Avant la départementalisation, le gouverneur de l'île de La Réunion concentre les pouvoirs relatifs à l'organisation militaire de la colonie. Sous la tutelle du ministère des Colonies, il a en charge l'organisation de la mobilisation des hommes conjointement avec le bureau de recrutement présent sur l'île, mais aussi la préparation militaire par l'intermédiaire de la garnison présente sur place.

1. - Un contexte économique, social et militaire particulier

Il est difficile d'avoir un aperçu des opérations du recrutement militaire sur l'île avant 1872. Malgré tout quelques éléments nous permettent de connaître la spécificité de l'organisation militaire sur l'île.

Les opérations de recrutement, liées au service militaire notamment, restent tributaires de la présence d'une garnison sur l'île. C'est en 1848 que l'île Bourbon connaîtra sa plus forte présence militaire permanente avec 20 compagnies comprenant 2700 résidents sur place.

Dès la fin du Second Empire on ressent une volonté d'allègement du budget colonial. Le senatus-consulte du 4 juillet 1866 met à charge d'entretien des communes ou colonies les immeubles non occupés appartenant à la métropole, dont le domaine militaire. La présence du contingent est perçue à cette époque comme un symbole de souveraineté mais aussi de dette de l'État.

Le recrutement à l'île de La Réunion a connu de nombreuses difficultés après la défaite de Sedan en 1871. Celles-ci sont dues notamment à la présence, perçue comme étouffante par les élus réunionnais, de la grande île de Madagascar voisine. Une autre difficulté vient de l'effondrement de la production sucrière, à son apogée dans la première moitié du siècle, puis supplantée par la culture de la betterave sucrière. Il entraîne avec lui une paupérisation générale de la population avec des conséquences importantes sur l'instruction et l'hygiène de vie des habitants. L'alcoolisme se développe parmi la population, la mortalité infantile augmente, et l'émigration des jeunes gens se généralise. Le recrutement militaire étant basé sur une visite médicale, extrêmement sévère durant les périodes de conflits, il y a un fort taux d'inaptes parmi la population réunionnaise.

L'application des lois militaires sur l'île est déjà une difficulté pendant la guerre de 1870. En effet, une note confidentielle du ministère des Colonies adressée au gouverneur demande à compléter les effectifs déjà présents par des volontaires. Mais ces mêmes volontaires doivent eux-mêmes payer le prix du voyage vers la métropole, ce qui limite l'implication de la colonie sur le sol métropolitain durant le conflit.

2. - L'influence des élus dans l'application des lois militaires

La création du Conseil supérieur de guerre en 1872 va réorganiser le fonctionnement de l'armée et son recrutement. La loi sur le recrutement du 27 juillet 1872 organise le service en quatre périodes : service dans l'armée active puis dans les réserves de l'armée active, ensuite service dans l'armée territoriale et enfin dans la réserve de l'armée territoriale. La durée des obligations militaires va varier selon les lois militaires ou sur le recrutement. Mais elle reste sans application dans les colonies, en exemptant les créoles du service militaire. Si le conseil général de l'époque préconise une entière application afin que les habitants de la colonie bénéficient des mêmes droits que les citoyens français en métropole, le ministre met en avant les difficultés de transport et les coûts associés (voir 1 R 2).

La présence du député réunionnais François de Mahy à l'intérim du ministère de la Marine et des Colonies en 1883 va permettre de faire avancer les idées des élus. Il s'agit de garder une prééminence par rapport à Madagascar, en plaçant La Réunion en tant que colonisatrice de la grande île et non comme fournisseuse de troupes d'appoint. En 1883 est créé le bataillon des volontaires de La Réunion, qui s'engage à Madagascar en mai 1884. Mais ce corps est supprimé dès 1886, et en 1888 toutes les troupes disparaissent de La Réunion (sauf la gendarmerie comprenant 77 hommes). Il ne reste que les quelques services et bureaux nécessaires à la mise en place du bataillon de volontaires pour la nouvelle campagne qui s'annonce à Madagascar.

3. - De 1889 à 1905 : la pacification de Madagascar

L'action des élus réunionnais a permis cependant d'appuyer la demande d'application de la loi sur le recrutement de 1889. La Réunion est assimilée à la métropole avec une application sans restrictions par rapport à d'autres colonies : bureau de recrutement, procédures de tirage au sort, instauration des conseils de révision, mise en oeuvre des incorporation... Le service actif est ramené alors de 5 à 3 ans pour les créoles l'accomplissant en France.

Mais l'application de cette loi pose de nombreuses difficultés de gestion sur le plan matériel et humain. La proximité de Madagascar atténue ces difficultés, et une commission du recrutement colonial (appelée commission Bégin) est créée pour évaluer les mesures à mettre en place. L¿application de la loi sera finalement liée aux événements à Madagascar. La reprise des hostilités débouche sur la loi du 1er août 1895, et sur le décret du 24 septembre 1895 créant un bureau de recrutement sur l'île. On utilise dès lors les observations de la commission Bégin pour fixer les conditions du recrutement (organisation des personnels et recouvrement de la taxe militaire sur les exonérés, partiels ou complets, du service actif).

Le service est de trois ans à Madagascar pour les mauvais numéros du tirage au sort, et d'un an à La Réunion pour les bons numéros. La durée des obligations militaires est alors de 25 ans. L'opinion publique révèle sa peur de la dépendance vis à vis de la grande île, et on compare l'inégalité des situations par rapport à d'autres colonies, comme l'Algérie où le service actif est fixé à un an.

Il n'y aura cependant aucune incorporation avant 1899. Le gouverneur Beauchamp à cette époque dénonce le manque de moyens matériels et de crédits. Le commandant des troupes à Saint-Denis évoque aussi les difficultés d'encadrement des troupes (1387 hommes pour la classe 1893).

Le décret du 1er janvier 1899 va fixer l'application de la loi militaire. Il précise entre autres que Madagascar est considéré comme une colonie circonvoisine vis-à-vis des destinations des conscrits, mais aussi que les jeunes gens nés de parents hindous seront maintenus dans leurs foyers jusqu'à la ratification de conventions internationales. La levée des troupes est faite sur la classe 1895 peu après, et la première incorporation a lieu le 14 janvier 1899.

La violence des combats durant la pacification de Madagascar jusqu'en 1905 débouche en novembre 1899 sur la restriction des engagements volontaires. En effet, l'engagement permet alors d'éviter de servir à Madagascar. Les conseils de révision déplorent d'ailleurs un fort absentéisme.

En 1901, trois classes de réserves sont convoquées par le ministère des Colonies, qui répète l'opération en 1902 et 1903. En 1904, toutes les classes de réserves auront exercé et la convocation des réservistes pourra se faire dans les mêmes conditions qu'en métropole.

4. - Les conséquences de la fin du conflit à Madagascar

La pacification terminée, le besoin d'instructions des réservistes est nettement moindre. De plus, dès 1902, on ne ressent pas la nécessité d'une organisation défensive à La Réunion, du fait de la proximité de Madagascar. Le rapport entre le coût et l'utilité de l'entretien d'une garnison sera le principal argument du retrait des troupes de La Réunion.
Le service actif est alors intégralement effectué sur l'île de La Réunion. Les contingents réunionnais en service à Madagascar sont libérés après 1 an de séjour sur place. Et le ministre laisse aussi toute latitude au gouverneur pour renvoyer à leur foyer les conscrits après 6 mois de service. On supprime la même année le domaine public militaire sur l'île.

La loi de 1905 sur le recrutement n'a que peu d'effets pour des raisons budgétaires. Elle supprime cependant la procédure de tirage au sort. Par ailleurs, un accord franco-anglais provoque en 1906 le retrait conjoint des troupes de l'île Maurice et de l'île de La Réunion.
En conséquence, toutes les troupes, à part la gendarmerie, sont licenciées ou envoyées en métropole en 1907. Le bureau de recrutement est dissous et ses archives sont expédiées à Tananarive. Les engagements volontaires sont encore possibles dans un corps de troupe colonial à Madagascar, et les officiers de réserve et de l'armée territoriale y sont aussi envoyés.

5. - Retour d'une garnison sur l'île à la veille de la Grande Guerre

Ce n'est qu'en 1910, suite à des agitations liées à diverses élections sur l'île, qu'un détachement d'infanterie coloniale provisoire est envoyé. Cette présence va raviver les demandes du gouverneur afin de réinstaurer une troupe dans la colonie et possiblement le service militaire à La Réunion. Un inspecteur est envoyé en 1913 pour évaluer l'utilité de la reprise du recrutement militaire et du maintien du détachement sur l'île. Il conseille d'augmenter les effectifs de la gendarmerie sur l'île.

Un câblogramme du 14 juin 1913 du ministère des Colonies impose la reprise du recrutement. L'appel des classes devra être fait en septembre. L'inspecteur, encore sur place, évalue à 800 hommes par classe les appelés, mais déplore déjà les nombreux inaptes. Un bureau de recrutement est rouvert alors sur l'île. Appliquant ainsi la loi du 7 août de la même année, le service dans l'armée active est fixée à 3 ans, et la durée des obligations militaires à 28 années.

Les opérations restent cependant dirigées depuis Madagascar, et la période d'absence militaire provoque des difficultés d'organisation pratique des opérations : manque d'espace pour accueillir les appelés, absence d'opérations de recensement à partir de 1907.

6. - La mobilisation de 1914

La mobilisation générale est déclarée le 2 août 1914 sur l'île de La Réunion. La même année, la colonie a été intégrée au groupe militaire de l'Afrique Orientale Française avec Madagascar comme colonie maîtresse. Ainsi c'est le gouverneur général de la grande île qui organise l'appel à partir de la classe 1892, préconisant une grande sévérité dans les visites médicales et faisant transporter les mobilisés à Diego Suarez. L'absence de recensement depuis 1907 va poser des difficultés au bureau du recrutement.

Les premiers mobilisés arrivent le 7 août à Saint-Denis. Ils sont alors 2 000 hommes environ. Mais la plupart des hommes sont renvoyés dans leurs foyers suite à la visite médicale. Sur les 830 premiers examinés, seuls 513 sont retenus, et il s'agit souvent d'hommes de la réserve de l'armée active. L'opinion publique dénonce une « créolophobie » qui n'est en fait que le reflet de la paupérisation de l'île provoquant ces cas de réformes et d'exemptions. Par ailleurs la classe 1912 incorporée à la fin de l'année 1913 sera rapatriée à La Réunion pour éviter les rigueurs de l'hiver métropolitain.

La mobilisation générale présente plusieurs cas particuliers sur l'île. Les ressortissants alsaciens et lorrains peuvent s'engager et ainsi recouvrir la nationalité française, de même que les étrangers. Une amnistie est proposée aussi pour des faits antérieurs à la mobilisation et de nature purement militaires (insoumissions, désertions ...) par la loi du 5 août 1914, en échange d'un engagement.

Le 16 août, 689 soldats, sous-officiers et officiers de la réserve de l'armée active sont embarqués sur le Melbourne, paquebot réquisitionné pour le transport jusqu'à Diego-Suarez.

7. - L'engagement des Réunionnais durant la Grande Guerre

Les mobilisés réunionnais sont envoyés dans un premier temps à Madagascar pour recevoir l'instruction nécessaire à l'exercice militaire. Mais ces troupes ne sont utilisées au combat qu'à partir d'avril 1915, quand certains hommes du contingent réunionnais (notamment une partie de l'armée active et des engagés volontaires de la classe 1912) participent aux opérations dans les Dardanelles. Ce n'est qu'en 1916 que la majorité des mobilisés réunionnais arrive au port de Marseille et dans les dépôts du sud de la France.

Les résultats des conseils de révision de la classe 1917 à La Réunion, opérant en 1915, révèlent les mêmes caractéristiques qu'auparavant avec un taux d'inaptitude très important. Pour combler les pertes, la classe 1914 est appelée deux mois avant la date prévue, onze mois pour la classe 1915, et 1 an et demi pour les classes 1916 à 1919.

En novembre 1916, un état de la mobilisation depuis le 7 août 1914 est réalisé pour la colonie. On recense 50 492 appelés, mais seulement 7 494 hommes sont effectivement mobilisés entre l'armée active, la réserve de l'active et l'armée territoriale, soit 85% de non mobilisés.

Par ailleurs, le commandement militaire cherchera toujours à éviter les rigueurs du climat hivernal de la métropole aux troupes réunionnaises. Les classes 1914 et 1915 sont mobilisées en février 1915, et la classe 1916 en avril 1915. Ces trois classes ne sont dirigées en métropole qu'en avril et mai 1915. Le même processus sera admis pour la classe 1917.

Les difficultés d'inaptitude physique ont par ailleurs amené à ce que nombre des mobilisés réunionnais soient envoyés, en métropole ou à Madagascar, dans les usines ou les champs afin de participer à l'effort de guerre de manière indirecte sans risquer des pertes dues à la faiblesse physique des populations.

En 1917, une mobilisation du service auxiliaire est amorcée, provoquant des plaintes nombreuses des industriels. Le gouverneur rapportant les plaintes des services administratifs, comme les contributions indirectes ou le Chemin de fer et port de La Réunion (CPR), et des industries sucrières obtient que les mobilisés ne soient amenés qu'à Madagascar ou restent sur l'île de La Réunion.

8. - Après la Grande Guerre

Une garnison n'est rétablie officiellement à La Réunion qu'en 1921, avec une compagnie d'infanterie de marine.

Durant la période de l'entre-deux-guerres, trois autres lois sur le recrutement se succéderont : la loi du 1 avril 1923, ramenant à 18 mois la durée dans le service actif ; la loi du 31 mars 1928 qui fixe ce service à 12 mois, et enfin la loi du 17 mars 1936 qui le porte à 2 ans.

Documents librement communicables, à l'exception des cotes 1 R 163-166 et 1 R 334 qui contiennent des informations médicales (délai de 120 ans après la naissance des intéressés, ou 25 ans après leur décès).

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