. P.-Frizon. Ce que j'ay fait à leur égard depuis le commencement, je l'ay suivi jusques à présent avec la même exactitude, et je suis contraint de vous dire que, durant les 26 ans que j'ay déjà passés icy, je n'en ay trouvé que deux, en différents temps, qui, m'étant devenus suspects, sans néantmoins preuves réelles, ont été priés par moy de se retirer ; ce qu'ils ont d'abord exécuté. J'ajoute, Mgr, que je n'en reçois pas un qui ne signe le Formulaire, la Constitution et tout l'accessoire, en sorte qu'en leur parlant sans réserve sur ces matières, je tâche de pénétrer le dedans, je veux dire si le cœur parle comme la langue, et s'il n'y a point de restriction ou distinction sur jeu, car je connois ce que St Jean appelle, dans son Apocalypse : altiludines Satanœ. J'ay plus fait : c'est que de temps en temps j'ay empêché, pendant plusieurs années, nos séminaristes ou plutôt nos ecclésiastiques d'entrer dans notre séminaire et que je les ay envoyés au séminaire d'Embrun, d'Avignon et de Viviers, disant hautement que c'estoit parce que je craignois les PP. Doctrinaires, sçachant qu'il y avait un mauvais levain parmi eux. M'étant impossible, Mgr, de changer ce séminaire, ay-je pû faire mieux ni prendre plus de précautions ? Et certainement j'ay la satisfaction de n'avoir pas un seul ecclésiastique dans tout notre diocèze qui ne soit bon catholique et même zélé pour la Constitution et contre le Jansénisme. Comme je suis très bien informé de ce qui se passe partout, je ne vous risque point le discours sur ce chef. Voylà, Mgr, l'essentiel au vray de ce qui concerne notre séminaire. Je passe sous silence bien des petites précautions et bien des pratiques que je mets en oeuvre dans le secret pour ne rien ignorer de ce que la religion exige que je sache. Il est à présent question du prétendu collège. A mon arrivée, j'ay trouvé ce collège dirigé par deux régens et un frère Jacobins qui aprenoit à lire à quelques pauvres. Ce collège étoit tenu, depuis environ 60 ans, par les RR. PP. Jacobins. Mon projet fut, d'abord, d'attirer icy nos amys les RR. PP. Jésuites. Je m'y suis donné tous les mouvements possibles, et comme c'étoit du temps de notre grand Roy Louis 14, j'y aurois infailliblement réussi, si je n'eusse été traversé par le T. R. P. de La Chaize, mais d'une manière si vive, qu'il fallut me désister de mon projet. J'ay encore sur cela les lettres de sa Révérence. Je revins à l'assaut pendant la tenue du T. R. P. Le Tellier, qui, de son cotté, forma des difficultés et qui aboutirent enfin à un refus formel de la part du R. P. de Dortan, pour lors provincial des Jésuites. Depuis ce temps-là est venu la Régence, et je ne me suis plus flatté de pouvoir avoir icy des Jésuites : 1e parce que j'ay toujours trouvé in majoribus de la résistance ; 2e parce que cette ville est trop petite et trop pauvre ; 3e parce que la Providence ne m'a pas fourni les moyens d'y suppléer, et finalement parce que je n'y trouve ni n'y vois aucune sorte de ressource. Ne m'étant donc plus flatté de pouvoir mettre le collège où je l'aurois voulu, je me suis attaché à le rendre un peu plus utile chés les RR. PP. Jacobins, et pour celà d'y attirer des bons sujets et d'augmenter le nombre des régens. Pour avoir de bons sujets de ce corps, j'avois postulé auprès de leur général le T. R. P. Cloche le même privilège pour ceux qui enseigneroient les basses classes que celuy qu'avoient ceux qui enseigneroient ailleurs les hautes sciences. Je l'obtins et cela n'a produit aucun bon effet, in vanum cucurri. J'ai gémi devant Dieu et m'en suis tenu là. Le célèbre P. Brutinel, originaire de cette ville et qui y est mort en sainteté, m'avoit requis plusieurs fois, étant et n'étant pas provincial, aussi bien que plusieurs autres religieux Jacobins, de les faire décharger dud. Collège, qu'ils voyoient ne pouvoir soutenir et être très nuisible à ce couvent, pour solides raisons, qu'il seroit innutile de vous déduire. Espérant contre toute espérance apparente et craignant de trouver pis, j'ay résisté pendant plus de dix ans à une translation dud. Collège. Finalement cette ville, voyant le peu d'éducation qu'y recevoient leurs enfans et qu'il étoit moralement impossible qu'ils y en receussent davantage à l'avenir, prirent le parti de recourir aux RR. PP. De la Doctrine chrétienne. On vint me le communiquer. J'y résistay pendant plus de deux ans et enfin, voyant, d'une part, l'empressement et la persévérance de presque tout ce qu'il y a de notable en ce païs et voyant, de l'autre, qu'il étoit innutile de plus conter sur les RR. PP. Jacobins, je pris le parti de demander encore un peu de temps pour examiner sérieusement si je devois ou ne devois pas donner mon consentement à la translation si désirée. Pour lors, je m'adressay à presque tous les prélats qui ont chez eux des collèges ou des séminaires de Doctrinaires. Je me donnay l'honneur de leur exposer le cas où je me trouvois, et je ne manquoy pas de leur dire combien je craignois ce corps, par rapport aux sentiments et à la nouveauté, car, pour ce qui est des mœurs, je n'en ay vu ni appris rien que d'excellent. Sur les réponses de ces prélats, j'en conféray avec ce que nous avions icy de plus sage et de plus ortodoxe, et il fut convenu que je ne pouvois plus refuser mon consentement. Je l'accorday donc en 1726 ; en suite de quoy cette ville convint avec les RR. PP. Doctrinaires qui s'engagèrent à fournir trois régens et un maître d'école, pour la somme de 850 1. par an. Ces pères ont tenu le collège, dont les Jacobins avoient été destitués, pendant trois années. L'on en a été fort content, car l'on y voyait un grand changement dans la jeunesse et pour les mœurs et pour la latinité. Cependant, Mgr, après plusieurs altercations qui s'élevèrent et qui durèrent pendant l'année 1728, led. Collège est retourné aux Jacobins en 1729, sous le prétexte qu'il en coûtoit moins, puisqu'on ne leur donnoit que 450 1., mais au vray par une intrigue très odieuse. A tout cela je n'ay eu d'autre part que d'avoir donné, en 1726, mon consentement au transport chés les Doctrinaires. Je le fis même avec tant de précautions que j'ay empêché que la ville n'obtînt les lettres patentes qu'elle postuloit en leur faveur. Depuis 1729, jusques à présent que le collège a été reporté aux Jacobins, l'on n'y a vu que des régens si incapables de leurs employs (je passe sous silence ce qui n'est que trop public d'ailleurs), que la ville a pris une dernière résolution de retourner aux Doctrinaires. Les principaux ont eu recours à moy très fréquemment, pendant, l'année 1733 et la présente 34, pour les y aider. J'ay tenu ferme à ne point m'en mêler et tout ce qu'ils ont pu avoir de moy c'est que je ne pouvois entrer en cette affaire que quand j'y serois contraint. J'en suis là. La ville a écrit et présenté des placets à la Cour. Elle paroît avoir grande envie de retourner aux Doctrinaires, parce que réellement leurs enfans n'ont aucune sorte d'éducation aillieurs. Pour moy, en mon particulier, j'estimerois plus avantageux au public d'être absolument sans collège que de laisser où il est. Mais je ne me mêle en rien pour encore dans tout cela, ni pour les deniers d'octroy ni pour remettre le prétendu collège aux Doctrinaires. La question en ce qui peut me concerner est : 1e S'il convient mieux pour la conservation du dépôt de la foy de laisser absolument cette ville sans instruction pour la latinité que d'en charger les Doctrinaires ; 2e s'il n'y a point d'expédients à pouvoir prendre pour tirer le bon des Doctrinaires et se mettre à l'abri du mauvais ; 3e si, ne s'agissant icy que des basses classes, il est périlleux d'en charger les membres sains d'un corps qui en a quelques uns de gâttés, surtout n'ayant d'autre choix à faire qu'entre deux corps qui ont également des infirmités par rapport à la doctrine. Voylà, mon très honoré Seigneur, un long narré de l'affaire... Grâce à Dieu, je ne varieray, ni ne molliray jamais... Tout ce que l'on peut dire ou supposer contre moy ne me touchera pas, dès que je n'auray rien à me reprocher devant Dieu, puisque c'est luy que je recherche uniquement et à qui je voudrois pouvoir plaire : cœtera fumus ». Gap, 25 octobre 1734.

Cote :

G 1021

Description physique :

Description physique: (Liasse.) — 1 pièce, papier.

Où consulter le document :

Archives départementales des Hautes-Alpes

Archives départementales des Hautes-Alpes

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