Inventaire d'archives : Actes du pouvoir souverain et domaine public

Contenu :

Dans la rédaction de l'inventaire, toutes les chartes et tous les rouleaux ont été analysés ; parmi les nombreuses quittances qui forment plus des neuf dixièmes de ce fonds, j'ai signalé toutes celles qui me paraissaient importantes par le nom du personnage, par leur objet, par un détail de moeurs ou de langage. Les rôles de comptes permettent de suivre toutes les variations du budget des comtes d'Artois ; j'ai noté le chiffre des recettes et des dépenses, indiqué et souvent reproduit en entier les détails intéressants qui y abondent : les chercheurs en trouveront bien d'autres, que les limites de cet inventaire déjà trop étendu ne m'ont pas permis de mentionner, encore moins de transcrire. Les noms propres ont été reproduits avec l'orthographe du texte ancien : dans les tables qui suivront on déterminera, autant que possible, à quel personnage, à quelle localité ils se doivent appliquer. Ce système présentait le double avantage de donner aux lecteurs la transcription précise d'un nom à date certaine, et d'épargner à l'archiviste des erreurs d'interprétation bien difficiles à éviter pour un si grand nombre de noms de provenances si diverses. On lui permettra d'ajouter qu'il n'a point la prétention d'avoir fait une oeuvre sans reproche (l'errata placé à la fin du volume aura plus d'une erreur à rectifier), mais qu'il s'est proposé de sauver de l'oubli ce " Trésor d'Artois " encore riche malgré ses pertes, de le suppléer dans une certaine limite au cas où les ravages du temps ou les passions des hommes le détruiraient pour toujours, de le mettre enfin à la portée de ceux qui étudient l'histoire à ses sources, dans les documents originaux.

Cote :

A 1-1027

Publication :

Archives départementales Pas-de-Calais
1878 et 1967
Haras

Informations sur le producteur :

LES BAILLIS DE L'ARTOIS AU COMMENCEMENT DU XIVe SIÈCLE (1300-1329)
I.
Au commencement du XIVe siècle, le comté d'Artois est partagé en un certain nombre de divisions administratives appelées baillies ou bailliages, à la tête desquelles est placé un fonctionnaire nommé et payé par le Comte et révocable à son bon plaisir, portant le nom de bailli. Ces divisions d'ailleurs étaient déjà vieilles alors, remontant sans doute au gouvernement du comte Robert Ier ou du roi Philippe-Auguste : on trouve des baillis en Artois pendant tout le cours du XIIIe siècle, et les divisions territoriales confiées à leur administration sont les mêmes qu'au siècle suivant, sauf les agrandissements du Comté ; mais le bailli d'Artois dont la juridiction s'étendait à tout le Comté n'existe plus après le XIIIe siècle.
A côté du bailli d'Artois, se trouvait le receveur d'Artois, qui lui survécut et continua pendant tout le XIVe siècle à centraliser les recettes et les comptes des baillis. Plusieurs causes expliquent cette suppression de l'office de bailli d'Artois, jugé inutile, sur la fin du règne de Robert II : certains abus de pouvoir reprochés au dernier titulaire de cet emploi, le retour définitif du comte d'Artois souvent retenu au loin par des expéditions militaires, son intervention directe dans les affaires du pays, qui devient plus active encore quand le Comté fut passé entre les mains de sa fille Mahaut et de son puissant clerc, son véritable premier ministre, Thierry d'Hireçon.
Le bailli est le représentant du Comte : les droits du Comte sont la limite de son autorité, et ses devoirs sont la règle de sa conduite.
Il n'y a point lieu de chercher si le principe très subtil de la distinction des pouvoirs judiciaires, financiers et administratifs est observé ou méconnu : on ne s'en souciait nullement à cette époque ; mais on peut chercher comment sous ces trois aspects différents se présentait l'action du bailli.
Comme administrateur, son rôle est assez restreint ; sur tout le territoire du bailliage s'élèvent châteaux, monastères et beffrois : dans la limite de leurs chartes ou de leurs coutumes les seigneurs gouvernent leurs fiefs et les communes leurs cités. Le bailli se borne le plus souvent à veiller si les uns et les autres n'empiètent point sur les droits du Comte ; aussi dans certaines villes, prête-t-il serment de respecter et faire respecter les privilèges de la commune, comme le Comte lui-même l'a juré à son avènement ou à sa première entrée dans la cité.
Il n'intervient de droit que lorsque la coutume l'autorise ou que l'intérêt public l'appelle, par exemple pour assurer en certains cas la liberté ou la légalité des élections échevinales, ou sommer un seigneur de respecter les droits du Comte ou de se soumettre à sa justice ; alors, si cette intervention rencontre quelque résistance, si sa personne subit quelque violence, c'est le Comte lui-même qui subit l'insulte et préparera le châtiment des coupables.
A titre exceptionnel et par mandat spécial, son intervention n'a plus d'autres limites que les droits du suzerain : elle s'exerce assez fréquemment soit à la demande des communautés elles-mêmes, soit sur l'initiative du Comte agissant au nom de l'intérêt public. C'est ainsi qu'un bailli est souvent délégué pour examiner les comptes des villes et des hôpitaux, pour présider certaines enquêtes d'un caractère d'utilité générale. C'est le plus souvent en vertu d'un mandat déterminé que le bailli fait ainsi acte d'administrateur. Ainsi, en 1344, les baillis de Béthune et de Chocques procèdent à une enquête sur la navigation du canal de Béthune à la Lys ; en 1321 ils font réparer les ponts et les chemins en Artois ; d'autres fois ils sont, chacun dans leur bailliage, chargés de distribuer avec deux autres personnes les nombreuses aumônes fondées par la comtesse Mahaut. Après le meurtre du bailli de Calais, son successeur est chargé de l'administration de la ville dont les libertés sont supprimées.
En justice, le bailli est rarement juge : il est presque toujours le représentant du droit et de l'autorité. A ce titre, il recherche le coupable, le fait arrêter, le traduit devant ses juges naturels, les conjure de dire le droit, et fait exécuter leur sentence ou la réduit à une peine pécuniaire qui figurera dans ses recettes ; il assiste aux plaids du Comte qui se tiennent en chacune de ses châtellenies, et aux franches vérités qui se tiennent une fois par an, assemblées de justice quasi souveraines, où toute plainte doit être entendue, où se décident sans appel, au jugement des " hommes " des paroisses, au conjurement du bailli, la plupart des causes criminelles des bailliages de Saint-Omer, Tournehem, Éperlecques, Merck et Calais.
Dans ces divers tribunaux le rôle du bailli est des plus actifs ; il suppose une connaissance réelle du droit coutumier où l'emploi de certaines formules consacrées a tant d'importance, où les causes de nullité amenées par l'oubli de certaines paroles, par l'insuffisance des ajournements ou autres motifs, sont si fréquentes. Aussi interroge-t-il souvent les " hommes " pour leur demander, avant de dire le droit, si toutes les formalités ont été bien remplies. Le comte d'Artois lui-même les convoque pour les consulter sur la coutume du pays. Parfois l'accusé, traduit devant ses pairs par le bailli, cherche à le provoquer en combat singulier, comme ce Boissart de Renenghes, chevalier, qui, aux plaids du château de Saint-Omer en 1292, adresse ces paroles au bailli, Pierre L'Horrible, chevalier comme lui : " Se vous voliez parler à mi comme messires Pierres Li Oribles, nonmie comme baillus de Saint-Omer, je m'osteroie contre vous de toute vilenie, et vez ent chi men wage. " Le bailli de répondre : " Mesire Boisart, se vous aviez aucune cose meffait qui me toucast, je m'oseroie bien apeler Pierres Li Oribles contre vous en ceste court et en autre, ne je ne me desavoerai mie de mon seigneur en ce cas, mais de tout comme vous avez dit de vilenie envers mon seigneur de chou que j'ai dit envers vous du commandement mon seigneur, j'en prenderoie bien mes armes encontre vous et encontre un autre, pour l'honneur de mon seigneur warder. " Après diverses paroles échangées, après refus réitéré du sire de Renenghes de donner satisfaction au bailli, celui-ci lui " met la main " et déclare l'arrêter, et l'accusé répond qu'il met " sen cors et sen katel en le warde Dieu et le Roi " et en appelle au Roi pour défaute de droit [A 37].
La mainmise au nom du Comte n'était rien moins qu'une arrestation, mais un acte solennel prononcé devant témoins et que l'accusé ne pouvait violer sans s'exposer aux peines les plus graves du droit féodal. Il fallait en effet cette sanction sévère et ce respect effectif de l'autorité légitime pour donner quelque force au bailli, souvent isolé, ou aidé tout au plus de l'appui de deux ou trois sergents, et obligé d'intervenir activement dans l'exécution des ordonnances de police ou des sentences de justice. Un jour le bailli d'Oye, accompagné d'un échevin, rencontre Maelin Scoleboene porteur d'une arbalète, arme défendue : " Maelin, dit-il, je vous arrête, parce que vous êtes armé en la terre de Madame d'Artois. " L'échevin, témoin de cette rencontre, continue ainsi sa déposition : " Et tantost Maelins tendi l'arbaleste et mist le quarel ens, et li baillius li demanda : " Est-ce sour mi que vous avez l'arbaleste tendue ? " Et Maelins respondi : " C'est sour tous cheaus qui mal me valent, et sour vous, et sour tous les autres, je ne sai li quel ce sont. " Et s'en parti le dit Maelins sans obeir au " bailliu. "
Une autre fois c'est le bailli de Merck qui réclame au prévôt de La Capelle un sergent du comte d'Artois, jeté en prison contre le droit du suzerain ; le prévôt refuse de le lui remettre, lui dit " moult de vilenies et de despiteuses paroles ", enfin le frappe " par la gueule et le jette sour un ostevent, et l'eust a pau estrangle, et dist : " Alez, par la mort Dieu, je l'ochirrai ! " [A 921].
Le bailli de Calais est tué dans une émeute au commencement de l'année 1298 ; celui de Saint-Omer est l'objet de violences quelques années plus tard ; celui d'Arras, Thomas Brandon, est blessé à mort par les confédérés d'Artois en 1316.
Le bailli n'est point investi d'un commandement militaire ; s'il prend part à une expédition, c'est à un autre titre, ou comme particulier, à moins qu'il ne s'agisse de l'exécution d'une sentence judiciaire ; c'est ainsi qu'en l'hiver 1326-1327, les baillis de Bapaume, de Lens et d'Hesdin conduisent les hommes d'armes d'Artois, en une chevauchée dirigée par Jehan de Ponthieu, comte d'Aumale, capitaine, contre le château du sire d'Oisy, convaincu de rébellion et forfaiture envers la comtesse d'Artois [A 455] .
En cas de guerre, ou en prévision de quelque péril, un capitaine est nommé pour prendre le commandement du château et des hommes d'armes qu'on y réunit ; le bailli continue auprès de lui ses fonctions d'administrateur et d'intendant ; il remet au capitaine ou châtelain, à son arrivée, les garnisons du château dont il a dressé inventaire, les vivres, les engins de guerre dont l'entretien lui incombe en temps de paix, les munitions ; lui-même veille aux approvisionnements, au paiement du capitaine et des sergents.
Nul document ne met mieux en lumière ce rôle du bailli que le compte de Pierre de Ham, dernier bailli de Calais, emmené prisonnier en Angleterre à la prise de la ville (4 août 1346), et à son retour de captivité rendant ses comptes à qui de droit le 14 juillet 1348, avec une exactitude et une fidélité qui font honneur à sa mémoire et donnent à ce simple état de dépenses (plutôt que de recettes) une réelle valeur historique [A 650, Compte de la Chandeleur à l'Ascension 1346 (en fort mauvais état, rongé dans toute sa longueur.). A 660, Compte de l'Ascension 1346 au 4 août 1347, " que le ville fu rendue. "].
Agent financier, le bailli perçoit directement ou par certains intermédiaires les recettes du bailliage, il en solde les dépenses. Au chapitre des recettes figurent les revenus des terres et jardins du Comte, s'il en existe dans l'étendue du bailliage, les rentes et cens ; les fermages de prévôtés, moulins, tonlieus, terres forfaites, etc., les exploits, les amendes et transactions ; les ventes et reliefs ; le " service " du quint denier pour faire payer les créances
" De Henri dou Bus, XL s. de serviche de x lb. a le traite de maistre Pieron de Menricourt. De Hanike Dangre XLV s. de serviche de XI lb. V s., a le traite dame Juliane de Paris. " (Bailliage de Lens ; Chandeleur 1310. - A. 260.)
; la part du Comte dans les assises des villes, dans la recette dite de la boîte de Calais ; les droits de scel, etc. ; accidentellement quelques recettes extraordinaires, comme les subsides dus pour l'ost de Flandre, pour le mariage de mademoiselle d'Artois. La nature et la quantité de ces recettes varient nécessairement avec les différents bailliages.
Le chapitre des " mises " comprend les gages du bailli, du châtelain - s'il y en a -, des sergents, des forestiers, du pendeur (dans certains bailliages) et autres fonctionnaires ; les rentes ; les fondations pieuses ; les prébendes ; les frais de justice ; les messages ; l'achat de vivres pour garnison ; les frais de culture, de chevaux, de bestiaux, de chiens, etc. ; les dépenses des oeuvres
Lorsqu'il s'agit de travaux importants, les dépenses des oeuvres sont l'objet d'un compte spécial et détaillé, mais leur total figure toujours au compte du bailli, notamment à Hesdin.
, réparations au château, aux moulins, etc. Comme pour les recettes, il faut remarquer que tous les comptes ne portent point une aussi grande variété de dépenses et que celles qui y figurent d'une manière à peu près continue sont les gages, les rentes, les frais d'administration (justice, messages, etc.) et les dépenses d'oeuvres.
Ces comptes sont arrêtés trois fois chaque année aux fêtes de la Chandeleur, de l'Ascension et de la Toussaint : seul ce dernier terme comporte exactement trois mois ; les autres, à cause de la mobilité de la fête de l'Ascension, sont d'une étendue inégale et variable.
Les recettes et dépenses sont comptées en livres parisis, ou ramenées à cette unité monétaire, au moins dans les totaux des deux chapitres : le bailli dresse la balance des recettes et mises et arrive généralement à un excédant, s'il n'a pas à solder quelque grosse dépense de construction ou d'approvisionnement.
Depuis le commencement du XIVe siècle, le bailliage d'Artois n'est plus qu'une administration financière ayant à sa tête le receveur d'Artois. Celui-ci dresse chaque année, comme les baillis, trois états de comptes et aux mêmes termes, y faisant figurer à leur place l'excédant ou le déficit qui lui a été signalé dans chaque bailliage.
Ainsi le compte de la Toussaint comprend aux recettes les excédants des recettes des bailliages de la Toussaint, aux dépenses les déficits du même terme.
Son compte est naturellement divisé en recettes et dépenses. Les recettes comprennent d'abord l'excédant de son dernier compte, (s'il est soldé par un déficit il sera porté aux dépenses), puis les excédants des comptes des baillis, les sommes versées par certaines villes et provenant de la part que le Comte s'est réservée dans les assises ou autres droits financiers qu'il leur a accordée ; les recettes de terres forfaites, de transactions, d'accords, etc., du péage de Bapaume, d'une rente à vie de 240 livres que la comtesse Mahaut prend chaque année sur la foire de Provins, quelquefois l'argent versé par le receveur de Bourgogne, le gain ou change des monnaies, les subsides des villes " estans desous Saint Vaast et autres signeurs " à l'occasion de l'ost ou d'un mariage, enfin des recettes imprévues, vente d'animaux, de vin donné au Comte, etc.
Les mises comprennent les pensions et rentes, les achats de terre, les remboursements ou les intérêts des dettes, les frais de construction en dehors des comptes des bailliages (hôtel d'Artois à Paris, monastères de la Thieulloye, de Gosnay, etc.), les " dons et grâces, " les gages d'hommes d'armes, les frais de procès, l'argent remis au trésorier de l'hôtel pour les dépenses d'hôtel, dépenses diverses, etc., etc. Cette énumération n'est ni absolue ni limitative. Les mêmes dépenses ne se retrouvent pas chaque année et leur variété est, pour ainsi dire, infinie.
II.
La meilleure garantie d'une bonne administration, c'est avec l'honnêteté des fonctionnaires, la certitude qu'ils ont de leur complète responsabilité. L'ordonnance du 23 mars 1303 sur la réformation du Royaume rappelait en termes énergiques aux baillis et sénéchaux que, si la crainte de Dieu ne suffisait point à leur inspirer un profond respect de la justice, le Roi saurait les y contraindre par d'autres moyens : ils étaient en effet responsables de leurs actes sur leur personne, sur leur fortune et sur les biens de leurs héritiers.
Ces principes depuis longtemps étaient ceux de l'administration artésienne. Le bailli en effet doit un compte rigoureux de sa gestion financière et de son administration. Rarement il occupe le même poste pendant de longues années ; lorsqu'il l'a quitté, ses administrés, que la crainte a pu empêcher d'ouvrir la bouche jusqu'à ce moment, adressent leurs plaintes au comte d'Artois : une enquête est ordonnée ; confiée à des commissaires offrant toutes garanties d'équité, elle est faite en dehors de l'accusé, puis elle lui est communiquée, et enfin un débat contradictoire permet aux juges d'arrêter leur conviction. Si le bailli sort indemne de cette lutte, ses accusateurs sont sévèrement punis : ils ont calomnié un innocent ; s'il succombe, outre les amendes et les peines plus graves, il devra réparer les dommages qu'il a causés.
Le Trésor des chartes d'Artois possède quelques enquêtes sur la gestion des baillis, les unes ordonnées spontanément par le comte d'Artois qui soupçonne l'honnêteté de ses agents, les autres à la requête de particuliers qui se disent lésés par leurs exactions ou leurs illégitimes agissements.
En 1292 le comte Robert confie à " nobles hommes et sages mon signeur Nichole d'Itre, chevalier et signeur de loy, et Pierre Jean de Sainte Crois, " le soin de faire une enquête sur l'administration de tous ceux qui ont exercé les fonctions de bailli en Artois depuis le jour de son départ pour la Sicile jusqu'au 18 avril 1292, date de cet acte. Il leur trace un long programme d'enquête en vingt et un articles, les uns spéciaux au pays d'Artois, les autres ayant une portée générale qui concorde avec les principes de l'ordonnance de 1303. Les commissaires doivent en effet s'enquérir sur les baillis : " en quel guise et en quele manière il se sont porte en leur office, et se il ont les raisons et les droitures mon signeur gardées et maintenues selon ce qu'il apartient a leur office, u se il l'ont laissiet aler et perdre pour deniers, par amour u par proiiere u par laide négligence ; - se il, pour faire droit u tort as parties qui plaidoient devant aus, u qui avoient a faire a aus en auchune manière, il ont pris deniers, presens ne autres choses ; - se il ont les esplois qui devoient venir a mon signeur pris bien et loialment, u se il, par fraude, ont estraintes les choses dont li esploit devoient venir ; - se li dit bailleu ont usure ne marchande laidement u paiis en grevant les hommes de leur baillies ; - des oevres qui ont este faites en leur baillies, se il ont auchune chose fourconte plus que eles ne cousterent, u que il ni aient mis es oevres ; - se contre leur sairement ont pris deniers, dons, u autre chose u paiis, de nule personne ; - se il, en auchune maniere, contre les usages et les droitures du paiis, ont greve les subgis monsigneur d'Artois, et en quoi, et pour quele ochoison ; " etc.
A. 37. - Les autres articles visent surtout les empiètements qu'ils auraient pu tolérer contre les droits du Comte.
C'est sans doute cette enquête qui motiva le mandement de Philippe le Bel à son bailli de Vermandois, en date du 19 juillet 1293, lui ordonnant de remettre aux gens du comte d'Artois, Jean Creton, jadis bailli de Lens, qui n'a rendu compte ni des deniers qu'il a reçus ni de son administration.
Philippus, Dei gratia Francorum Rex, baillivo Viromandensi, salutem. Cum intellexerimus quod Johannes dictus Creton, baillivus quondam Lensensis, de comitatu Atrebatensi, ab officio dicte baillive recessit, nulla reddita ratione de administratione sibi commissa nec de receptis ab eo in bailliva supradicta, mandamus vobis quatenus prefatum Johannem coram gentibus dilecti consanguinei et fidelis nostri comitis Attrebatensis remittatis, ratione de predictis redditurum ac purgaturum, prout fuerit rationis. Actum Parisius, dominica post festum Beati Arnulphi, anno Domini millesimo cc° nonagesimo tercio. - A. 38. Vidimus de Guillaume de Hangest, prévôt de Paris, de 1293, dimanche après la Madeleine.
Le gouvernement du Roi a du reste pour règle de soutenir le Comte dans la surveillance de ses agents : ainsi encore en 1306, le bailli d'Aubigny, Michel Guiene, s'échappe de la prison où on l'a enfermé pour ses méfaits : le Roi écrit à son bailli d'Amiens de le faire arrêter et de le remettre à la comtesse d'Artois
A. 52.
.
Il faut le reconnaître : l'administration des baillis est généralement honnête ; les enquêtes sont l'exception, mais elles révèlent souvent de singulières exactions et abondent en traits curieux pour l'histoire des moeurs. Telle est celle qui mit au jour, à la fin du XIIIe siècle, l'administration de Jean de Carcassonne, bailli de Domfront-en-Passais ; de nombreux témoins attestent qu'il rançonnait à merci ses administrés, et l'un d'eux certifie que " celui Jean li a fait prendre par maintes fois des pertris as files et a la tonnele, et li avoit en convent qu'il l'en bailleroit la moitié, et dist qu'il ne l'en bailla oncques nule, et se l'en a il aporte par plusieurs fois grant plante
A. 924.
. "
En 1308, Ansel d'Anvin, chevalier, bailli de Lens, Michel Le Juif de Ruitz, chevalier, et Jean d'Estaimbourg, dirigent une enquête sur l'administration de maître Raoul Grospermi, jadis bailli de Beuvry. De nombreux témoins se plaignent d'avoir été victimes de ses exactions ; à celui-ci il a saisi ses vaches en un lieu où il n'en avait nul droit ; à celui-là il a pris deux porcs sur la route, le témoin voulut plaider, Raoul l'intimida, puis lui déclara garder un de ses porcs pour les frais de la procédure commencée et lui remit un florin pour prix de l'autre, alors que les deux valaient bien cent cinq sous. Un autre témoin, Pierre Gossel, a une fille de treize ans que Raoul a saisie pour avoir pêché au marais de Beuvry ; il va aussitôt trouver la femme du bailli et s'arrange avec elle pour douze livres de lin, qu'il lui donne ; Raoul alors intervient et en exige cinquante ; le malheureux père en remet vingt au bailli et trente à sa femme, " et dist bien que il ne li eust mie donne le lin dessus dit, se li dis maistres Raouls ne l'eust approchiet pour sen fillet, et se il n'eut eu peur qu'il ne l'eust emprisonne. " Raoul demande qu'il lui soit remis une copie de ces dépositions, ce qui lui est accordé
A. 932.
.
En 1309, Enguerran de Lisques, Wistasse de Coukove, chevaliers, et maitre Jean de Houplines sont chargés d'une enquête au sujet de Jean de Waudringhem, bailli
Cette enquête ne fut pas défavorable à Jean de Waudringhem qui occupa successivement les fonctions de bailli de Bapaume, d'Hesdin, etc.
et des sergents de Saint-Omer ; en 1311 une mission analogue est confiée à Thomas Brandon, bailli d'Arras, et Pierre de Beaucauroi, bailli de Saint-Omer, chargés d'informer " sur baillius, serjans, recheveurs et officiaus es baillies de Calais et de Merck et es appartenanches. " L'enquête établit la culpabilité des receveurs, qui jurent de se soumettre au jugement de Pierre Le Maire de Vaux, récemment nommé bailli de Calais et de Merck, et de Thierry d'Hireçon, prévôt de la collégiale d'Aire : ils sont condamnés à payer l'un DCCC livres, l'autre M livres dont ils ont été reconnus débiteurs envers la comtesse d'Artois
A. 57.
. Quelques mois plus tard les mêmes commissaires sont désignés pour entendre ceux qui voudront se plaindre du bailli, des sergents et autres officiers de la ville et du terroir d'Aire qui sont actuellement en place ou y ont exercé quelque fonction depuis dix ans, pour informer des excès et abus commis par eux et en ordonner réparation et punition
Troisième cartulaire d'Artois, pièce 87. - Les 2e et 3e cartul. d'Artois étant aujourd'hui perdus, je les cite d'après les analyses faites par Godefroy avant la Révolution.
.
Vers 1312, une enquête est faite " sur les fais " de Jean Jourdain, sous-bailli de Calais, qui paraît s'être approprié trop facilement le bien d'autrui ; il est condamné à de nombreuses restitutions. Quelquefois, il est vrai, il objecte qu'il n'a fait que prendre un gage pour le payement d'une amende : il est obligé de le rendre contre le paiement de ce qui est dû
A. 953. - " [...] Demandoit Jehans Panel que li dis Jehans Jourdans en avoit porte le mairien de sa maison sans cause et sans raison, dont il estoit en damage de LX S. - Respont Jehans Jourdans que eskevin de Calais li requisent qu'il fesist oster le merien qui estoit keus qui empeechoit le rue, et pour chou il le fist porter a se maison. - Et se sont mis les parties de le value du merien sur Symon Panel, li quels a dit par sen serement que li mairiens valoit XX s. Sur chou eu délibération, il fu dit audit Jehan Jourdan qu'il rendist les XX sols audit Jehan Panel, et i fu condampnes. Margherite de Lavene se plainst de Jehan Jourdan qui prinst a se maison I bachin de le value de XVI s. - Respont li dis Jehans qu'il le prinst pour une amende de V s., liquele li connut que chestoit voirs, et est commande a Jehan Jourdan qu'il li rende le bachin pour V s. A chou que Jehans Pelagas dit que Jehans Jourdans avoit prins I cheval in s'estable sans le volonte de lui et de se feme et sans leur seu, et le tint trois jours, et apres il ramena le cheval si foule que il en mourut, pour coi il demandoit a ravoir son cheval ou le value. - Respont Jehans Jourdans que bien fu voirs que uns homs vint en le hale d'eskevins a Calais, et souspendi le loi que on n'alast avant en une cause qui li toukoit et fu li deffense de par l'official de Terewane, et fu prins du commandement Monsgr Wistasse de Coukehove, et commenda messires Wistasses que il alast au vesque de Terewane pour les exces que li clers avoit fais en le terre madame, si tint le cheval III jours, et le retourna si qu'il cuidoit sain, et dist qu'il ne cuidoit mie qu'il deust mourir, et quant il l'avoit prins pour le service de Madame, il n'estoit tenus du rendre. - Et nous enquisimes la verite, et avons trouve par le marissal et par Jehan Cardon qui ala avec ledit Jehan et par autres boines gens dinnes de foi que li chevaus ne fist onques puis chedi oeuvre, ains mourut de chel foulement, et l'avons condampne a rendre le value du cheval, et est prisies par acort a L s. de parisis. "
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En 1323, Jean de Mailli, Gilles d'Auteville et Hydeux de Saint-Martin, chevaliers, sont nommés pour faire une enquête sur l'administration du bailli de Bapaume, Hue Gaffel, que " le rapport d'aucuns " et la " commune renommée " accusent d'avoir fait " tant par lui comme par ses serjans a pluseurs personnes pluseurs griez, oppressions et contrainte, injures et violences, non deuement et sans justes causes et raisonnables, et pluseurs exces de justice et deffaute, qui ont este et sont si outrageusement fait et si contre raison, droit et coustume, et contre notre entention, que nous ne les poons ne devons souffrir, s'il est ainsi
A 68.
. "
Quelques années plus tard, un autre bailli de Bapaume, Mathieu Chambellan, reconnaît pardevant le prévôt de Paris avoir pris à certaines personnes, sous prétexte de forfaiture, les objets énumérés dans l'acte ci-dessous, daté du 12 mars 1329, et s'oblige à les restituer ou à en payer la valeur
A 72. - L'énumération de ces objets est assez intéressante pour l'histoire du mobilier. - " En le maison Robert de Buscoi, II aniaus d'argent. " Biens pris à Warnier Descout : " II bacins, I estandart, I pot lavoir, II poz d'estain, VI escueles d'estain, II cheminiaus, une cramellie, unes tenailles, I pot de coevre, une chaudiere I frain une grant paelle d'airain a deus oreilles, deus chandeliers, l'un de coevre, l'autre de fer, une saliere d'estain, deus paelles d'arain a queus, une seille, une coustepointe et une keute, deus mortiers, I lonc banc, II tables, III tretiaus, VI coussins, XI chaeres, II bouteilles d'estain, II forgiers, une robe de saye fourree de connins, un tournikiel et un capel des armes Warnier, le wardecors de bleu Warnier, une paire de grans tables a escrire, pluseurs dras linges en une huche ou les choses estoient, une auwe, IX oisons, VIII livres de file ou environ. Et estoit prouve que oultre ce ledit Mahieu avoit eu XLIIII soulz pour le loiier de la maison doudit Warnier ou il estoit pour cause du doaire. " Biens pris aux charpentiers de Bihucourt : " En la maison del un d'eaus avoit, oultre ce que li dis Mahieu en a conte, les parties suivans, cest assavoir, II huches, II grans bans, rondiaus, seilles et hanaz pour maison, jusques a II charretees, I surcot, III boistiaus de feves, une nappe, II touailles, III paire de lincheus, une cotele a femme, une corbelle et paniers. Et en la maison del autre, avoit X mencaus et III boistiaus d'avoine mesure d'Arraz, IX boistiaus de ble, demi mencau de farine et le sac, unes portes de kesne toutes neuves, XXX waraz de veche, II de late de XII pies de lonc, V quarterons de bourrees, I quarteron de laigne, V pieces de merrain, une table et une escaine. ".
Parfois, des communautés d'habitants se plaignent de ce que le bailli méconnaît leurs privilèges ou veut établir quelque " nouvellete ". Tel est le cas des gens du terroir de Langle qui, en 1321, adressent cette requête à la comtesse Mahaut : " A tres haute, tres noble et tres poissant dame, madame la contesse d'Artois, supplient humblement vo povre gent del Angle. Comme li bailli de Saint-Omer ont use depuis XII ans en encha de prendre X lb. de parisis pour refaire vos esquevins et vos cormans, et du temps nosigneur vostre pere, qui Dieus absoille, il n'en prenstrent nient. Pour quo, très chiere dame, il vous requièrent pour Dieu que vous i metez tel remede que il ne soient desherete. Et, tres chiere dame, se vous ne les en creez, il sont pres de vous ent enfourmer. " La comtesse fait droit à cette demande et charge Pierre de la Marlière, Jean de Sainte-Aldegonde et Willaume Le Maunier de faire une enquête ; le rouleau contenant les dépositions des témoins porte au verso cette mention : Visa, est et judicata A
A. 944. - " De par la contesse d'Artois et de Bourgogne. Bailli, nous vous envoions une supplication chi dedans enclose que chil de Langle nous ont faite. Si vous mandons que vous sachies la verite de che que dedens est contenu, et vous mandons que il ne nous plaist pas que nule nouveletes leur soit faits, mais que nostre drois y soit tons jours wardes, Nostres Sires vous gart, Donne a Conflans le XXIme jour d'avril. "
Le jugement ne m'est pas connu.
En résumé, ces enquêtes sont assez rares, et cependant toute facilité est donnée aux administrés pour porter plainte ; il leur suffit d'adresser à la comtesse d'Artois une requête qui ne se perdra point dans les cartons d'une bureaucratie encore inconnue.
Au point de vue financier le contrôle n'est pas moins sérieux et efficace ; toute dépense portée en compte doit être motivée et autorisée. Aussi le Trésor des Chartes renferme-t-il encore quelques milliers de mandements et de quittances, ordres de payer et attestations de payement
Le Musée des Archives départementales donne le fac-similé de ces trois types de pièces financières : 1° un mandement (du 2 septembre 1284) ; 2° une quittance (du 16 novembre 1280) ; 3° un compte (bailliage d'Artois. Ascension 1288).
. Ce sont les pièces justificatives que le comptable, bailli ou receveur, doit présenter aux commissaires chargés de vérifier ses comptes.
Il n'y a pas de chambre des comptes (elle ne sera instituée qu'en 1385 à Lille) ; mais des hommes de confiance sont désignés pour examiner la comptabilité des bailliages. Ainsi, en 1298, Robert de Beaumetz, châtelain de Bapaume, Renaud Coignet de Barlette et Hue de Bapaume, archidiacre d'Ostrevent, sont chargés de vérifier les comptes de Thierry d'Hireçon, alors préposé aux dépenses de la chambre du comte d'Artois ; après leur examen, Robert donne son approbation par ces lettres de décharge : " Et sic, facta collatione de introitu ad exitum, inventum est quod introitus superat exitum LXXI S. et IIII d. paris., in quibus tenetur nobis idem Terricus. Nos autem dictum Terricum et heredes suos de predicto compoto quantum ad summas dictas pertinet, quitamus, assolvimus et perpetuo liberamus. In cujus reitestimonium presentibus littéris, ad ipsius Terrici et suorum cautelam, sigillum nostrum fecimus apponi. Datum apud Attrebatum, die jovis ante festum Beati Clementis, anno Domini M° CC° XCVIII° [A 2, fol. 21]. "
J'ai déjà mentionné l'intervention du Roi contre le bailli de Bapaume, Jean Creton, parti sans avoir rendu ses comptes (1293) ; l'un des vérificateurs de 1298, Renaud Coignet de Barlette, n'a pas une meilleure fortune quelques années plus tard : le 22 août 1303, la comtesse Mahaut écrit à Charles II, roi de Sicile et de Jérusalem, lui disant que ledit Renaud, pendant qu'il gouvernait l'Artois en l'absence du comte Robert, a commis toutes sortes d'exactions, n'a jamais rendu de comptes ou n'en a rendu que de faux ; elle l'a fait citer, il n'a voulu comparaître ni personnellement ni par procureur ; un jugement a été rendu contre lui ; elle prie le roi Charles de le regarder comme coupable
A. 49.
.
Le 27 septembre 1296, le comte d'Artois commet Raoul de Toutencourt, chanoine d'Arras, Thierry d'Hireçon, et Jacques Louchart dit Barbedorée, bourgeois d'Arras, pour vérifier les comptes de Jean de Beaucaisne, sous-bailli d'Arras, et s'enquérir de son administration
A. 41. - Comission et enquête.
.
Les noms des vérificateurs des comptes sont malheureusement assez rares dans nos archives ; ou trouve souvent la formule suivante ou une analogue : coram gente nostra per nos specialiter ad hoc statuta
1296 - A. 140.
. Renaud Coignet notifie que Jean de Mouchi, bailli d'Arras, doit telle somme après vérification de ses comptes " fais a nous et a la gent monseigneur
1298 - A. 145.
. " Un acte mentionne que le 3 juillet 1298 les baillis d'Artois ont rendu leurs comptes à Saint-Omer devant une commission composée de l'archidiacre d'Ostrevent, de maître Thibaut d'Aunoy, maître Thierry et nobles hommes le sire de Beaumetz, Simon de Mauregart et Renaud Coignet de Barlette, chevaliers
A. 146
. En 1303 Ernoul Caffet, bailli d'Arras, et maître Raoul de Valière vérifient les comptes de Simon Mus, receveur de Merck. En 1329, " maistre Jehan de Salins, maistre Pierre de Venat et Guillaume de Malleval " sont envoyés de Paris à Arras " pour oyr les comptes des baillis
A. 494.
. " Thierry d'Hireçon paraît avoir fait partie de droit des commissions chargées de vérifier les comptes des baillis de la comtesse Mahaut.
Souvent les comptes portent en marge des annotations écrites de la main des vérificateurs : debetur, - non probatur, - probetur, etc. Presque toujours ils se terminent par cette mention, également ajoutée de leur main : sic facta collatione superat exitus (ou introitus) introitum (ou exitum) N.... libr..... sol..... den., quas debet baillivus (ou Domina) Domine (ou baillivo
" Sic facta collatione, superat introitus exitum VIXX XII lb. XII den. quas debet dyonisius domine. " (a. 261. - chand. 1310.
).
Quelquefois le compte fait l'objet d'assez longues observations, comme celui de l'hôtel à la Chandeleur 1320, présenté par le trésorier Étienne Bricadel : " Et seront oy les contes des vins, des buches, des bacons, des foins, des chevaux et des demoranz des dras de cestui conte et de tous les autres du tans maistre Estiene.
" Item, est assavoir qu'il n'a point baille de tesmoignage
Quittance.
de XX lb. que il conta au terme de la Toussains l'an XVIII es ouvrage de Conflans, bailliez a Germain le maçon.
" Item, il ne conte riens en cest conte dou gaaing des monnoies, fors que de celes qui sont venues de Bourgoigne.
" Item, il ne montre nul tesmoignage de l'achat des vestemenz, cest assavoir chasuble, domaticles et tous les vestemenz qui appartiennent a prestre, a diacre et a sous-diacre que Madame donna al abbeye de Saint-Anthoine
A. 378.
. "
Le compte présenté par le bailli de Saint-Omer à la Toussaint 1309 n'est accepté qu'en partie ; les commissaires refusent d'approuver les dépenses faites pour travaux aux châteaux de Saint-Omer et de Ruhout : " Et est asavoir que les oeuvres desusdites, comment que elles soient acontees, ne sont point acceptées, et les fera on voir
A. 253..
"
Le compte du bailli de Tournehem, de la Toussaint 1327, est rejeté en entier : " Et est assavoir que mons. le prevost n'a mie accepte cest conte pour aucunes erreurs qui y sont notees es esterais
A. 410.
. "
D'autres comptes - et c'est le plus grand nombre - sont complètement approuvés, comme celui de Guillaume de Salins pour l'hôtel de la comtesse d'Artois à la Toussaint 1328 : " Vera per totum per diligentem collationem factam ad compotum receptoris ipsius termini
A. 480.
. "
La mort n'éteint pas la responsabilité pécuniaire du bailli. Au printemps de 1316, Jean d'Anvin, bailli d'Avesnes et d'Aubigny, meurt dans l'exercice de ses fonctions ; sa veuve présente ses comptes au terme qui suit son décès
A.343. - " Cest li contes Jehan Danvin bailli d'Avesnes et d'Aubigny fais par Maroie sa femme. "
. Jeanne de Bailleul, veuve d'Ernoul Caffet, receveur d'Artois, règle les comptes de son mari, en 1308, et présente l'état de tout ce que ledit Ernoul " aquist a hiretage en le conte d'Artoys puis le trespas mon singneur d'Artois, qui Diex absoille
A. 235.
. " A la mort d'Enguerran de Mastaing, bailli d'Arras, la comtesse Mahaut fait consigner chez son receveur d'Arras une partie de ses biens comme caution de sa gestion financière ; puis elle permet qu'il en soit distrait cent livres parisis pour les besoins de sa veuve, mais à la condition que son beau-père, Jean Hanière, avocat en Parlement, s'obligera à parfaire la somme consignée, s'il en est besoin : cette condition est acceptée
A. 69, - Acte du 6 fevrier 1324.
.
C'est ainsi que la personne du bailli, ses biens, ceux de ses proches étaient l'efficace garantie de son honnêteté et de sa bonne administration.
III.
Les baillis sont nommés pour un temps illimité, révocables à merci, ou changés de résidence au gré du comte d'Artois
" ROBERS CUENS D'ARTOIS A TOUS CES QUI CES PRESENTES LETTRES VERRONT ET ORRONT, SALUT. NOUS FAISONS ASSAVOIR A touz QUE NOUS, JAQUE LE MOYNE DE LA DEURE, PORTEUR DE CES PRESENTES LETTRES, ESTABLISSONS ET ORDENONS NOTRE BAILLI DE TORNEHEM ET DE TOUTES LES APPARTENANCES, ET.MANDONS ET COMMANDONS A TOUS NOS HOMMES, CHEVALIERS, ESCUIERS, CLERS, MAIEURS, ESCHEVINS, BOURGOIS ET TOUTE MANIERE DE GENT DE QUELQUE ESTAT ET DE QUELQUE CONDITION QUE IL SOIENT, SUBJEZ A NOUS EN LADITE BAILLIE DE TORNEHEM ET ES APPARTENANCES, QUE IL AUDIT JACQUE OBEISSENT ET ENTENDENT EN TOUTES LES CHOSES QUI AL OFFICE DE LADITE BAILLIE APPARTIENNENT, JUSQUES A NOTRE Volente. DONNE A DEURE L'AN DE GRACE MIL CCIIIIXX DIS ET SEPT, LA VEILLE DE TYEPHAINE. " (A. 2, FOL. 4.) " ROBERS CUENS D'ARTOIS, A TOUS CEUS QUI CES PRESENTES LETTRES VERRONT ET ORRONT, SALUT. SACHENT TOUT QUE NOUS AVONS ESTABLI JEHAN DE BIAUKAISNE, PORTEUR DE CES LETTRES, NOTRE BAILLIF DE SAINT-OMER A GAGES ACOUSTUMEZ, TANT QU'IL NOUS PLAIRA, ET MANDONS ET COMMANDONS A TOUZ NOS SUBGIEZ ESTANT EN LA DITE BAILLIE QUE IL AUDIT JEHAN DE BIAUKAISNE OBAISSENT COMME A BAILLIF. DONNE A CALAIS LE TIERS JOURS DE MARS EN L'AN DE GRACE MIL DEUS CENZ QUATRE VINS DIS ET WIT. " (A. 2, FOL. 29.)
. Prêtaient-ils entre les mains du Comte un serment analogue à celui des baillis du Roi
BOUTARIC : La France sous Philippe le Bel, P. 170.
? Je n'ai point trouvé trace de cet acte solennel, mais il est probable qu'il se faisait : il y a pour ainsi dire identité entré l'administration du comté d'Artois et celle du domaine royal. Mais en beaucoup de villes, peut-être partout, le bailli, à son arrivée, prêtait serment sur les saints Evangiles par devant les échevins, de garder les droits de Dieu, de la Sainte Église, du comte d'Artois, et les privilèges et coutumes de la ville confiée à ses soins
" SEREMENT DU BAILLI D'ARRAS, QUI DOIT PRESENTER SON POOIR ET FAIRE LE SEREMENT CHI APRES ESCRIPT, EN LA HALLE, AU MAIEUR ET ESCHEVINS, LA MAIN TENANT SUR LE CRUCIFIX OU SUR LE LIVRE, AVANT QU'IL PUIST EXERSER EN LADITE VILLE. " CE SERMENT A ETE PUBLIE PAR M. GUESNON : Inventaire chronologique des Chartes de la ville d'Arras, P. 510. SERMENT DU BAILLI DE BETHUNE : " C'EST LI SERMENS QUE LI BAILLIS DOIT FAIRE. - SIRE, VOUS JUREZ A WARDER LES DROIS DE DIEU, DE SAINTE EGLISE, DE MADAME D'ARTOIS, VEUFVES, FEMMES, ORPHELINS, LES CHARTRES, LES PRIVILEGES, LES US ET COUSTUMES DE LEDITE VILLE DE BETHUNE TENIR ET WARDER SANS ENFREINDRE, FAIRE OU FAIRE FAIRE BONNES PRINSES JUSTES ET LOIAUX, TANT PAR VOUS COMME PAR VOS SERGEANS, DEPUTES ET COMMIS, ET FEREZ OU FEREZ FAIRE DROIT ET LOI A TOUTES PARTIES QUI LE REQUERERONT, ET TOUTES LES PRINSES QUI SONT FAITES PAR VOUS OU VOS DEPUTES, COMMIS OU SERGEANS, SONT ADMENEES PAR DEVANT ESCHEVINS, ET ICELLES PRINSES FAIRE TRAITER ET DEMENER PAR LEURS JUGEMENS ET NON AUTREMENT. - ET PUIS BAISE LES SAINS, ET CHE PROPRE SERMENT IL JURE PAR LA FOY EN LE MAIN DU CLERC DES ESCHEVINS OU NOM ET POUR LEDITE VILLE. " RECUEIL DE CHARTES ET TITRES CONCERNANT LES DROITS DES GRANDS GAILLIS, P. 136. - LE BAILLI PRETE AUSSI SERMENT A SAINT-OMER, A HESDIN, ETC.
Les gages des baillis ne sont pas personnels ; ils sont attribués aux postes occupés par ces fonctionnaires et très inégaux ; ils sont payables par tiers à chaque terme de la Chandeleur ; de l'Ascension et de la Toussaint, malgré la durée variable et inégale de ces différentes périodes.
Le bailli d'Arras
AU XIIIe SIECLE, LE BAILLI D'ARTOIS REÇOIT 1001. PAR. DE TRAITEMENT ANNUEL.
reçoit 80 l. p. par an (26 l. 13 s. 4 d. par terme).
Le bailli de Lens reço it 75 1. p. par an (25 1. - -)
Le bailli d'Aire reçoit 60 1. p. par an (20 1. - -)
Le bailli de Béthune reçoit 60 1. p. par an (20 1. - -)
Le bailli d'Hesdin reçoit 60 1. p. par an (20 1 - -)
Le bailli deSaint-Omer reçoit 60 1. p. par an (20 1 - -)
Le bailli d'Avesnes et Aubigny reçoit 40 1. p. par an (13 1. 6 s. 8 d -)
Le bailli de Calais reçoit 30 1. p. par an (10 1. - -)
Le bailli de Merck reçoit 30 l. p. par an (10 1. 6 s. 8. d.-)
Le bailli deTournehem reçoit 16 l. p. par an (106 s. 8 d. -)
Le bailli d'Éperleeques reçoit 16 1. p. par an (106 s.8 d. -)
Le bailli de Beuvry reçoit 16 1. p. par an (106 s. 8 d. -)
Beaucoup de ces traitements sont assez modestes, si on les compare aux gages d'autres fonctionnaires ou de maîtres ouvriers : Thierry d'Hireçon, le premier ministre de la comtesse Mahaut, reçoit 200 livres parisis chaque année ; le prévôt de Paris reçoit 16 sous par jour, soit environ 292 livres, les baillis de Champagne et de France, 365 livres par an
Boutaric, loc. cit., p. 171.
; maître Jacques de Boulogne, peintre attitré du château d'Hesdin, 2 sous tournois par jour, soit environ 30 livres parisis par an ; un maître maçon ou charpentier, un maître peintre ou tailleur d'images est payé en Artois deux sous parisis par jour, ce qui représente (en déduisant les dimanches et jours de fête) de 25 à 30 livres parisis par an. Mais il faut remarquer que l'on fournissait aux baillis le logement et probablement le chauffage, qu'ils avaient part aux largesses de la comtesse d'Artois, et que, le plus souvent, les bailliages les moins rétribués sont donnés à un même fonctionnaire ou réunis à un bailliage plus important
Ainsi Calais avec Merck, Beuvry avec Lens ou Béthune, etc. Voir plus loin la liste des baillis.
. Le mode de payement des receveurs n'est pas indiqué dans les comptes.
La charge de bailli était estimée et recherchée. Les baillis se recrutent en effet dans les rangs de la noblesse et de la bourgeoisie : presque tous sont d'origine artésienne, picarde ou boulonnaise, et beaucoup portent des noms connus dans la petite noblesse d'Artois ou la bourgeoisie d'Arras et de Saint-Omer : Guillaume Blondel et Miles de Nangis, chevaliers l'un et l'autre, baillis d'Artois au XIIIe siècle ; Jean et Willaume de Héronval
En la commune d'Hardinghem, canton de Guînes.
; Enlart de Waudringhem, sire de la Motte, chevalier ; Guillaume de la Balme, son fils Barthélemy ; Witasse d'Auffoy, sire du Belloy
Près de Picquigny, en Picardie.
; Enguerrand de Louvencourt
D'origine picarde, qualifié d'écuyer d'Artois dans un rôle de 1339.
; Ansel d'Anvin
D'Anvin de Hardenthun. (H. de Rosny, Recherches généalogiques, II, 729).
; Jean et Enlart de Sainte-Aldegonde ; Wautier Roux ; Henri Le Marquis de Gênes ; André Champdavaine ; Guilbert de Nédonchel ; Philippe de Neuville ; Guillaume d'Arras, sire de Bruay ; Jean de Roisin, en Hainaut ; Wistasse de Cokove ; Pierre L'Horrible ; Robert du Plessier ; Willaume de Saint-Nicolas, etc., qualifiés de chevaliers ; Willaume de La Planque écuyer ; maître Jean de Houplines ; Thomas Brandon ; Ernoul Caffet, marié à demoiselle Jeanne de Bailleul ; Pierre d'Hireçon, neveu du prévôt d'Aire et gendre de Thomas Brandon ; Bertoul de Bengy ; André et Jean de Monchy ; Mathieu Cosset, d'une des premières familles de la bourgeoisie d'Arras ; Pierre de Lécluse ; Pierre de La Marlière ; Aliaume Cacheleu ; Colart Brunel ; Mathieu Lanstier, échevin d'Arras ; Adam Cardevaque ; Jacques Cornille ; Jean de Thélu, d'une famille de tapissiers d'Arras ; Enguerran de Wailly ; Gilles de Blessy ; Guillaume de Valhuon ; Enguerran Le Caucheteur de Campaignes ; Jacques Le Moine ; Aliaume du Brequin, d'Arras ; etc.
Dans cette énumération sont compris les noms de plusieurs baillis en fonctions, entre 1329 et 1350.
Les fonctions de receveurs d'Artois et de receveurs des bailliages, lorsqu'exceptionnellement elles sont distinctes de celles du bailli, paraissent avoir été exclusivement exercées par des bourgeois : Gilles de Courcelles, bourgeois d'Arras ; Baude Le Normand, Ernoul Caffet, Laurent Hoel, Matthieu Cosset, André de Monchi, tous originaires d'Arras ; Loy Le Grave, bourgeois de Calais ; Simon Mus, de Merck ; etc.
Il est difficile de trouver entre les différents bailliages une hiérarchie, et aux déplacements des baillis une règle déterminée ; les causes qui pouvaient présider à ces nominations nous sont aujourd'hui inconnues. Ainsi Wistasse de Coukove, chevalier, originaire du fief de Cocove, en la paroisse de Recques en Boulonnais, est successivement bailli d'Hesdin, d'Aire, de Calais et Merck, et de Saint-Omer : tous ces bailliages donnent droit à un traitement annuel de 60 livres, Calais et Merck étant réunis dans les mêmes mains ; Ernoul Caffet, bailli de Lens de 1296 à 1300, passe à Arras et meurt en 1308 bailli d'Arras et receveur d'Artois ; Willaume de Héronval, chevalier boulonnais, quitte Aire pour Calais en 1314 ; Willaume de La Planque, écuyer, va de Calais à Béthune ; Ansel d'Anvin, chevalier, est bailli de Lens et Beuvry de 1303 à 1311, puis de Béthune les années suivantes ; Jean de Waudringhem, chevalier, occupe successivement les postes d'Avesnes et Aubigny, de Bapaume et d'Hesdin ; Pierre d'Arras, ceux de Calais, Saint-Omer, Aire, etc. Avant d'être nommés baillis, quelques-uns sont châtelains, d'autres, en très petit nombre il est vrai, prévôts ou sergents. Ainsi Ansel d'Anvin est nommé châtelain de Calais en 1298 ; Robert du Plessier, chevalier, après avoir été bailli d'Hesdin de 1295 à 1304, en est ensuite le châtelain pendant plusieurs années ; Jacques Cornille, qui tient les comptes des oeuvres d'Hesdin pendant une quinzaine d'années (de 1321 à 1336 environ), est bailli d'Avesnes et Aubigny en 1338, puis de Béthune jusqu'en 1348.
Ainsi composé, le corps des baillis présente toutes garanties d'honnêteté dans son administration et de fidélité à la comtesse d'Artois ; dans les troubles qui suivirent la mort de Philippe le Bel, alors que Robert d'Artois revendiquait contre sa tante l'héritage de son aïeul, et que la majorité de la noblesse artésienne le reconnaissait pour son chef, aucun des baillis ne fit défection. Leurs relations avec la comtesse d'Artois paraissent avoir été simples et cordiales, conformes à l'étiquette du temps, qui admettait volontiers une respectueuse familiarité entre le fonctionnaire et son chef ; dans ses nombreuses pérégrinations à travers son comté d'Artois, la Comtesse ne manque point d'inviter à sa table le bailli et sa femme, et de leur adresser quelques-uns de ces présents qui, mieux qu'aujourd'hui, étaient acceptés par les inférieurs sans humiliation, comme un témoignage de l'estime et de la générosité de leurs chefs.
En résumé, il faut reconnaître, dans l'organisation des bailliages de l'Artois au XIVe siècle, une administration intelligente et probe, et, sauf de rares exceptions, soucieuse à la fois de garder intacts les droits du Comte et de faire régner au pays d'Artois le bon ordre et l'équité.
Jules-Marie RICHARD.
Novembre 1885.

Informations sur l'acquisition :

Historique de conservation :
Le Trésor des Chartes d'Artois forme la série A des archives départementales du Pas-de-Calais. Malgré des pertes nombreuses et regrettables ; il présente encore une importante collection de documents des XIIIe et XIVe siècles. Après la création de la chambre des comptes de Lille, en 1385, cette ville reçut les archives des ducs de Bourgogne relatives à leur province d'Artois ; mais si le dépôt d'Arras cessa de s'accroître, il ne fut point laissé à l'abandon, des trésoriers des chartes furent commis à sa garde jusqu'au moment où Godefroy, garde des archives de la chambre des comptes à Lille, fut chargé par le Roi et les États de le classer. Peut-être n'est-il point sans intérêt d'esquisser brièvement son histoire.
Les plus anciens documents sur les chartes d'Artois remontent à la fin du XIIIe siècle. Ce sont des inventaires très-succincts faisant mention des titres rangés par bailliages : " Ci sont li titre des lettres de le baillie d'Arraz et li saing par nombre de quoy eles sont seignies au dos et sur ces meimes sains les trouvera on en ce coffin. I° don que Etiennes Torcol et sa femme firent à Jaquemon leur fil de Bauduimont MCC et XI. - II° Lettres de le ville de Collemont adjugiées auz devanciers mons. MCCXVIII en mars. - IIIe Lettre que li sires de Hachicort fist hommage à mons. de Hachicort, de Bretencort et de Lyencort MCCXXXVII en mars. - IIII° Lettre mons. d'Artois sur la vente de Bauduimont que Etiennes Torcol et si hoir firent à maistre Adam de Vimy MCCXXXIX en may
A. 48.
", etc. Si brèves que soient ces mentions, elles ont leur prix parce qu'elles nous fournissent la date et la teneur d'actes perdus pour la plupart ; la date la moins ancienne mentionnée dans ces inventaires est celle de l'année 1299.
Peu de temps après, dans une lettre du 22 août 1303, Mahaut, comtesse d'Artois et de Bourgogne, exposait à Charles II, roi de Sicile et de Jérusalem, ses griefs contre Renaud Coignet, gouverneur d'Artois, qui avait dérobé des chartes, chirographes et autres lettres : " Est autem nobis adhuc alia enormis lesionis adjectio super qua contra ipsum R. deferimus questionem, cum ipse R. cartas, munimenta, cyrographa, privilegia et litterarum alias cauciones et instrumenta, jura, libertates et alia ad nos et comitatum pertinencia continentes seu continentia subtraxit furtive, maliciose, latenter et eas et ea presumptione dampnabili extra ipsum comitatum secum deferre et detinere nullatenus verebatur, et eas et ea adhuc penes se retinet furtive subractas seu subtracta in sue salutis dispendium
A. 49.
. "
Les documents sont malheureusement rares au XIVe siècle sur l'histoire des chartes d'Artois. Les mentions d'achats de parchemin et de papier, de payements de clercs abondent, mais je ne trouve pas trace, au moins dans la première moitié de ce siècle, de trésorier en titre d'office ; ces fonctions étaient sans doute remplies par un clerc de la chancellerie, et souvent les chartes suivaient les comtes ou comtesses dans leurs nombreux séjours ; de là ces coffrets achetés fréquemment pour les transporter. Elles paraissent avoir été surtout déposées à Paris
" Pour une almaire de fust mise en la conciergerie a Paris pour mettre les escris des contes madame XXXIII s. " (1330. - A 378.)
, à Hesdin, à Arras, qui étaient les résidences favorites des seigneurs d'Artois, et avoir été peu à peu réunies à Arras pour y demeurer définitivement
" Pour apporter les escrips de Calais à Arras qui estaient en letourele de le capelle du castel madame à Hesdin.... " (1321. - A 393.)
. C'est là que viennent se fondre, dans le trésor des comtes, les titres de Calais et de Merch antérieurs à la domination anglaise, et que sans doute quelque clerc prudent avait su soustraire aux vainqueurs. Il existait cependant au commencement du XVe siècle des gardes des chartes, car en 1428 Jean des Poulettes se démet de cette charge en faveur de son fils, avec l'autorisation du duc de Bourgogne
Le Glay. Mém. sur les actes relatifs à l'Artois qui reposent aux archives du dép. du Nord (Mém. de la Société des antiquaires de la Morinie, t. IV.)
.
Un de ses successeurs, Clarembault Couronnel, écuyer, fut décapité à Hesdin, par ordre de Louis XI, en 1477 ; la commission accordée par le Roi à Jean de la Vacquerie le 25 avril de la même année, mentionne que " ledit Clarembault pour aucuns grans cas, crimes, delis et maléfices par lui commis et perpétrés à l'encontre de nous a esté exécuté par justice "
B. 787
.
Jean Caullier, chevalier, seigneur d'Agny, remplissait la charge de garde des chartes d'Artois en 1526, époque où l'on s'occupa de la rédaction d'un inventaire. Les lettres-patentes de Charles-Quint, du 26 novembre 1526, confièrent ce travail à Jean de Feucy, abbé du Mont-St-Eloy et d'Hénin-Liétard et à Jean Caullier
" Charles par la divine clémence élu empereur des Romains, toujours auguste, roi de Germanie, Castille, de Léon, etc. à nos amés et féaux révérend père en Dieu l'abbé du Mont-St-Eloy et d'Hénin-Liétard, et Mre Jean Caullier, sieur de Aigny, président en notre privé Conseil et garde de nos chartres d'Artois, salut et dilection. Comme il soit venu à notre connoissance que longtems feus nos prédécesseurs comtes et comtesses d'Artois, dont Dieu ait les ames, ne nous ont fait voir, visiter les lettres, titres et enseignemens estant en garde notre trésorerie desdites chartes d'Artois, et que vrais ne justes répertoires ne s'en trouvent avoir été fait, par quoi à ce moyen peut bien souvent advenir que nos droits, autorités et seigneuries n'en ont été si bien gardez et préservez qu'il appartient, ains ayons soutenu, plusieurs diminutions et amoindrissemens en nosdits droits, hauteurs, autorités et seigneuries à notre grand préjudice et dommages, et encore pourrions dorénavant de plus en plus avoir et soutenir, si par nous n'y estoit pourveu et remédié, pour ce est-il que Nous, les choses dessus dites considérées, confians à plein de vos sens, discrétion, suffisance, loyauté, prudhomie et bonnes diligences, vous mandons et commettons par ces présentes que pris avec vous un adjoint homme de bien, expert, discret et notable, vous vous transportiez en notre trésorie des chartes d'Artois, estant en notre cour le comte d'Arras, et illec ouverture soit faite par vous sieur d'Aigny de la chambre d'icelle trésorie, et prins les vieils et anciens inventaires et répertoires desdites chartes, si avant en y a et qu'ils s'y trouvent procédans soigneusement et diligemment à faire et composer un nouveau répertoire juste, seure et véritable de tous et quelconques les titres, chartres, lettres et registres, comptes, informations, raports, dénombremens et autres enseignemens qui sont à présent en ladite trésorie d'Artois audit Arras, tant de ceux que trouverez comprins esdits anciens répertoires et inventaires si aucun s'en trouve, comme dit est, que des autres qui n'y sont inscripts ni compris, en faisant insérer audit nouveau répertoire l'effet et substance de tous lesdits titres par bonne, juste et ample déclaration en manière que facilement l'on les puisse trouver quand l'on en aura besoin et affaire, en faisant ainsi un recueil à part par forme de registre ou inventaire de lettres, titres, enseignemens comprins et inscripts esdits anciens répertoires et inventaires, si aucun y en a, comme dit est, qui ne seront à présent trouvés ne recouvrés en ladite trésorie, pour après faire diligence de le recouvrer si avant que faire se pourra. Et lle dit nouveau répertoire par vous fait et parfait, etc. il appartient alors qu'il soit traité et délivré et délaissé par vous abbé de Mont-St-Eloy, et vous seigneur d'Aigny, en prenant lettres de récépissé en tel cas requis, et emportiez, et envoyez le double en notre chambre des comptes à Lille, pour y être gardé à notre sûreté. Car ainsi nous plait-il de ce faire. Vous donnons pouvoir, autorité et mandement spécial et de vos peines, salaires et vacations votre dite besogne veu nous vous ferons raisonnablement payer et contenter comme il appartiendra. Donné en notre ville de Bruxelles le 27e jour de novembre l'an de grace 1526, et de notre règne, à savoir celui des Romains etc. le 9e et de Castille, etc. le 11e etc. "
; ils s'adjoignirent Robert de Faucompré, conseiller et procureur à Arras, et se mirent immédiatement à l'oeuvre. Leur inventaire forme un volume in-folio dont la bibliothèque communale d'Arras possède une copie ; ils analysèrent successivement les pièces renfermées dans chaque layette, sans se préoccuper de donner à chacun de ces groupes un ordre méthodique ou chronologique ; généralement assez longues, leurs analyses ont pour nous une grande valeur quand elles se rapportent à des document aujourd'hui perdus ; mais elles ne comprennent qu'un très petit nombre de pièces. Lors de l'institution du Conseil d'Artois, Jean Caullier en fut nommé président (1530) ; il mourut le 13 janvier 1531.
Son successeur, Guillaume Leblanc, seigneur de Houchin, résigna sa charge quelques années plus tard en faveur de Denis de Bersacques, licencié ès-Lois. L'empereur chargea la Chambre des comptes de Lille de le mettre en possession de son office, et le 19 mars 1545 Pierre Grenet, avocat, et Jean Morel, procureur au Conseil d'Artois, tous les deux domiciliés, à Arras, furent délégués " aux fins de procéder à la délivrance desdites charges et autres enseignemens appartenans à l'Empereur, estans en la trésorerie d'Artois, et les mettre es mains dudit Denis de Bersacques qui s'en chargera pour inventaire, selon celui qui repose audit trésor, d'en faire deux qui seront signés par le nouveau garde, dont l'un sera remis à la Chambre des comptes, et l'autre restera dans ladite trésorerie
Le Glay. Op. cit.
"
Ce nouvel inventaire était terminé et signé le 18 janvier 1548
In-folio de 138 feuillets ; la bibliothèque d'Arras en possède un exemplaire du XVIe siècle.
; ce n'est guère que la reproduction du travail de 1526, et déjà on y signale un certain nombre de pièces comme ne " se trouvant plus ". Ce fut jusqu'au règne de Louis XVI le dernier essai de classement.
A la mort de Denis de Bersacques, son office fut donné à Pierre de Bruxelles, maître des requêtes de l'hôtel de Philippe II, qui retenu par ses fonctions auprès du Roi n'en put prendre possession ; aussi fut-il presque immédiatement remplacé par Pierre Couronnel, conseiller ordinaire au Conseil d'Artois
Lettres de commission du 2 avril 1556. -B. 9.
. Le 27 mai 1581 Jacques Dubois lui succéda comme conseiller, mais ses lettres de commission ne contiennent aucune mention de l'office de garde des chartes.
En 1606 mourait Christophe d'Assonville, chevalier, sieur d'Hauteville, garde et trésorier des chartes d'Artois ; il fut remplacé par Adrien Delattre, écuyer, seigneur d'Ayette. " Celui-ci présenta requête au Conseil d'Artois le 4 décembre 1614 pour demander que les héritiers du défunt lui remissent tous les titres de la Trésorerie d'Artois, selon l'inventaire qui en avait été fait : cette requête paroit n'avoir été répondue que le 1er juin 1617 et le procureur-général du Conseil d'Artois ordonna de recevoir des héritiers du sieur d'Assonville tous les titres de ce dépôt et de les remettre au sieur Delattre: ce travail commença le 14 juin 1617 et finit le 12 juillet suivant. Son récépissé se trouve en la Chambre des comptes à Lille ; l'on n'y a pas détaillé de layettes comme dans les anciens inventaires, mais on les a verifiées toutes ; on n'a fait mention que des pièces qui manquoient : il paroit qu'elles sont en grand nombre
Godefroy. Avertissement placé en tête de l'Inventaire chronologique.
".
Simon Denis de Riencourt était trésorier des chartes en août 1696
B.292.
lorsqu'il fut anobli par application de l'édit de mars 1696.
Le 10 avril 1697 son fils François Denis, seigneur de Conchy et de Riencourt lui succéda, mais il mourut à la fin de la même année.
Dès le 12 janvier 1698 il était remplacé par Jean-François Poitart, avocat, dont la nomination fut confirmée par un arrêt du Conseil d'Artois du 26 janvier 1700 rendu contre Denis Rouget et l'autorisant à prêter serment
B. 301.
.
Il eut pour successeur Luc-Bertin Poitart qui, malade et devenu incapable de remplir ses fonctions fut remplacé, le 6 août 1742, par Josse-François-Sophie Binot, son neveu, bientôt nommé à titre définitif
B. 348.
. Binot fut le dernier trésorier des chartes d'Artois : il mourut en 1792
Jean-Baptiste Fourmault (179.-1836) et Alexandre Godin (1836-1873) ont eu, comme archivistes du Pas-de-Calais, la garde du Trésor des chartes d'Artois.
.
Les chartes reposaient toujours en l'ancien hôtel des comtes d'Artois à Arras, dit Hôtel-le-Comte devenu au XVIe siècle la résidence du Conseil d'Artois, dans une salle située sur la voûte de la porte d'entrée construite au XIVe siècle, probablement en l'année 1329
A. 496.
. En 1769, on reconnut que cette construction menaçait ruine : elle fut démolie et l'on transporta les chartes en une chambre du Conseil.
La seconde moitié du XVIIIe siècle fut marquée en Artois par un mouvement historique d'une réelle importance. En outre des abbayes bénédictines qui avaient gardé précieusement le culte traditionnel des études d'érudition, dom Devienne et le chanoine Hennebert écrivaient l'histoire de l'Artois, Harduin composait un recueil de dissertations très intéressantes, Beauvin poursuivait des recherches restées manuscrites pour la plupart, mais non dépourvues de mérite. Ces historiens s'étaient mis à consulter les riches dépôts d'archives que renfermaient les villes de la province, mais une difficulté insurmontable retardait l'ardeur de leurs études, c'était le désordre où se trouvait le Trésor des chartes d'Artois. Ils adressèrent aux États leurs justes doléances et cette assemblée, qui, en ces derniers temps surtout, témoigna d'une intelligence politique peu commune, résolut de faire classer le dépôt d'Arras ; l'Assemblée générale de 1774 approuva l'art. 14 du Cahier des Points qui confiait cette tâche à Binot, à Beauvin et à l'abbé de Douay
C. États d'Artois. " Assemblée générale de 1774. Cahier des Points. Art. 14. Chartes d'Artois. L'assemblée générale dernière aïant chargé le sr Beauvin de travailler à l'histoire générale de la province d'Artois, il a représenté aux députés ordinaires qu'il ne pouvoit remplir cet objet sans se procurer auparavant les matériaux nécessaires ; qu'il seroit plus utile pour tous les habitans de mettre les chartes de la province dans l'ordre convenable ; que tous les titres étant pêle mêle, et sans ordre, on ne pouvoit y avoir recours, à cause des recherches inouies qu'il falloit faire, ce qui exposait la pluspart des seigneurs et autres personnes à faire des dépenses considérables pour se les procurer d'ailleurs, et que pour avoir sous la main ceux dont les particuliers peuvent avoir besoin, il falloit un ouvrage solide ; les députés croient qu'il conviendroit de profiter de la circonstance pour arranger les archives : le sr Binot qui en a la garde n'étant pas payé suffisamment par le Roi pour entreprendre cette besogne, le sr Beauvin se joindrait à lui et à M. l'abbé de Douay qui est rempli de connoissances en cette partie, si on vouloit contribuer aux frais indispensables que ce travail demande. Les députés ordinaires aïant reconnu l'utilité de ce travail, et que le sr Beauvin ne pouvoit réellement perfectionner l'ouvrage ordonné sans ces éclaircissemens, persuadés d'ailleurs qu'on pourroit trouver dans ce dépôt quelques titres relatifs aux domaines aliénés par les souverains, qui pourroient servir à ceux qui les ont acquis, et par là se mettre à l'abri des recherches que l'on faisoit pour les évincer ; les députés ont cru devoir se prêter aux circonstances et payer au sr Beauvin les momens qu'il emploieroit : il a travaillé continuellement depuis l'assemblée. Quant au sr Binot, il se contentera d'un objet modique, et le sr abbé de Douay qui travaille par émulation et sans aucunes rétributions aux chartes, espère que lorsque l'ouvrage sera achevé, la province voudra bien lui accorder sa protection et ses bontés. " Les assemblées générales ont reconnu ci-devant combien il est intéressant que les chartes soient mises dans un ordre capable de satisfaire ceux qui sont dans le cas d'y avoir recours. " La présente assemblée voudra bien prendre cet objet en considération. " Résolu d'approuver tout ce qui a été fait par MM. les députés ordinaires, et leur renvoier l'objet de l'article au texte, pour faire mettre dans le meilleur état possible les chartes d'Artois. "
. Dès le 13 avril Beauvin adressait aux États un long mémoire " sur le plan et les moyens qui paroissent nécessaires pour parvenir à mettre de l'ordre dans les chartes déposées au Conseil supérieur d'Arras et pour en retirer toute l'utilité dont elles sont susceptibles ", il ajoutait même qu'il serait " aisé d'adapter ce plan à tout dépôt quelconque de chartes ou d'archives ". Son projet consistait à former quatre grands groupes : 1° les États, c'est-à-dire " toutes les chartes qui ne peuvent intéresser que la province en général et non aucun des trois ordres en particulier ", 2° le clergé, 3° la noblesse, 4° le tiers-état. Ses subdivisions ne sont indiquées que pour le clergé, elles sont au nombre de cinq : évêché d'Arras ; évêché de Saint-Omer ; abbayes ; chapîtres ; doyennés et cures. Puis l'auteur entre dans quelques considérations sur le temps nécessaire à ce travail dont la durée serait de 3 ou 4 ans, la dépense de 250 lb. par mois, dont 100 lb. pour lui ; il y glisse un éloge du bons sens qui lui permet de ne pas dissimuler ses talents poétiques
Beauvin devait alors quelque renom à sa tragédie des Chérusques qui avait été représentée à Paris.
. Il insiste sur l'utilité que chaque ordre retirera de ce classement qu'il compte compléter par l'établissement de deux tables générales des noms de lieux et des noms de personnes, et par la publication d'une " diplomatique ", recueil de pièces curieuses pour l'Artois dont la vente devait payer les frais de classement des archives au cas très-possible où cette opération demanderait plus de quatre ans. Il termine par le voeu de voir non-seulement les États d'Artois adopter ses idées, mais toutes les provinces de France encourager ainsi les travaux d'histoire locale.
Le dépôt des chartes était alors accessible au public moyennant un prix minime, et les expéditions se payaient. On permettait même à quelques particuliers de déplacer les pièces ; c'est ainsi qu'en décembre 1775, Binot envoya au chanoine Hennebert quatorze pièces des XIIIe et XIVe siècles. Je ne mentionne ce fait que pour constater la cause de la disparition de quelques documents : le procès intenté à la comtesse Mahaut, pour cause de sorcellerie en 1317, fut communiqué à Hennebert et ne fut point réintégré au Trésor des chartes, mais remis au dépôt des États où il figure dans l'inventaire de 1790 ; jusqu'à présent il n'a pu être retrouvé.
Après avoir examiné le mémoire de Beauvin, les États résolurent de l'adjoindre à Binot avec promesse de survivance ; le 31 août 1775, les députés à la cour, MM. d'Aumale, d'Aoust et Brunel demandèrent au maréchal du Muy de lui accorder " la survivance et l'adjonction, sans appointement, de la place de garde des chartes d'Artois dont le sieur Binot a été pourvu le 26 août 1742 par le ministre de la guerre à qui la nomination de cette place appartient. " Le maréchal leur demanda quelques éclaircissements : " Vous m'apprenez, leur écrivit-il le 14 septembre 1775, que la confusion. qui règne dans le dépôt des chartes y rend toute recherche impossible. Comment peut-il se faire que rien ne soit à sa place dans un endroit où quelqu'un est payé pour mettre l'ordre ? Faut-il accuser la négligence ou l'impéritie du sieur Binot ? Est-ce seulement l'effet d'infirmités qui le mettent dans l'impuissance de faire ses fonctions ? Quel est d'ailleurs le sieur Bauvin ? A-t-il le genre de connaissances qu'exige la place que vous demandez qu'on lui confie ? Vous me parlez bien d'un plan d'arrangement qu'il se propose d'exécuter. Mais en quoi consiste-t-il ? Voilà sur quels différents points il est nécessaire que vous me procuriez des détails dont je rendrai compte au Roi quand je prendrai ses ordres sur votre proposition "
C. États d'Artois.
. Le plus expert des archivistes n'eût pas agi plus sagement que ce brave officier. La mort de Beauvin interrompit les négociations.
Le gouvernement de Louis XVI encourageait de tout son pouvoir les études historiques : M. de Miroménil, garde des sceaux, eut connaissance de la valeur du trésor d'Artois et de la confusion qui y régnait ; il se proposa d'en confier le classement à Denis-Joseph Godefroy, sieur de Maillart, qui achevait à Lille l'inventaire des archives des comtes de Flandre. Il était secondé dans ses vues par M. Briois, premier président du Conseil d'Artois, qui fit écarter la candidature de dom de Vienne, historiographe des États, craignant " qu'il ne fut plus flatté de mettre promptement au jour une histoire quelconque de l'Artois et d'en recueillir le fruit, que de se livrer à l'étude froide et ardue des anciennes chartes du païs " ; il proposait, comme mesure de conciliation, de lui adjoindre un jeune religieux et de soumettre leur travail à Godefroy
Bibliothèque nationale. Cabinet des chartes 47. Intendance de Hainaut I, II (Collection Moreau, 331, 332.) Lettre du 6 juin 1783.
.
Au mois de mars 1785, les députés à la cour envoyèrent à leurs collègues d'Arras la copie d'une lettre adressée par M. de Calonne, contrôleur général des finances, ancien intendant de Flandre et d'Artois, au garde des sceaux, lui annonçant qu'il a autorisé " les administrateurs des domaines à payer à à M. Godefroy 1 000 liv. par an pendant trois années, à la charge de remettre à M. de Forges, chaque année, une copie de l'inventaire qu'il aura fait "
C. État d'Artois. Lettre du 24 mai 1785.
. Presque en même temps Godefroy écrivait à Moreau pour le remercier de lui avoir fait obtenir le classement des chartes d'Artois.
Mais les États, gardiens vigilants des privilèges de la province, n'entendaient point laisser au savant archiviste une trop grande indépendance : " Quelque recommandable, écrivaient-ils, que soit d'ailleurs cet officier, attaché nécessairement à la partie domaniale, nous pensons qu'il n'est pas opportun qu'il vienne parmi nous porter un oeil scrutateur dans les chartes de la province. Nous avons appris cependant qu'il sollicite à cet effet une commission particulière auprès de M. le garde des sceaux, offrant de travailler gratis, sauf les déboursés pour papier, encre, plumes, boëtes, armoires, etc., objets qui seroient paiés par le Roi. Nous vous proposons, Messieurs, après que vous aurez pris les informations convenables, de faire tous vos efforts pour que la commission que sollicite le sieur Godefroy au lieu et place du sieur Binot, ou comme adjoint à lui ou autrement, soit par préférence annexée au greffe des États, sous la direction des députés ordinaires, en laissant jouir le titulaire des émolumens attribués à cet office de trésorier. Par là, tout se feroit, tout se mettroit en ordre, tout se rétabliroit aux dépens des États et le domaine seroit tout à fait déchargé. "
Les députés à la cour obtinrent du maréchal de Ségur et du garde des sceaux, protecteur de Godefroy, de différer l'envoi de sa commission jusqu'après la réunion des États, et le 21 décembre 1785 ils purent remettre au maréchal une copie de la résolution prise en l'assemblée générale, qui sauvegardait à la fois les légitimes susceptibilités des Artésiens et les droits de la science dont le gouvernement du Roi s'était fait le champion.
" Résolu de contribuer de la somme de trois mille livres payables en trois années, par parties égales de mille livres chacune, aux frais de la confection d'un inventaire de tous les titres et pièces qui existent dans le chartrier d'Artois placé dans les archives du palais de la justice à Arras, et de charger MM. les députés généraux et ordinaires et à la Cour de convenir avec les ministres du Roi.
" 1° Que cet inventaire sera fait à Arras, sans que les titres soient déplacés. 2° Que ce travail ne sera pas confié à autre qu'au sieur Godefroy, garde des archives de l'ancienne chambre des comptes de Lille, l'assemblée déclarant qu'elle a autant d'estime pour sa personne que de confiance dans ses lumières et ses talens. 3° Que le sieur Godefroy sera tenu de remettre chaque année à MM. les députés ordinaires desdits États une copie de la partie dudit inventaire qu'il aura faite ou qui aura été faite sous sa direction. 4° Que le paiement à faire par les États, de mille livres pendant trois années, sera fait audit sieur Godefroy aux époques du payement de semblables sommes que les administrateurs des domaines du Roi sont autorisés à lui faire, ainsi qu'il conste d'une lettre écrite de Paris le 24 mai de cette année par M. de Calonne, contrôleur général des finances à M. le garde des sceaux de France, de laquelle lettre copie a été représentée à l'assemblée. 5° Enfin que le trésorier garde ordinaire des chartes d'Artois sera maintenu dans les droits, fonctions, privilèges et émolumens de son office, tels qu'ils lui sont attribués par sa commission "
C. États Artois. Assemblée générale de 1785. Cahier des Points. Art. 2
.
Le 2 février 1786, Louis XVI signait les lettres qui ouvraient à Godefroy l'antique trésor des Robert d'Artois.
Au mois de juin Godefroy arrivait à Arras avec plusieurs commis formés à, ces sortes de travaux, et se mettait à l'oeuvre, aidé par l'abbé de Douay, aumônier du Conseil d'Artois et chanoine de Lens, qu'il qualifie " d'homme laborieux, actif et attaché par goût à la partie diplomatique. " - " Je suis parvenu, dit-il dans sa préface, à dater et à classer par ordre chronologique tous les titres de ce chartrier ; j'y ai aussi compris ceux de trois cartulaires... J'ai suivi dans mon inventaire l'ordre chronologique, parce qu'il m'a paru le meilleur dans un chartrier aussi nombreux : d'ailleurs, comme il doit être mis dans le dépôt du droit public et de législation du Royaume, avec ceux que le gouvernement fait faire dans les autres provinces et qu'ils sont tous dans le même ordre, je n'ai point cru devoir le changer : les savans qui ont souvent besoin de consulter ces inventaires, trouvent bien plus aisément ce qui leur est nécessaire pour éclaircir l'époque qu'ils désirent, quand ils sont faits par ordre de dates.
" Plusieurs personnes paroissoient désirer que je suivisse l'ordre des matières tel qu'il avoit été établi par layettes, dans les précédens inventaires, et ils fondoient leurs raisons sur ce que plusieurs auteurs qui ont travaillé sur l'histoire d'Artois, et notamment Maillart qui a commenté la coutume, ont cité des titres de ce dépôt par les layettes qui les contenoient. Mais comment classer par ordre de matières des titres qui souvent appartiennent à plusieurs ? D'ailleurs ces auteurs en citant les chartes en ont probablement donné les dates ; alors il sera très-aisé de les trouver dans mon ouvrage, et en supposant que les dates n'y aient pas été mises, on trouvera également ces titres en consultant les tables des matières qui seront a la fin de chaque volume. "
Tel était le plan adopté par Godefroy. Sa correspondance avec Moreau permet de le suivre dans ses travaux, en même temps qu'elle nous révèle l'état où se trouvait alors le chartrier d'Artois. " Le local de ce dépôt est affreux, écrit-il dans un mémoire daté du 7 avril 1786, il ne consiste que dans une chambre tenante au grenier, elle a quinze pieds quarrés ou environ ; on y arrive par un corridor long et très-obscur. Il y a au milieu de cette salle 40 ou 50 laïettes dont plusieurs ne peuvent pas servir parce qu'elles sont trop petites : ces laïettes contiennent beaucoup de titres originaux qui ont été très-serrés aux despens des sceaux qui sont en partie brisés. Cette chambre est entourée de six à sept grandes armoires fermées avec des verrouils, où il se trouve beaucoup de titres pêle-mêle et une assez grande quantité de comptes tant en rouleaux qu'en livres ; au-dessus de ces armoires l'on voit plusieurs coffres très-grands et dix grands sacs ou environ remplis à comble d'originaux que l'on dit être des pièces justificatives des comptes. "
Godefroy s'empressa de chercher un local plus favorable à la conservation et au classement des chartes, il le trouva dans l'abbaye de Saint-Vaast qui venait d'être reconstruite, et où les religieux, après quelques difficultés, consentirent à lui donner un asile, jusqu'au moment où la reconstruction projetée du palais des États aurait fourni au Trésor d'Artois un abri définitif. C'était, dans un bâtiment isolé, une grande salle de 36 à 40 pieds de long, sur 24 de large, attenante à un cabinet de même largeur, sur 12 pieds de long
Lettre du 16 décembre 1787.
. Les États firent disposer des layettes et des armoires pouvant être transportées ailleurs, et l'archiviste put écrire au garde des sceaux qu'il tenait au courant de ses travaux : " Le nouveau local est très-bien rangé par l'abbaye de Saint-Vaast, l'emplacement est plus que suffisant pour placer tous les titres, et il est à l'abri du feu et de l'humidité. Le cabinet qui y tient et où je travaillerai est très-commode ; on y a fait une cheminée de bois blanc, il eût été à désirer qu'elle fût en pierre : mais je n'y ferai jamais de feu et je crois que mes successeurs n'en feront guères
Lettre du 9 juillet 1788. Le local de St-Vaast reçut seulement les chartes antérieures à 1313.
. "
Tout en prenant ces dispositions Godefroy s'était mis à son travail d'archiviste : " J'ai tiré, écrivait-il le 3 septembre 1786, de toutes les layettes, tous les titres en parchemin, originaux et autres qui y étoient depuis longtemps serrés à grande force sans aucun ordre, dans des coffres et des armoires ; je les ay rangés par ordre chronologique dans une grande salle que MM. du Conseil d'Artois m'ont prêtée. J'estime que le nombre de ceux que j'ai étiquetés peut aller à 8 000 au moins qui ne vont pas au delà de 1400 ; j'ay aussy trouvé trois cartulaires en parchemin qui contiennent près de 1 000 chartes des 12° et 13e siècles. " - " Le plus ancien titre original est un privilège donné à la ville de Calais par Gérard comte de Boulogne et de Gueldres, il n'a point de dattes, mais je le crois du 12e siècle. Quand je serai avec des livres, je pourrai lui en fixer une. La première charte de tout le dépôt est de 1112, elle a été donnée à l'abbaye d'Auchi par un comte de Flandre et elle est en si mauvais état qu'on ne peut en tirer de copies " (14 juillet 1786). - " Je viens de finir pour cette année les travaux que j'ai commencés dans les archives des anciens comtes d'Artois déposées à Arras. La saison qui devient mauvaise et rigoureuse dans ces vilains galetas m'oblige de retourner à Lille et d'y mener mes commis, j'y vais travailler à la rédaction de mon premier volume qui finira, je crois, avec l'année 1294, et en faire les tables. J'ay classé par ordre chronologique tous les titres précieux de cet ancien chartrier, j'estime qu'il peut y en avoir 50 000 y compris trois cartulaires du 13e siècle. Mon inventaire commence à 1102, le plus ancien titre original est de 1170 ou environ, et il n'y en a point après 1400. " (22 septembre 1788, au Garde des sceaux). - " La saison qui va devenir meilleure va m'engager à me rendre à Arras pour y continuer mes travaux diplomatiques et travailler au second volume de l'inventaire du dépôt prétieux des anciens comtes d'Artois. Le premier est totalement fini, ainsi que les deux tables des matières et des noms, mais il m'en faut beaucoup de copies, et j'ay de la peine à trouver des copistes intelligens parce que je ne veux pas emploier à cet ouvrage peu difficile mes commis ordinaires qui savent mieux faire usage de leur tems "
Lettre du 29 mars 1788, adressée à Moreau. Godefroy lui fait part de son mariage avec Mlle Eugénie de Lencquesaing. " Après avoir passé jusques à présent tout mon tems à vieillir sur les vieux parchemins, je vais prendre une besogne qui me sera plus agréable et qui ne me fatiguera peut-être pas moins : je me marie. La vie d'un vieux célibataire me semble dans l'avenir peu agréable ; il vient un tems où l'on est aise de ne pas sortir de chez soi pour trouver une société sûre et agréable : un peu d'envie de ne pas laisser éteindre un nom célèbre dans la république des lettres, tout cela m'a déterminé à prendre femme. Mes affaires m'apellent à Paris, je vais lui faire voir cette ville célèbre ; j'aurai beaucoup de plaisir à vous y embrasser, Monsieur, et à vous présenter quelqu'un qui me sera bien cher.
.
Ce premier volume fut envoyé le 12 novembre 1788 à M. de Barentin, alors garde des sceaux. Dans une lettre du 1er septembre 1789, adressée à M. de Valcourt, Godefroy estime que ses travaux vont, par suite des changements politiques, perdre de leur intérêt et il donne libre cours aux pressentiments qui dès l'année précédente se trahissent dans sa correspondance : " Les anciens documens de notre histoire et les ouvrages savans et pleins de recherches que nous tenons de nos ancêtres et que nous donnent encore les savans de ce siècle ne nous serviront qu'à regretter les tems anciens où les monarques ne régnoient que par les loix et où les loix étoient sages et bien exécutées. M. Moreau et sa famille doivent gémir des changemens déjà faits et de ceux qui sont prêts à s'opérer. La propriété des citoiens ne sera plus sacrée. La religion que nous professons sera détruite, les malheurs de la France seront à leur comble. "
Après quelques hésitations, le gouvernement se décida à suspendre, jusqu'à nouvel ordre, le traitement qu'il faisait à Godefroy, et celui-ci, le 3 mars 1790, réclamant diverses sommes qui lui étaient dues, résumait en ces termes ses travaux d'Arras : " J'ay étiquetté et classé par ordre chronologique 50 000 titres originaux au moins, tous antérieurs à 1400. J'ay fait le premier volume de cet inventaire, il commence en 1102 et finit avec 1287 ; le second volume est fort avancé, il finira avec l'année 1303. J'estime que mon inventaire, pour les chartes seulement, sera de huit volumes. Les autres titres de ce dépôt sont des quittances et documens de comptes dont le détail ne sera pas aussi long. "
Bientôt, après avoir vainement essayé de placer au district ses deux commis dont on avait supprimé les emplois, Godefroy dut se retirer dans une terre que sa femme possédait non loin de Lille, hors de France. Il ne put rentrer dans sa patrie qu'en 1801, et vint alors visiter son trésor d'Arras : le cabinet où il avait passé de si paisibles années avait été oublié : il put retrouver intacts ses livres et ses papiers
Les savants Godefroy. Mémoires d'une famille pendant les XVIe, XVIIe, et XVIIIe siècles (par le marquis de Godefroy-Ménilglaise.)
.
Après sa mort arrivée en 1819, M. le marquis de Godefroy-Ménilglaise, son fils, retrouva dans ses papiers les fiches du deuxième volume de l'inventaire ; il les confia à M. Le Glay, archiviste du Nord, qui les fit transcrire
Aux frais du département du Pas-de-Calais. Conseil général : Août 1836.
, leur ajouta des tables et forma ainsi ce volume qui comprend l'analyse de 1400 pièces de 1288 à 1300. En 1864, il remit à la Société des Antiquaires de la Morinie les analyses d'actes plus récents retrouvés encore dans les collections de son père. Un vote du Conseil général
Août 1874.
m'a permis de les faire copier, elles forment avec quelques additions le troisième volume qui s'arrête à 1329. L'oeuvre de Godefroy présente l'avantage inappréciable d'offrir l'analyse des pièces contenues dans les cartulaires qu'il avait cotés 2 et 3 et qui sont aujourd'hui perdus
" Dans le 2e se trouvent des confirmations de communes et autres chartes pretieuses accordées depuis 1302 jusqu'en 1309 par Mahaut, comtesse d'Artois, et Othon de Bourgogne, son mari. Le 3e contient celles données par la même comtesse Mahaut depuis 1309 jusques en 1321. " (Godefroy, Avertissement, etc.) Peut-être doit-on appliquer à ce troisième cartulaire cette mention fournie par un compte de la Toussaint 1320 : Pour parchemin acheté par Pierre le clerc pour faire 1 registre pour en registrer les lettres madame, pour la façon dudit registre et pour le ruiller XXXIIII s. VI d. " A. 386.
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Description :

Mise en forme :
Lorsqu'en janvier 1874 les fonctions d'archiviste du Pas-de Calais me furent confiées, l'un de mes premiers soins fut de vérifier l'état du Trésor des chartes d'Artois et d'en reprendre le classement. Je ne tardai pas à constater que depuis le jour où Godefroy avait dû l'abandonner, il avait subi des pertes nombreuses : les inventaires antérieurs à cette époque et d'autres documents permettent d'en évaluer approximativement l'importance.
On le sait, la Révolution fut impitoyable à Arras : cette malheureuse ville avait vu naître dans ses murs Lebon et Robespierre ! Le conseil général, les administrateurs des districts et les municipalités se livrèrent avec une triste émulation à la destruction des titres féodaux, brûlés solennellement sur les places publiques; d'autres documents, les parchemins de quelque étendue, furent envoyés dans les arsenaux pour être transformés en gargousses, ce qui, comme l'écrivait le 15 janvier 1793 le Ministre de la Marine au Directoire du Pas-de-Calais, offrait " en outre l'avantage de détruire des titres dont la saine philosophie demande l'anéantissement
District d'Arras. Liasse 153. Des rouleaux de comptes venant d'Arras se trouvaient encore, il y a quelques années, à l'arsenal de Metz.
. " Le Trésor des Chartes d'Artois, dépôt féodal s'il en fut, semblait plus que tout autre destiné à une prompte et complète destruction : on l'oublia à l'heure des premiers brûlements - c'était alors la meilleure fortune qui pût arriver à un fonds d'archives. - Il fut en partie sauvé.
Les chartes transportées à Saint-Vaast et antérieures à 1313 se sont presque toutes retrouvées, et la disparition de quelques-unes d'entre elles et de deux des trois cartulaires inventoriés par Godefroy ne peut être attribuée qu'à des vols intelligents. Il n'en fut pas ainsi malheureusement de la partie du dépôt laissée au Conseil d'Artois : là les chartes furent pour la plupart respectées, et avec elles la plupart des quittances dont on n'appréciait pas encore l'intérêt et dont la valeur matérielle, comme parchemin, était à peu près insignifiante. Mais un nombre de registres impossible à évaluer, et la plus grande partie des rôles d'enquêtes et de comptes disparurent pendant la Révolution et les années qui la suivirent.
En 1806, un jury procéda au triage des documents, dans un but qui m'est resté inconnu, mais qu'il n'est point mal aisé de pressentir : on n'en était pas encore à trier pour mieux conserver, et une telle opération ne pouvait avoir alors d'autre résultat que l'aliénation des documents jugés inutiles
Sur un feuillet de A 66 : " Cotté J. 3°. - Cotté et paraphé par le directeur du Jury avec nous Rouvroy et Fourmault, experts nommés par ordonnance du 4 février 1806, le sieur Grenier ayant déclaré ne vouloir signer. " J.-B. FOURMAULT, DEVIENNE, PETIT, ROUVROY. " A. 165 : " Cotté D. - Cotté et paraphé par le directeur du jury, avec nous Rouvroy et Fourmault, experts nommés par notre ordonnance du 14 de ce mois, en présence du magistrat de sureté qui a refusé de signer : " J.-B. FOURMAULT, ASSELIN, ROUVROY, DEVIENNE "
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Que devinrent les pièces non agréées par ce jury ? Furent-elles envoyées aux arsenaux ou vendues au public ? Les documents ne nous l'apprennent pas. Toujours est-il que la plus grande partie de la collection Monteil
On en trouve encore dans d'autres collections moins importantes. La collection Moore en contenait 543 pièces (12 chartes, une centaine de rôles judiciaires, plus de 400 comptes) ; elle fut offerte pour 3,000 fr. au département du Pas-de-Calais. M. Vallet de Viriville, chargé de l'examiner, conclut à une offre de 15 à 1,800 fr. (Rapport du 7 novembre 1844.) M. Godin remarquant que les archives départementales possédaient un grand nombre de " documents analogues, " estima cette " proposition trop libérale " et réduisit ce prix à 7 à 800 francs (Rapport du 20 décembre 1844). Les négociations furent alors interrompues. Dans ce rapport M. Godin signale le fait suivant : " Au .commencement de ce siècle, un greffier du tribunal civil d'Arras brûla un grand nombre de titres dans une plate cave située sous le local où l'Académie d'Arras tient actuellement ses séances, et faillit, par ce mode expéditif de classement, incendier le bâtiment entier. " Trois volumes de comptes relatifs à l'Artois figurent aussi dans la collection de Flandre du fonds Colbert, à la bibliothèque nationale, sous les nos 187, 188, 189 : leur origine n'est pas douteuse.
se trouva formée de rouleaux et registres sortis du Trésor des chartes d'Artois. Cette collection est aujourd'hui dispersée; les bibliothèques de Paris et du Pas-de-Calais ont recueilli une partie de ses richesses : les archives départementales, héritières légitimes de la trésorerie d'Artois, n'en ont rien reçu.
En 1810, on numérota les chartes selon l'ordre où elles se trouvaient dans le 1er volume de Godefroy, et l'on constata que les cartulaires cotés 2 et 3 avaient disparu
" C'est peut-être un fragment du deuxième que le Catalogue de la bibliothèque de sir Thomas Phillips (n° 2895) désigne sous le titre de Fragment d'un cartulaire de Mathilde, comtesse d'Artois. " (Léopold Delisle, Catalogue des actes de Philippe-Auguste. Un feuillet que j'ai retrouvé me paraît appartenir au 3e cartulaire qui aurait été mis en morceaux. A. 388.
. Deux ans après, des caisses de documents " ayant trait à l'histoire et au droit public de la France " étaient prêtes à partir pour Paris, conformément aux volontés de Daunou, lorsque les événements épargnèrent cette perte nouvelle aux Archives du Pas-de-Calais
Déjà une lettre du ministre de l'intérieur François de Neufchâteau, du 1er nivôse an VII, avait réclamé l'envoi à Paris de tous les cartulaires. L'archiviste Fourmault fit répondre qu'il n'y en avait plus " au dépôt des Archives de l'administration centrale du Pas-de-Calais ", l'administration du district les ayant fait brûler en 1792 et l'an II les jours de fêtes nationales, mais qu'on en pourrait trouver dans les Chartes d'Artois déposées au local du ci-devant Conseil d'Artois.
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En 1838, les chartes qui étaient restées au palais de Justice d'Arras furent transportées au dépôt des archives, en l'ancienne abbaye de St-Vaast
Rapport de M. de Champlouis, préfet du Pas-de-Calais, du 9 mai 1840 (rédigé par M. Godin).
. Il n'était que temps : dans les mauvaises conditions où se trouvait ce dépôt provisoire, plusieurs pièces avaient été atteintes par l'humidité et perdues, et en 1835 la justice avait dû sévir contre les auteurs de vols de parchemin commis au préjudice du Trésor des chartes et du Conseil d'Artois.
Ainsi, deux cartulaires et un nombre de registres impossible à évaluer ont disparu. Quant aux rôles de comptes et d'enquêtes, on peut se faire une idée de leur nombre en remarquant que l'Artois était ordinairement divisé, au XIVe siècle, en douze bailliages, auxquels il faut ajouter la recette générale du comté, les comptes d'hôtel, les comptes extraordinaires, les comptes d'ouvrages, de payements d'hommes d'armes, de fêtes, etc., et que les comptes se réglaient à trois termes annuels, Ascension, Toussaint, Chandeleur, ce qui permet d'attribuer à chaque année 50 ou 60 rôles ; soit pour les dernières années du XIIIe siècle et pour le XIVe siècle jusqu'à la création de la Chambre des comptes de Lille, un ensemble d'environ 50 000 rôles. Aujourd'hui je n'en ai guère compté plus de 2 000 !
Le 8 janvier 1875 j'adressai au ministère un projet de classement du Trésor des chartes d'Artois ; il fut adopté, avec quelques modifications de détail, et je reçus l'ordre de commencer l'inventaire de cette belle collection. Sa place était marquée dans la série A, l'Artois étant terre d'apanage. Cette province avait, en effet, été donnée en dot avec la Flandre, par Charles-le-Chauve à sa fille Judith, femme de Bauduin Bras-de-Fer; elle resta, sans former un comté distinct, dans la maison de Flandre jusqu'en 1180, époque où Philippe d'Alsace la donna en dot à la fille de Bauduin V, comte de Hainaut, Isabelle de Hainaut, sa nièce, qui épousait Philippe-Auguste. Louis VIII en avait hérité de sa mère avant de monter sur le trône, et par son testament il en disposa en faveur de son fils Robert, avec cette clause que si celui-ci mourait sans enfant, elle ferait retour à la couronne. Ce ne fut qu'en 1237 qu'elle fut érigée en comté, par saint Louis, en faveur de son frère.
Il ne fallait pas songer à rétablir l'ordre qui existait au XVIe siècle dans le Trésor des chartes : les changements radicaux apportés par Godefroy, la disparition de pièces nombreuses et le manque d'indications suffisantes auraient rendu cette tentative incertaine et infructueuse. Le meilleur parti me paraissait être de m'en tenir à quelques grandes divisions, aux subdivisions indiquées par la nature même des actes, et à l'ordre chronologique. Aussi le cadre suivant fut-il proposé et accepté.
PREMIÈRE PARTIE
§ I. de 1102 à 1180, Période des comtes de Flandre.
§ II de 1180 à 1226, Période royale.
§ III de 1226 au XVe siècle, Période des comtes d'Artois.
DEUXIÈME PARTIE
§ I. Comptabilité des comtes d'Artois.
§ II Comptabilité de Thierry d'Hireçon.
§ III Comptabilité des villes (subdivisée par villes).
§ III Comptabilité des hôpitaux et maladreries (subdivisée par établissements hospitaliers).
TROISIÈME PARTIE
Criminelle.
Civile.
Dans chacune de ces divisions, les documents sont rangés par ordre chronologique. Les pièces justificatives sont placées après l'ensemble des comptes de chaque année.
Le § I de la deuxième partie comprend les comptes des recettes et dépenses des comtes d'Artois, quelle qu'en soit la provenance; le § II la gestion de la fortune très-considérable de Thierry d'Hireçon : à sa mort la plus grande partie de ses biens, dont la plupart n'étaient que des donations viagères, fit retour aux comtes d'Artois : à ce titre leurs comptes figurent dans le § I, après l'année 1328.
Malgré ses lacunes, le Trésor des chartes d'Artois forme encore un des plus curieux fonds d'Archives qui se puissent rencontrer en province. Sans doute il ne comprend guère qu'un siècle et demi de l'histoire d'Artois, dont il faut chercher la suite aux archives de la Chambre des comptes à Lille, mais dans cet espace de temps il est difficile d'imaginer un plus bel ensemble de documents embrassant toutes les parties et pénétrant dans tous les détails de la société féodale. Les chartes, les rôles d'enquêtes et de comptes, les quittances elles-mêmes révèlent des faits jusqu'ici inconnus ou mal établis de l'histoire des seigneurs, du peuple et des établissements religieux en Artois ; on peut, avec leur aide, reconstituer de la façon la plus sûre et la plus impartiale, la physionomie de cette province dans la seconde moitié du XIIIe siècle et pendant presque tout le XIVe. Pour n'en citer qu'un exemple, le prix des journées d'ouvriers de différents métiers, celui des denrées alimentaires et des vêtements, les inventaires de meubles, les ressources offertes par la charité, les actes politiques, les pièces judiciaires, toutes ces données prises pour une même localité font revivre sous nos yeux de leur véritable vie les classes laborieuses de cette époque. Un même ensemble se retrouve au sommet de la hiérarchie sociale, à la cour des comtes d'Artois, que nous pouvons suivre dans leurs pérégrinations, dans leurs dépenses, dans leurs goûts, dans leur vie la plus intime.
Les documents relatifs à Thierry d'Hireçon jettent un jour nouveau sur cet homme habile qui, élevé par Robert II d'Artois aux plus hautes charges de sa cour, fut l'un des agents politiques de Philippe-le-Bel et gagna la confiance et les faveurs de la comtesse Mahaut. Les comptes de ses nombreux domaines sont une mine précieuse de renseignements sur l'agriculture, pendant le premier tiers du XIVe siècle.
Cà et là nous rencontrons des documents de première importance et presque tous inédits : ordonnance de Philippe-le-Bel sur les métiers de Paris (7 juillet 1307)
J'ai publié cette ordonnance dans les Mémoires de la Société de l'histoire de Paris et de l'Ile et de France II.
, du roi Jean sur les grandes compagnies en Champagne (25 janvier 1302), de Charles VI sur la conversion en rentes perpétuelles des rentes viagères dues par la ville d'Arras (18 juin 1392) ; instructions données en 1360 par Jehan Le Mercier aux commissaires chargés de lever la rançon du roi Jean
Bibliothèque de l'École des chartes XXXVI.
; coutumes de Normandie, proposées par Philippe d'Artois en 1294 et approuvées par l'Echiquier de Rouen; compte d'hôtel de Robert II pendant son expédition dans le midi de la France contre les Anglais (1298) ; curieux règlement de la saunerie de Salins (XIVe siècle) ; liste d'habitants de Bruges réfugiés à Saint-Omer (XIVe siècle); traité d'alliance entre plusieurs seigneurs de Franche-Comté contre les grandes compagnies (1362) ; rapport secret adressé au duc de Bourgogne, Philippe-le-Hardi, le renseignant sur l'état du Brabant; testaments de la comtesse Mahaut ; chartes de communes de Poligny, Boulogne, Calais, etc.; une lettre missive d'Enguerran de Marigny à la comtesse Mahaut, antérieure à la lettre de Joinville à Louis-le-Hutin ; quittances de plusieurs abbés et abbesses d'Artois et de Franche-Comté inconnus aux auteurs du Gallia Christiana ; cartulaire coté A. 1. que Godefroy n'a pas mentionné ; comptes municipaux de Calais et de Merck du XIIIe siècle ; comptes de la " boîte de Calais " donnant le mouvement du port depuis le commencement du XIVe siècle jusqu'à la prise de cette ville par les Anglais ; devis et comptes relatifs à la construction et à l'ornementation de plusieurs châteaux et maisons religieuses ; documents sur les peintures à l'huile exécutées par Pierre de Bruxelles, Laurent de Boulogne et autres artistes dans les châteaux de Confians, Hesdin, Bapaume, etc. ; nombreux inventaires de couvents
Inventaires des Dominicaines de la Thieulhoye à Arras. Revue de l'Art chrétien, 2e série, II. 64 et III, 261.
et de maisons rurales ; ventes de mobiliers après décès ou par suite de saisies; nombreuses quittances de chevauchées; etc.
L'Artois n'est pas seul représenté dans ces documents ; mais cette province y tient naturellement la plus grande place ; après elle viennent la Franche-Comté que le mariage de Mahaut avec Othon de Bourgogne, puis la mort de celui-ci (1303) avaient unie aux destinées de l'Artois ; la châtellenie de Domfront dont les comptes pour les dernières années de Robert II nous ont été conservés ; les propriétés des comtes d'Artois dans le Nivernais et le Bourbonnais ont aussi apporté leur contingent de documents. Enfin le château de Conflans, et l'hôtel de Paris figurent dans les comptes, et pour ce dernier nous avons plusieurs actes constatant l'achat de maisons voisines destinées à son agrandissement.
Je dois aussi signaler les sceaux encore nombreux, appendus aux chartes et surtout aux quittances
Ils ont fourni à M. Demay la plus grande partie des éléments de son Inventaire des sceaux de l'Artois - Paris ; Imp. nat., 1877.
, mine inépuisable de renseignements pour le blason, les arts, le costume, la représentation réelle des choses les plus vulgaires, comme dans les sceaux des hommes de métier. C'est là que nous trouvons cette singulière formule de Pierre, fou de Robert II, donnant quittance pour sa pension :
" Ou quel tesmoignage
Je qui ne suis pas sage
Ai scellée cette page
De mon scel a fourmage. "
A côté des sceaux il convient d'indiquer la curieuse collection de filigranes qui commence à l'année 1312 et forme ainsi l'une des plus anciennes séries qui nous soient connues.

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Description physique :

Document d'archives

Observations :

Liste des pièces dont la disparition a été constatée au cours de vérifications
A 7, pièce 1
A 27, pièce 3
A 41, pièce 24
A 44, pièce 34
A 49, pièce 9
A 50, pièce 20
A 50, pièce 21
A 56, pièce 35
A 60, pièce 2
A 64, pièce 27
A 71, pièce 9
A 80, pièce 21
A 80, pièce 22
A 83, pièce 27
A 109, pièce 3
A 130, pièce 2
A 135, pièce 86
A 135, pièce 91
A 136, pièce 146
A 139, pièce 9
A 142, pièce 82
A 183, pièce 52
A 194, pièce 27
A 202, pièce 75
A 202, pièce 76
A 210, pièce 10
A 217, pièce 37
A 217, pièce 47
A 220, pièce 26
A 249, pièce 5
A 273, pièce 72
A 301, pièce 25
A 324, pièce 24
A 324, pièce 25
A 326, pièce 6
A 338, pièce 57
A 338, pièce 58
A 339, pièce 76
A 388, pièce 78
A 389, pièce 89
A 398, pièce 97
A 398, pièce 98
A 408, pièce 23
A 408, pièce 54
A 421, pièce 74
A 421, pièce 75
A 421, pièce 76
A 421, pièce 77
A 421, pièce 78
A 433, pièce 46
A 433, pièce 47
A 445, pièce 5
A 485, pièce 5
A 572, pièce 45
A 608, pièce 56
A 697, pièce 31
A 726, pièce 52
A 786, pièce 7
A 791, pièce 87
A 808, pièce 4
Mis à jour le 18 juillet 2003

Organisme responsable de l'accès intellectuel :

Organisme responsable de l'accès intellectuel: Archives départementales du Pas-de-Calais.

Identifiant de l'inventaire d'archives :

FRAD062_A_01

Où consulter le document :

Archives départementales du Pas-de-Calais

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