Inventaire d'archives : Fonds Lisa Duncan-Odile Pyros

Contenu :

Présentation du contenu
Le fonds « Lisa Duncan – Odile Pyros » comprend des documents ayant appartenu à la fois à Lisa Duncan (1898-1976) et à sa filiation, à savoir Odile Pyros (1921-2012), son élève et assistante.
Ces documents rendent compte de la carrière parisienne de Lisa Duncan, de 1924 à 1948, ainsi que de ses dernières années de vie en France jusqu'à son départ à Dresde en 1957.
Lisa Duncan laissa derrière elle un certain nombre de documents personnels, de correspondances, notes manuscrites, coupures de presses, programmes et photographies que la mère d'Odile Pyros, devenue une grande amie, récupéra. Le fonds continua donc de s'alimenter et au décès de sa mère, Odile Pyros conserva les documents et continua de nourrir l'ensemble.
Dès lors, ce fonds témoigne aussi de l'activité d'Odile Pyros en tant que danseuse et chorégraphe à la suite de Lisa Duncan : plusieurs correspondances témoignent des relations entre les foyers Duncan américains (naissant des filiations d'Anna, Maria-Theresa et Irma Duncan) et la filiation « lisienne ». Des coupures de presse, des programmes, des notes manuscrites ainsi que de la documentation sur la danse Duncan témoignent de l'inscription d'Odile Pyros dans un « réseau Duncan ».

Cote :

DUNC 1-67

Publication :

Centre national de la danse - Département Patrimoine, audiovisuel et éditions
2021
Pantin

Informations sur le producteur :

Origine:
Lisa Duncan (1898-1976). Odile Pyros (1921-2012)
Biographie ou histoire
Lisa Duncan (1898-1976)
Lisa Duncan est une danseuse et chorégraphe méconnue de notre histoire de la danse en France mais aussi de l'histoire de la danse Duncan. En effet, des meilleures élèves d'Isadora Duncan, elle fut la seule à s'installer en France et à mener sa carrière à Paris, là où les trois autres grandes élèves d'Isadora Duncan, Anna, Maria-Theresa et Irma Duncan, ont fini par s'installer aux Etats-Unis, permettant la naissance des plus importants foyers de danseuses Duncan. La filiation de Lisa Duncan, quant à elle, est restée à l'écart jusqu'à être oubliée du récit de ce que l'on pourrait nommer la « famille Duncan ».
Charlotte Elizabeth Milker est née le 23 décembre 1898 à Dresde, d'un père qui se nommait Karl Ernst Milker, maçon, et d'une mère qui se nommait Ernestine Milker, née Zwahr, dite « sans profession ».
C'est le 11 novembre 1904 que les parents d'Elizabeth Milker ont pu lire dans le journal allemand Mïnchner Neusten Nachrichten un article s'intitulant « Miß Duncan Tanzschule » faisant la promotion d'une nouvelle école « of free dance » pour jeunes filles, installée dans une villa à Grünewald, en banlieue berlinoise, et dirigée par une célèbre danseuse aux pieds nus s'appelant Isadora Duncan. L'annonce invitait les parents à présenter leurs enfants à une audition en vue d'intégrer l'école.
Dans l'extrait de cette annonce rapporté par Irma Duncan (1897-1965) dans son autobiographie, nous apprenons que cette école était réservée aux filles de six à dix ans, « en bonne santé physique et mentale » ainsi que « gracieuses », « désirant être entraînées selon l'art de la danse », et ce sans distinction de nationalité ou de classe sociale, acceptant même les orphelines. Les enfants y étaient logées et éduquées gratuitement : il leur était dispensé un enseignement scolaire par des professeurs des écoles publiques ainsi qu'un enseignement en arts, dont la danse. L'école avait pour but d'éveiller leur sensibilité artistique, notamment par des visites de musées, des promenades en plein air ou encore des conférences sur l'art. Cette offre d'éducation gratuite et complète pour jeunes filles était inédite pour l'époque, voire inespérée pour certaines familles, ceci pouvant expliquer les motivations des parents d'Elizabeth Milker à y présenter leur fille. Isadora Duncan performa à Dresde au Central-Theater le 10 et 11 janvier 1905, dates durant lesquelles elle fit passer des auditions à l'issue desquelles elle choisit Maria-Theresa Kruger et Elizabeth Milker.
L'intégration dans cette école, fondée par Isadora Duncan et sa sœur Elizabeth Duncan (1871-1948), fut le signe à la fois d'un début et d'une fin dans la vie d'Elizabeth Milker. En effet, l'école fonctionnait sous le mode d'un pensionnat. Après une période probatoire de trois mois, les parents des élèves signaient un contrat dont l'une des clauses stipulait que les jeunes filles devaient rester au sein de l'école jusqu'à l'âge de dix-sept ans, âge auquel elles pouvaient débuter une formation de professeure si elles le souhaitaient. De plus, les visites de la famille étaient interdites durant la première année afin de limiter l'influence extérieure.
Après plusieurs auditions dans différentes villes d'Allemagne, une vingtaine de jeunes filles furent acceptées et les cours commencèrent au début de l'année 1905. C'est entourées d'œuvres d'art, de figurines de Tanagras, de terra cottas de Donatello, de copies de figures dansantes sur des frises ornant les salles de classe que les enfants évoluaient dans l'école, éveillant leur regard et leur empathie par la contemplation et le contact avec des iconographies et des imaginaires. Ceci faisait partie du projet éducatif d'Isadora Duncan estimant que « les fillettes de son école qui devaient se mouvoir au milieu de ces formes allaient certainement leur ressembler en grandissant, refléter inconsciemment dans leurs mouvements et sur leur visage un peu de leur joie et de leur grâce puériles » [Isadora Duncan, My Life, op. cit., p. 216.].
A la fin de la période probatoire de trois mois, le groupe d'enfants se réduisait à une quinzaine d'élève ; à chacune fut assigné un numéro, une tenue d'été et d'hiver en guise d'uniforme et quelques effets personnels. Elizabeth, qui avait alors six ans, se voit être surnommée Lisel ou encore Lisa.
Les enfants recevaient quotidiennement un entraînement physique nourri de gymnastique rythmique et suédoise ainsi que de sorties en plein air, lieux privilégiés pour une initiation à la danse par l'improvisation guidée. Des cours de chant et de musique occupaient les après-midis, des cours de dessin les dimanches, là où les matinées étaient consacrées aux travaux scolaires.
En signant le contrat, les parent donnaient leur accord pour que leur enfant danse publiquement, avec ou sans Isadora Duncan, chaque fois que cela était nécessaire. Très rapidement, les jeunes élèves furent amenées à se produire sur scène puisque l'école, rencontrant de nombreux problèmes financiers dès 1905, favorisait ces engagements. C'est donc le 20 juillet 1905 que Lisa monta pour la première fois sur scène en tant qu'élève de l'école Duncan, lors d'un évènement de levée de fonds afin de trouver des soutiens financiers et intellectuels au Neues Königliches Opernhaus (New Royal Opera House). Le 29 octobre 1905, les enfants dansèrent au Théâtre des Westens ; à l'issue de cette seconde apparition, les autorités berlinoises décidèrent d'interdire les performances au nom de la protection de l'enfance et de nouvelles lois sur le travail infantile, mais aussi parce que la vue des enfants en tuniques, jambes et pieds nus, faisait scandale.
Pour contourner cet interdit, dès février 1906, fut créée la « Verein zur Unterstützung und Erhaltung der Tanzschule von Isadora Duncan » [Association pour le soutien et la préservation de l'école de danse Isadora Duncan] au sein de laquelle il était autorisé de performer seulement pour les membres de l'association : les enfants débutèrent ainsi une tournée régionale en Allemagne.
Dès l'hiver 1906, Elizabeth Duncan se retrouva seule à diriger l'école de Grünewald parce que la relation hors mariage d'Isadora Duncan avec Gordon Craig (1872-1966, acteur et metteur en scène, amant d'Isadora Duncan et père de son premier enfant) desservait la réputation de l'école.
C'est donc avant tout Elizabeth Duncan qui assurait l'enseignement des enfants. C'est elle qui amena les jeunes filles à se produire régulièrement en tournée en Allemagne afin de subvenir aux besoins financiers de l'école, ce qui, paradoxalement, éloigna les élèves de leurs enseignements scolaires en les rapprochant du monde de la scène. Elle fut présente au quotidien tandis qu'Isadora Duncan était principalement absente, occupée à ses tournées afin de financer l'école.
Auprès d'Elizabeth Duncan, toute une équipe l'aidait à prendre soin des élèves et notamment Max Merz, enseignant de piano à l'école de Grünewald dès 1906, secrétaire de l'association qui travailla de pair avec Elizabeth Duncan pour maintenir l'école en vie.
Les tensions entre les deux sœurs Duncan prirent de l'ampleur. De l'automne 1908 à l'hiver 1909, Isadora Duncan repartit en tournée aux Etats-Unis pour renflouer les caisses, tandis qu'Elizabeth Duncan décida de fonder sa propre école et suspendit l'activité de l'école berlinoise. Certaines élèves repartirent dans leurs familles, du fait de l'essoufflement de l'école qui ne tenait plus ses promesses, mais un noyau principal, celui des futures « Isadorables », dont Lisa Duncan, demeura fidèle. Ces dernières furent laissées auprès d'un bienfaiteur, connaissance d'Isadora Duncan, en banlieue de Paris, au Château Villégenis en attendant la fin de la tournée de la danseuse. Cependant, elles furent forcées de vivre dans une annexe du château, sans chauffage ni eau courante et ce pendant tout l'hiver, livrées à elles-mêmes. C'est Isadora Duncan qui revint les chercher en janvier 1909 et reprit les activités avec ses élèves en s'installant à Neuilly avec pour projet de fonder une nouvelle école.
Le 27 janvier 1909, Isadora Duncan et ses élèves berlinoises se produisirent quatre soirées de suite au théâtre de la Gaité lyrique ; c'est à cette occasion que Fernand Divoire (1883-1951, écrivain et critique) décida de baptiser les meilleures élèves, les « Isadorables » à savoir Lisa, Anna, Maria-Theresa, Irma, Margot et Erica.
Cependant, en novembre 1909, l'école d'Elizabeth Duncan et de Max Merz à Darmstadt était prête à ouvrir et ces derniers demandèrent à ce que les Isadorables reviennent afin de reprendre le cours de ce qui avait été interrompu.
En réalité, il faudra attendre 1911 pour que les travaux de l'école de Darmstadt soient terminés, ainsi l'école résida de 1909 à 1911 au Bockenheimer Landstrasse à Francfort, les élèves circulant entre l'Allemagne, la Suisse, l'Angleterre et la France. Les Isadorables se sont retrouvées propulsées dans de nombreuses villes européennes, remplissant de plus en plus la fonction d'artiste scénique.
L'ambition de l'école d'Elizabeth Duncan et de Max Merz n'était plus de former la nouvelle génération de « danseuses de l'avenir », mais de former des pédagogues. La pratique de la gymnastique, notamment dite « corrective » s'intensifiait largement. Peu à peu, il y eut une rupture pédagogique entre les ambitions d'Isadora Duncan et celles d'Elizabeth Duncan et de Max Merz. Une rupture qui se symbolisa en 1911 quand l'école de Darmstadt participa du 6 mai au 31 octobre à la Dresden Hygiene Exhibition, donnant vingt-cinq démonstrations pédagogiques privées et publiques et intervenant lors de conférences. L'influence de la Körperkultur se fit d'autant plus forte, l'entraînement étant principalement constitué de musikalische Gymnastik (gymnastique sur musique) au détriment des considérations artistiques.
C'est au moment de l'ouverture officielle de l'école de Darmstadt, le 17 décembre 1911, que les enjeux de filiation s'accentuèrent, alors que les Isadorables, par leur qualité d'anciennes élèves, se retrouvèrent prises à partie par Max Merz dans son discours d'ouverture. Les Isadorables comprirent, à ce moment-là, qu'elles désiraient s'accomplir en tant que danseuses et poursuivre leur formation artistique, ce que l'école allemande ne pouvait leur offrir.
A la fin de l'automne 1913, Isadora Duncan installa son école dans un pavillon à Bellevue, à Meudon dans le Palace Paillard que Paris Singer lui avait acheté. Elizabeth Duncan finit par reconnaître que seule sa soeur était capable de guider artistiquement les Isadorables et accepta de les laisser quitter Darmstadt pour Paris ; les six filles s'installèrent au « Dionysion » en mars 1914.
En juin 1914, l'école de Bellevue ouvrit officiellement et comptait une vingtaine d'élèves. Les Isadorables y étaient en charge des cours pour instruire les nouvelles élèves des bases de la danse Duncan.
Le 1er août 1914, le troisième enfant d'Isadora Duncan décéda quelques heures après sa naissance tandis que la guerre était proclamée entre l'Allemagne et la Russie. Isadora Duncan offrit son école qui devint un hôpital de guerre pour la Croix rouge et envoya les Isadorables au château Peignton en Angleterre appartenant à Paris Singer. Elles y furent prises en charge par Augustin Duncan (1873-1954, l'aîné de la fratrie Duncan, acteur et comédien) et sa femme, Margherita, qui les firent venir aux Etats-Unis : le 3 décembre 1914, les Isadorables performèrent pour la première fois sans Isadora Duncan au Carnegie Hall en tant que « Duncan Dancers ». Suite à cette performance, Lisa Duncan débuta une relation avec Max Eastman (1883-1969, écrivain et journaliste).
Les Isadorables continuèrent de se produire aux Etats-Unis tandis que la première guerre mondiale se poursuivait : Isadora Duncan les envoya en Suisse en 1915 pour leur protection, cependant elles revinrent aux Etats-Unis dès 1916 avec l'intention de poursuivre leur tournée indépendante.
En 1917, les Etats-Unis décidèrent de rentrer en guerre ; pour des raisons géopolitiques, du fait de la nationalité allemande de la plupart des Isadorables, il leur était difficile de continuer de travailler. C'est donc cette même année qu'Isadora Duncan les autorisa officiellement à prendre son nom. Le 23 juin 1920, elles auraient finalisé la procédure d'adoption en se présentant devant la Cour de New York pour légaliser cette action. Cependant, en ce qui concerne la nationalité américaine, nous ne savons pas encore aujourd'hui si elles l'ont reçue ou non : demeure un certain flou juridique quant au caractère pleinement légal de cette adoption.
Durant cette même période, de 1917 à 1920, les tensions augmentèrent entre la mère et les filles : ces dernières souhaitèrent prendre leur indépendance artistique, devenir ces « danseuses libres » auxquelles elles aspiraient, ce qui leur fut reproché par Isadora Duncan là où Augustin Duncan aida les Isadorables à s'émanciper.
Peu à peu, les écarts se creusèrent : le samedi 27 novembre 1920 débuta une série de six représentations au Trocadéro signant la dernière performance d'Isadora Duncan en compagnie des Isadorables au complet. En effet, peu à peu le groupe s'étiola : Erica Duncan quitta le groupe en avril 1920 pour se consacrer à la peinture, Margot Duncan tomba gravement malade et ralentit son activité, Anna Duncan s'éloigna du groupe notamment du fait de sa relation avec Rummel Walter (1887-1945) pianiste et compositeur, amant d'Isadora Duncan, ce qui ne fit qu'intensifier les tensions avec cette dernière.
Finalement en 1921, Isadora Duncan décida de partir en Russie pour fonder une nouvelle école ; résolue à mettre en œuvre son projet, elle demanda à ses élèves de l'accompagner et organisa une tournée d'adieu sur les scènes européennes. Cependant seule Irma Duncan accepta de la suivre, Anna, Maria-Theresa et Lisa Duncan refusèrent, notamment effrayées à l'idée d'aller en Russie, et surtout mues par des objectifs personnels autres.
Lisa, Maria-Theresa et Irma Duncan performèrent le 7 juin 1921 à Londres pour la dernière fois aux côtés d'Isadora Duncan. Puis, c'est aux côtés des dernières Isadorables que Lisa Duncan continua ensuite de travailler, faisant des tournées aux Etats-Unis et en Europe, notamment à Paris en mars 1922 avec Erica et Anna puis en décembre de la même année avec Margot et Anna.
Au cours des années 1923 et 1924, après une dernière tournée aux Etats-Unis avec Anna et Maria-Theresa, Lisa Duncan eut quelques engagements en tant que soliste en Algérie et en Europe avant de s'installer à Paris en 1924. Elle rencontra Louis Jouvet, alors directeur du Théâtre de la Comédie des Champs-Elysées, pendant une répétition : ils entamèrent une relation.
Lisa Duncan débuta sa carrière de soliste, notamment en dansant à l'Olympia, alors sous la direction de Paul Franck, dans le cadre de café-concerts auprès d'autres artistes. Dès 1925, elle fonda sa propre école située à la Comédie des Champs-Elysées. Madeleine Lytton rejoignit son école à ce moment-là. Louis Jouvet aidait Lisa Duncan pour ses performances à la Comédie des Champs-Elysées, réglant les lumières et le déroulement scénique. C'est ainsi qu'en mai 1925, Lisa Duncan donna son premier récital en tant que soliste à la Comédie des Champs-Elysées, elle y présenta ses premières créations personnelles telles que L'après-midi d'un faune ou encore Poisson d'or sur des morceaux de Debussy.
Le 14 septembre 1927, Isadora Duncan décéda accidentellement à Nice ; Lisa Duncan fut la seule des Isadorables à être présente pour ses funérailles au cimetière du Père Lachaise. Quand, en juin 1928, fut donné un mémorial en hommage à Isadora Duncan, Lisa Duncan y participa, retrouva Elizabeth Duncan et donna des cours de danse aux élèves de cette dernière.
Durant l'année 1930, Lisa Duncan rencontra Georges Pomiès (1902-1933) avec qui elle forma un duo sur la scène et dans la vie.
Ce danseur, aujourd'hui un peu oublié de l'histoire de la danse en France, connut un véritable succès à son époque. Georges Pomiès était considéré parmi les « excentriques ou les fantaisistes, qui sont, sans erreur possible, les grands maîtres du music-hall moderne » [Bost Pierre, Le cirque et le music-hall, « Les manifestations de l'esprit contemporain », Paris, Au sans pareil, 1931, pp.168-169] : danseur, chanteur, mime ainsi qu'acteur de cinéma. En seulement six années de carrière, il bouleversa l'univers du music-hall et ses attentes esthétiques, secoua ses contemporains par ses propositions hétéroclites voire expérimentales. Il suscita dès lors beaucoup de commentaires entre éloge et critique. Georges Pomiès fut décrit comme un autodidacte qui aurait « jeté le froc aux orties pour se lancer au music-hall, dans un quelconque tour de chant qu'il soulignait de grandes gambades » [Levinson André, Les visages de la danse, Paris, Édition Bernard Grasset, 1933, pp.275-282]. Ce Pierrot, à la fois fantaisiste, excentrique, acrobate, moderne, circassien ou encore ballerin, d'après ses contemporains, mettait à mal toute tentative de catégorisation à son sujet, détournant ou court-circuitant avec finesse les figures ou les situations qu'il parodiait. C'est précisément à cet endroit que sa collaboration avec Lisa Duncan puisait sa force.
Ensemble, ils créèrent de multiples duos ; Tango (1930), Sérénade/Séduction (1931), Clair de lune sur l'Alster (1931), Nostalgie (1931) ou encore, par exemple, La Dernière Nymphe (1932). Durant cette période, Lisa Duncan entreprit la création d'une autre série de soli comme, par exemple, Fleur exotique qui témoigne d'un geste chorégraphique aux prises avec les modernités de son temps, geste soutenu par Georges Pomiès. Des prises de liberté avec l'univers isadorien qui ne laissèrent indifférentes ni la presse, ni la famille Duncan et lui valurent de nombreuses critiques tout au long de sa carrière.
Au printemps de l'année 1931, la seconde école de Lisa Duncan fut fondée au « Palais », Avenue de Versailles, à Paris. L'année suivante, Odile Pyros rejoignit l'école. Georges Pomiès et Lisa Duncan donnèrent de plus en plus de récitals en compagnie des élèves de cette dernière. Ils dansèrent ensemble jusqu'au printemps de l'année 1933. Une période d'intense créativité qui s'interrompit brutalement : la même année, le 7 octobre 1933, Georges Pomiès décéda à l'âge de trente et un ans.
Après cette perte, Lisa Duncan continua de s'investir dans son école qui partit en tournée en Belgique en 1934, puis à Saint Sébastien en Espagne en avril de cette même année.
L'année 1935 fut celle de la consécration : Lisa Duncan présenta au Théâtre National de l'Opéra-Comique, le 22 mai 1935, les Ballets d'Orphée, son plus grand succès. Aux côtés de ses élèves, Lisa Duncan y proposait une recréation d'Orphée et Eurydice d'Isadora Duncan qu'elle se réappropriait, interprétant notamment le rôle d'Orphée. Elle fut enfin reconnue pour elle-même par la critique.
Odile Pyros témoigna de ces années de 1935-1937 qui furent pour elle les plus prospères : à cette même période, Lisa Duncan s'installa dans son dernier studio, situé 11 rue des Sablons dans le 16° arrondissement de Paris où elle avait aussi son logement, ce qui lui permettait de créer plus aisément tout en continuant de donner ses cours. Elle avait du succès, son école fonctionnait ce qui lui permettait de vivre confortablement. Le 3 juillet 1937, Lisa Duncan se fit officiellement naturaliser française sur recommandation de M. Gaston Hamelin, à savoir le père d'Odile Pyros.
Cependant, dès les années 1937-1938, les programmes et la presse échouent à rendre compte de l'activité de Lisa Duncan. Il semblerait qu'il y eut un ralentissement dans la carrière de cette dernière, Lisa Duncan disparaissant peu à peu de la scène à la veille de la seconde guerre mondiale. Elle quitta Paris en 1939, d'abord pour Cherbourg, et jusqu'à la fin de la seconde guerre mondiale, elle n'apparaîtra que de manière irrégulière et ponctuelle sur les planches : elle dansa à Cannes en mars 1940 puis se réfugia dans le Tarn en mai 1940. Elle dansa en octobre et en juillet 1941 à Paris dans le cadre de soirées où elle performa aux côtés d'autres artistes puis ne serait revenue qu'en janvier 1943 pour danser à la salle Pleyel dans le cadre d'un concert de musique.
Le retour à Paris après la libération fut particulièrement difficile : son logement et son studio de danse furent occupés, ce qui l'amena à perdre l'ensemble des effets personnels qui y demeuraient. Dès l'automne 1944, nous savons que Lisa Duncan logeait dans des hôtels. Outre son confort et sa sécurité matérielle, Lisa Duncan perdit une grande partie de ses élèves, dispersées du fait de la guerre, comme, par exemple, Madeleine Lytton qui rejoignit Londres.
Lisa Duncan tenta de rassembler ses élèves, Odile Pyros demeurant présente à ses côtés en tant qu'assistante, rencontra Maurice Servais, pianiste, et commença à travailler avec lui. En février et en juin 1946, elle dansa en compagnie de ses élèves à l'Ecole normale de musique et continua de créer comme en témoigne l'ensemble de danse Carnaval interprété par ces dernières. Le 26 mars 1947, elle participa à un gala aux côtés de Teresina, Nyota Inyoka et Loïe Fuller où elle y présenta ses soli phares.
Le samedi 4 décembre 1948, à la salle du conservatoire, un récital fut donné par Lisa Duncan et Maurice Servais. Ce récital comprenait des créations exclusives de Lisa Duncan telles que Polonaise, sur un morceau de Chopin « à la mémoire d'Isadora », Barcarolle, sur un morceau de Fauré, « en hommage à Anna Pavlova », En bateau, sur un morceau de Debussy, ainsi que Fleur Exotique et le Beau Danube bleu qui conclut ce récital et fut la dernière danse interprétée sur la scène parisienne par Lisa Duncan.
Ce serait la dégradation de la santé de Lisa Duncan ainsi que des difficultés financière et matérielles qui auraient participé au rapide déclin de sa carrière suite à cet ultime récital. Les archives du présent fonds nous apprennent qu'elle tomba malade et fut hospitalisée à l'institut psychiatrique de Moisselles dans le Val d'Oise dès l'année 1951 jusqu'en 1956-1957. Elle avait alors cinquante-trois ans.
Durant cette période d'hospitalisation, la mère d'Odile Pyros réussit à prendre contact avec la famille biologique de Lisa Duncan, notamment avec sa sœur, Charlotte Milker, qui résidait encore à Dresde. Cette dernière se rendit à Paris en 1957, retrouva sa sœur et toutes deux retournèrent à Dresde.
A ce jour [décembre 2021], nous ne savons toujours pas de quoi furent faites les dix-neuf dernières années de la vie de Lisa Duncan ; cette dernière décéda à Dresde, le 24 janvier 1976, à l'âge de soixante-dix-huit ans.
Odile Pyros (1921-2012)
Odile Pyros intégra à 11 ans l'école de Lisa Duncan en 1932 qui se situait alors au « Palais » avenue de Versailles à Paris, tandis que Lisa Duncan se produisait en duo avec Georges Pomiès (1902-1933).
Jusqu'en 1950, Odile Pyros fut élève, puis danseuse et assistante auprès de Lisa Duncan. Elle participa, au cours de ces années, aux spectacles, récitals et tournées de la troupe de Lisa Duncan. Sa famille devint intimement proche de Lisa Duncan et l'aida notamment à trouver des refuges durant l'occupation allemande. Après la seconde guerre mondiale, elle fut celle qui resta aux côtés de Lisa Duncan, prit soin de sa troupe et l'accompagna dans ses derniers récitals mais aussi durant ses années d'hospitalisation, lui rendant régulièrement visite et lui écrivant.
Après le départ de Lisa Duncan pour sa ville natale en 1957, Odile Pyros entreprit de poursuivre l'« élan vital » insufflé par cette dernière en enseignant le répertoire chorégraphique de Lisa Duncan, mais aussi celui d'Isadora Duncan ainsi que ses propres chorégraphies.
En 1959, à la création par Dinah Maggie de « l'Association Française de Recherches et d'Etudes Chorégraphiques - Théâtre d'Essai de la Danse », Odile Pyros en devint la Secrétaire générale. Elle fut ainsi au centre de cette entreprise qui a beaucoup fait pour la promotion de la danse dans les années 1960. Parallèlement à cette fonction, Odile Pyros continua toute sa vie à donner des séances de danses Duncan dans l'esprit de Lisa Duncan.
En 1970, son mari Jacques Pyros tourna un documentaire, Danser c'est vivre, à Châteauvallon sur le répertoire chorégraphique d'Isadora et de Lisa Duncan dont les interprétations furent assurées par Odile Pyros et sa fille Valérie.
Odile Pyros donna une performance en collaboration avec Madeleine Lytton à l'Akademia fondée par Raymond Duncan à Paris dans le cadre du centenaire d'Isadora Duncan en mai 1978.
Toujours en collaboration avec Madeleine Lytton, elle performa dans le cadre du colloque « La reconstitution et la conservation des danses » à la Chapelle de la Sorbonne en mai 1983. C'est à cette même période qu'elle rencontra Amy Swanson (danseuse Duncan américaine, élève de Jeanne Bresciani, Hortense Kooluris et Julia Levien, élèves de Maria-Theresa, Irma et Anna Duncan) qui s'installa à Paris en 1980 et y fonda Le Regard du Cygne en 1984. Elle en devint très proche, permettant la rencontre entre les filiations des Isadorables.
En février 1986, à l'occasion de la première du documentaire de Paul Vermeiren, Isadora Duncan, hier et aujourd'hui, auquel elle avait contribué avec Madeleine Lytton, elle performa avec ses élèves à la suite de la projection au Théâtre de Thiais.
En 1989, Odile Pyros créa l'Association « Danser c'est Vivre » dans le but de perpétuer l'élan et de transmission et de création insufflé par Lisa Duncan, ainsi que « de partager et rendre visible les apports de la danse Duncan ».
Odile Pyros, tout comme Lisa Duncan, laissa la place à ses élèves pour créer leurs propres danses et les performer publiquement, et ce notamment dans le cadre de séries de représentations au Théâtre de Ménilmontant en juin 1984, au Théâtre du Ranelagh en juin 1986 ainsi qu'au Théâtre du Jardin de juin 1987 à juin 1997. Dans un même programme pouvaient se mêler les chorégraphies d'Isadora Duncan, de Lisa Duncan, d'Odile Pyros et de ses élèves, sur des musiques allant de Vivaldi à Queen en passant par Moondog, ceci se tissant avec des projections de tableaux de Jacques Pyros et des poèmes déclamés par ce dernier.
Au cours de sa carrière, Odile Pyros créa plusieurs danses, notamment Summertime, Postlude (Gershwin), Avec camaraderie (Satie), Vers la sérénité (Mahler), Coucou, Polka pour rire (Strauss), Matin (Grieg), Pleure l'oiseau d'où jaillit le cri de la connaissance ou encore Chant pour la terre d'où nous sommes venus.
Julie Dubois

Informations sur l'acquisition :

Informations sur les modalités d'entrée
Donation
Historique de conservation :
Historique de la conservation
Au décès d'Odile Pyros en 2012, ce fut Agnès de Guitaut, nièce et élève d'Odile Pyros, qui hérita de cet ensemble de documents, tandis qu'elle continuait de mener des séances de technique Duncan, telle que la lui avait enseignée sa tante.
Françoise Rageau (danseuse Duncan, élève d'Odile Pyros et de Madeleine Lytton (1921-2015), élève de Lisa Duncan) et Johana Giot (danseuse Duncan, élève d'Amy Swanson et de Françoise Rageau) participèrent aux séances menées par Agnès de Guitaut et l'aidèrent à organiser ce qu'elle héritait d'Odile Pyros.
Devant l'intérêt de Johana Giot et de Françoise Rageau pour les documents qui forment l'actuel fonds, Agnès de Guitaut leur proposa de récupérer ces derniers. Johana Giot prit soin de trier et protéger ces documents puis les conserva jusqu'en novembre 2019, date à laquelle elle les confia à Julie Dubois dans le cadre de sa recherche au sein du département danse de l'Université Paris VIII Vincennes- Saint Denis. Cette dernière, après avoir étudié les documents, suggéra à Agnès de Guitaut d'en faire don à la médiathèque du CND, don qu'elle effectua avec enthousiasme en octobre 2021.

Conditions d'accès :

Statut juridique Archives privées

Conditions d'utilisation :

Conditions d'utilisation
Reproduction interdite

Description physique :

Description physique: Document d'archives
Nombre d'unités de niveau bas
Nombre d'unités de niveau bas: 67

Ressources complémentaires :

Sources complémentaires
Sources internes
Fonds Marcelle Bourgat : Programmes de la Salle Pleyel pour un gala de musique et de danse (10 janvier 1943) – BOU 8 (documents numérisés)
Fonds Association Cinémathèque de la danse : « Danser, c'est vivre », film réalisé par Jacques Pyros, 1971. [Chorégraphies d'Isadora Duncan, transmises par Lisa Duncan et interprétées par Odile et Valérie Pyros.]
Collection de programmes anciens (série principale - Fonds Gilberte Cournand) :
*1929 (23 février) - Comédie des Champs-Elysées - Récital Lisa Duncan et son Ensemble de danse (programme numérisé)
*[1930] (13 décembre) - Théâtre des Champs-Elysées - Lisa Duncan et son Ensemble (programme numérisé)
*1941 (3-5 octobre) - Théâtre du Grand Palais - Trois galas de danse (programme numérisé)

Références bibliographiques :

Bibliographie
DUBOIS, Julie, « Lever le voile sur Lisa Duncan, Enquête dans les archives d'une adoption », Mémoire de Master Arts mention Danse, sous la direction d'Isabelle Launay, codirigé par Laurent Pichaud et Katharina Van Dyk, Université Paris VIII Vincennes-Saint Denis, septembre 2021.
DUNCAN, Irma, « Duncan Dancer, An autobiography », Wesleyan University Press, 1966.
KURTH, Peter, « Isadora Duncan, a sensational Life », Boston-New York-London, Brown and Company, 2001.
NÄSLUND, Erik, QUINLAN, Kathleen, DUNCAN Anna, « Anna Duncan: in the footsteps of Isadora », Stockholm, Dansmuseet, 2010.
PYROS, Odile, « Lisa Duncan »,1983 in ROBINSON, Jacqueline, « L'Aventure de la danse moderne en France (1920-1970) », Bougé Editions, 1990.

Organisme responsable de l'accès intellectuel :

Centre national de la danse - Département Patrimoine, audiovisuel et éditions

Identifiant de l'inventaire d'archives :

FRCND_DUNC

Où consulter le document :

Centre national de la Danse - Service des archives

Centre national de la Danse - Service des archives

Liens