Inventaire d'archives : Préfecture régionale (1941-1944)

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Le fonds de la préfecture régionale couvre l'ensemble des aspects administratifs, il est généraliste. Il est cependant difficile de tracer une frontière étanche entre les différents sujets abordés. Le lecteur est donc averti que s'il cherche des renseignements sur le Ravitaillement, par exemple, il ne devra pas se contenter de consulter la rubrique « Ravitaillement » mais devra aussi s'intéresser aux contenus des dossiers placés sous le titre Relations franco-allemandes, à la surveillance de l'opinion publique et aux différentes thématiques économiques. De même, si un chapitre spécifique « Affaires juives » existe, la question juive irrigue tous les aspects administratifs : il devra aussi consulter les rapports généraux, la surveillance des étrangers, la rubrique consacrée aux internements administratifs ou aux arrestations par les Allemands.

Hontebeyrie, préfet régional désobéissant

La préfecture régionale, ce sont des services, des fonctionnaires, mais aussi des hommes. La personnalité des préfets régionaux successifs est donc essentielle à saisir pour appréhender la réalité de l'action de cette structure. Deux préfets régionaux importants se sont succédé entre 1941 et 1944 : Olivier de Sardan (19 avril 1941 - 12 septembre 1942) et Alfred Hontebeyrie (12 septembre 1942 - 11 juillet 1944). Un troisième n'aura guère le temps de faire ses preuves : Augustin Michel est en poste du 11 juillet au 22 août 1944. A propos du premier, de Sardan, le fonds de la préfecture régionale a conservé des cartes de vœux de nouvel an ainsi que des cartes de félicitation à l'occasion de la naissance de son fils, ce qui donne un bel aperçu de la notabilité de la région en 1942 (18 W 41).
Alfred Hontebeyrie, nommé préfet régional en octobre 1942, est le type même du haut  fonctionnaire loyal mais connu pour son hostilité aux milieux collaborationnistes les plus engagés. Avec Jean Benedetti, nommé préfet délégué de l'Hérault, il s'installe dans une « autogestion contrôlée de la désobéissance » et utilise « toutes la marges possibles pour se soustraire à l'application des mesures les plus persécutrices du régime » (Arnaud Benedetti, Un préfet dans la Résistance, CNRS Éditions). Arrêté par les Allemands en mai 1944, il est déporté. À partir de cette date, c'est d'ailleurs la Milice qui prend le pouvoir effectif à la place du préfet régional en titre.
Les vrais sentiments politiques du préfet Hontebeyrie transparaissent dans les archives. Ainsi, son horreur certaine de l'antisémitisme du régime de Vichy apparaît clairement dans cette correspondance émouvante avec l'ancien grand rabbin de Besançon replié à Béziers. Dans une lettre manuscrite, celui-ci écrit en effet en décembre 1941 alors qu'Hontebeyrie n'était pas encore en poste à Montpellier mais conservée dans ce fonds : "je n'ai pas oublié l'accord toujours plein de charme et de bienveillance que vous réserviez à toutes mes visites et la façon dont vous accueillez mes demandes. Et avec moi, tous mes amis..." (18 W 40). On ne peut être plus clair. Autre exemple, Hontebeyrie  écrit à un ami en janvier 1943 : "j'ai maintenant la conviction très nette qu'il n'y a rien à tirer des Allemands et qu'on ne peut faire fond sur aucune de leurs promesses" (18 W 40). A travers l'ensemble du fonds, les relations plus que tendues entre Hontebeyrie et les partis « nationaux » apparaissent régulièrement dans la correspondance échangée.
 
 

Le fonds de la préfecture régionale traitant de l'ensemble des sujets, nous nous contenterons dans cette présentation d'évoquer quelques points emblématiques : propagande, ravitaillement, opinion publique, relations avec les troupes d'occupation, service du travail obligatoire, surveillance politique,  arrestations, Résistance, affaires juives.

La propagande de « l'État français »

Certains documents nous renseignent sur la propagande du régime de Vichy. Ainsi, les sujets sur lesquels « planchent » les candidats à un concours de la fonction publique sont on ne peut plus révélateurs : "on a écrit : le stupide XIXe siècle. Que pensez-vous de ce qualificatif ? " ; "Le relèvement de la France après 1815. Comment a-t-il été rendu possible ? Comment s'est-il manifesté ? Exposez vos raisons d'espérer le relèvement actuel de la France ". Un futur fonctionnaire est avant tout appelé à devenir un « bon Français ».
Le Ravitaillement
Se nourrir est le le plus gros problème des populations en temps de guerre. Une large partie de ce fonds est consacrée aux problèmes économiques. À signaler, des statistiques bien fournies sur le Ravitaillement, un ensemble de circulaires et de la correspondance qui permettent d'appréhender la mise en place d'une économie dirigée, en rupture avec le libéralisme économique traditionnel de la IIIème République. Intéressant aussi, le compte rendu des "manifestations de ménagères", les femmes étant chargées à cette époque de la responsabilité de nourrir leur famille (18 W 104).

L'opinion publique surveillée

L'intérêt de cette partie de fonds réside en particulier dans la présence de transcription de courriers interceptés, source précieuse d'information sur l'opinion publique, laquelle intéresse au plus haut point les autorités, comme en témoigne également le nombre important de notes de renseignement qui sont consacrées au sujet.  À cet égard, un document est particulièrement précieux : il s'agit d'une carte postale interceptée écrite par un parisien à un audois sur les "choses horribles" qui se passent à Paris. Le cachet de la poste indique que la lettre a été reçue ou envoyée le 18 juillet 1942, preuve de la lucidité de certaines personnes sur le vrai caractère de la rafle opérée la veille et l'avant-veille : certains saisissaient parfaitement la vraie nature des événements (18 W 219).

Les relations avec les troupes d'occupation

Elles irriguent l'ensemble des archives, car aucune décision importante des représentants de l'État ne pouvait être prise sans le consentement des Allemands, malgré les tentatives de résistance passive de certains fonctionnaires.  Ce fonds permet par exemple d'essayer de saisir le comportement des troupes et les relations avec les Français. Ainsi par exemple cette plainte de la population qui exprime un "dégoût et profond mépris" face au comportement des Allemands, d'après une note de renseignement de 1943 (18 W 260). Cependant, c'est la lecture méticuleuse de l'ensemble des liasses sur ce sujet qui permet seule une vision plus profonde de la question.

Le Service du travail obligatoire et la vie en Allemagne

Nous disposons du témoignage de deux ouvriers de retour en France sur la vie à l'usine Herman Goering (18 W 277), où se trouvait un camp STO mais qui regroupait aussi des prisonniers politiques. Il évoque notamment l'alimentation des détenus et travailleurs et la mortalité.  Il est écrit que les femmes russes, également présentes dans ce camp ce travail, sont pieds nus par - 35 °C, que la mortalité est de 20 % et qu'il y a « chaque jour 5 à 6 cadavres dans le camp". On y trouve une indication du nombre de baraques et du nombre de personnes par baraques. Il est question de la composition des repas : soupe, pommes de terre, 500 grammes de pain, 20 grammes de margarine ou beurre, 50 grammes de charcuterie (le tout pour 24 heures) en plus de viande 1 fois par semaine et de 150 grammes de confiture une fois par semaine.

La vie politique surveillée

Les services de police faisaient remonter auprès du préfet régional la vie des partis et mouvements politiques autorisés (Milice, Parti populaire français, Rassemblement national populaire, Collaboration) ou interdits (Parti communiste français et Section française de l'Internationale ouvrière en tête). Les différents groupes collaborationnistes sont particulièrement bien identifiés, leur rivalité et la relation tumultueuse qu'ils entretiennent avec le préfet régional évoquées. On peut en particulier suivre l'activité de René Hoareau, omniprésent chef départemental de la Milice (18 W 198-205).
 
Arrestations

Les services de police et les Allemands ont procédé à de nombreuses arrestations entre 1941 et 1944, appelées souvent « rafles » même si ce terme était très largement employé : on « raflait » par exemple des « zazous », jeunes hommes aux cheveux longs et amateurs de jazz qui par leur style contrevenaient à l'ordre moral en vigueur et qui étaient vite relâchés (18 W 173) ; on utilisait ce même terme de « rafle » pour les juifs étrangers qui allaient subir un sort autrement funeste.
Dans cette partie de fonds, de nombreuses listes d'arrestations (Juifs, résistants, communistes en tête) sont conservés. En particulier, des listes, des dossiers individuels et des fichiers des internés administratifs et astreints à résidence sont bien fournis (18 W 220-236). On peut aussi analyser l'action de l'Intendant régional de police Pierre Marty, très présent.

La Résistance

Elle occupe une large place. Outre une rubrique qui est spécifique (18 W 186-197), le lecteur soit aussi consulter les rapports de police, les archives relatives aux internés administratifs et ce qui concerne les réfractaires au Service du travail obligatoire. La chronique quotidienne des faits de résistance est relatée par de courtes notes de renseignement, très fournies pour les mois d'avril août 1944. Les faits de résistance sont  nombreux en Lozère cévenole, et souvent sanglants. Ainsi, 27 maquisards sont fusillés à Badaroux en 1944 (on a une liste de 10 d'entre eux). De nombreux tracts et papillons de propagande « gaulliste » sont également conservés dans ce fonds.
 
Affaires juives

Les discriminations envers les Juifs, résultat du statut adopté dès octobre 1940, et les arrestations, majoritairement de Juifs étrangers à partir de 1942 occupent une place de choix (18 W 279-284). Nous n'avons malheureusement pas de listes exhaustives de la rafle d'août 1942 mais la préparation de cet événement funeste est bien relatée à travers les comptes rendus de réunion (notamment le procès-verbal de réunion du 8 août 1942). Des états numériques et des rapports rendent compte du nombre de Juifs « ramassés », selon le terme de l'époque et permettent d'établir une statistique sur la réussite ou non de cette opération dans la région. Pour la rafle de février 1943, nous disposons en revanche de listes détaillées. Le suicide d'une personne raflée est par ailleurs évoqué lors de cette opération.
 
Le fonds de la préfecture régionale est indispensable pour appréhender l'histoire de la Seconde guerre mondiale dans la région de Montpellier. En corollaire, la consultation de fonds de guerre plus spécifiques (travailleurs étrangers, intendance des Affaires économiques, Service du travail obligatoire) ainsi que celui du cabinet du préfet de l'Hérault pour les années 1940-1945 est tout aussi indispensable pour qui s'intéresse à la période.
 
 

Cote :

18 W 1-284

Publication :

Archives départementales de l'Hérault
2019
Montpellier

Informations sur le producteur :

Les préfectures régionales ont été créées par la loi du 19 avril 1941. Leur rôle est de coordonner l'information du gouvernement et de faire exécuter les directives gouvernementales dans deux domaines cruciaux : la police et les affaires économiques, dans lesquels le préfet régional est doté de "pouvoirs spéciaux". Pour ce faire, Il est assisté de deux collaborateurs, l'intendant de police et l'intendant des affaires économiques. La Région de Montpellier comprend l'Aude, l'Aveyron, l'Hérault, la Lozère et les Pyrénées-Orientales. Dans l'exposé des motifs de la loi, une idée est avancée : la décentralisation que consacre la création des régions. Retour aux provinces d'Ancien Régime ou rupture novatrice avec la centralisation républicaine ? Le débat révèle les ambiguïtés du régime de Vichy, réactionnaire et autoritaire par bien des aspects, mais aussi technocratique et modernisateur par d'autres.
Cependant,  l'ampleur de la tâche du préfet régional explique qu'à partir d'août 1941, la fonction de préfet délégué est créé pour celui-ci (loi du 18 juillet 1941). Son rôle est d'administrer sous son autorité directe le le département siège de la région, l'Hérault.

Informations sur l'acquisition :

Versement.
Historique de conservation :
Les circonstances de l'entrée des versements 18 W et 111 W aux Archives départementales ne sont pas claires; un premier versement (111 W) est effectué le 23 novembre 1944, immédiatement après la Libération, par le Commissariat de la République ; un deuxième (18 W) arrive en avril 1946, juste après la dissolution de ce même Commissariat de la République.
L'ensemble du fonds a été intégralement recoté en 18 W.

Description :

Évolutions :
Fonds clos.
Critères de sélection :
Il n'a été procédé à aucune élimination, à part quelques doublons ou extraits de journal officiel.

Conditions d'accès :

Selon les lois et règlements en vigueur.

Conditions d'utilisation :

Se référer au règlement intérieur de la salle de lecture.

Description physique :

17 ml

Ressources complémentaires :

Archives contemporaines
- Services régionaux du Secrétariat d'État au Travail (15 W)
- Service liquidateur des dépenses d'occupation (16 W)
- Direction départementale du Commissariat général interministériel à la Main-d'Oeuvre (17 W)
- Ravitaillement général de la Nation en temps de guerre (35 W)
- Intendance régionale des Affaires économiques (37 W)
- Cabinet du préfet pendant la Seconde Guerre mondiale (1000 W)
- Préfecture, Etrangers et nationalité, 1934-2005 (W)
- Préfecture, 4e division : affaires économiques et sociales, travaux publics et logements, 1924-1955 (W)
- Direction départementale de l'Office national des Anciens combattants et Victimes de Guerre, 1921-2006 (W)
- Service régional de police judiciaire, 1928-1999 (W)
- Direction régionale des Renseignements généraux, 1940-2011 (W)
- Service des Renseignements généraux de Béziers, 1924-2007 (2147 W)
- Tribunaux d'exception, fonds des juridictions du gouvernement de Vichy, 1943-1944 (59 W 1-28)
- Tribunaux d'exception, fonds des juridictions de la Libération, 1943-1960 (59 W 29-188)
 
 
Archives privées
- Fonds Gérard Bouladou, 1927-1992 (91 J)
- Fonds Joseph Lanet, 1909-2009 (177 J)
- Fonds de la Section de l'Hérault de la Fédération Nationale des Déportés Internés de la Résistance (181 J)
- Fonds de l'Association Nationale des Anciens de la Résistance et Patriotes réunis (182 J)
- Fonds de l'Union départementale des Combattants Volontaires de la Résistance de l'Hérault (183 J)
- Fonds René Poitevin (1911-1972), Compagnon de la Libération (189 J)
- Fonds Francis Jouvin, alias "Capitaine Cabrol" (220 J)
 
 
 

Références bibliographiques :

Un préfet dans la Résistance, Arnaud Benedetti, CNRS Éditions, 2013
"L'intendant de police Pierre Marty à Montpellier et Toulouse", Jacques Delarue, Études heraultaises, n° 40, 2010
L'Hérault dans la guerre 1939-1945, Hélène Chaubin, De Borée, 2015
Fabrication d'un collabo : le cas Joseph Laporte, Philippe Secondy, CNRS Éditions, 2019
 

Organisme responsable de l'accès intellectuel :

Archives départementales de l'Hérault

Identifiant de l'inventaire d'archives :

FRAD034_M_000315

Archives départementales de l'Hérault

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