Inventaire d'archives : 30J - Fonds de l'architecte Laurent CHAPPPIS.

Cote :

30J

Publication :

Conseil général de la Savoie, Archives départementales
24/04/2014
244, quai de la Rize
73000 Chambéry - FRANCE
www.savoie-archives.fr

Informations sur le producteur :

Producteur :
CHAPPIS, Laurent (Architecte)
Contribution de Laurent Chappis à l'avenir des Alpes européennes
Au cours de sa vie professionnelle d'architecte et d'urbaniste,  Laurent Chappis n'a pas cessé de penser et de proposer une vision humaniste de la montagne, en recourant à la technique du projet élaboré aux échelles de l'urbanisme et de l'architecture. La montagne est considérée pour l'homme, autant comme un espace d'émotions, qu'un lieu propice pour se ressourcer ou pour y trouver la paix et la liberté. Il situe ses préoccupations dans la perspective du développement à la fois d'un territoire habité et d'un territoire de grande nature destiné à être parcouru. Pour Laurent Chappis, la montagne est un territoire à vivre.

C'est ainsi qu'à l'aube du XXIe siècle que Laurent Chappis s'est engagé dans l'élaboration d'un projet sur le devenir des Alpes européennes. Ce travail personnel, mené durant ces dix dernières années, constitue un ensemble de réflexions et de propositions présentées dans dix volumes publiés de 2003 à 2013 par la FACIM (Fondation pour l'action culturelle internationale en montagne) avec la participation de l'ENSAG (École nationale supérieure d'architecture de Grenoble) et le soutien de la DATAR (Délégation à l'aménagement du territoire et à l'attractivité régionale).

L'examen du parcours professionnel de Laurent Chappis, de ses engagements personnels et de ses prises de positions publiques, montre la constance de ses recherches tout au long de ses activités.

D'emblée, Laurent Chappis se place dans une vision prospective : « Ne pouvant me contenter de n'avoir que mon passé pour avenir, j'ai essayé, avec une montagne humaniste, de voir comment donner satisfaction à une clientèle qui a peu d'exigences, sinon de découvrir un paysage naturel fait d'arbres, de prairies et de rochers, au lieu de subir un paysage artificiel fait de béton, de goudron et de pylônes. ». [1]

« Du rêve à la réalité », compte rendu des expériences d'urbanisme et d'architecture en montagne.

Laurent Chappis commence par rendre compte de son activité d'architecte et d'urbaniste en montagne au cours de ses cinquante années d'exercice professionnel (1945-1995). Il expose ses études et ses projets d'urbanisme et d'architecture. Il présente ses réalisations sous forme critique, se livrant aussi parfois à une autocritique de son propre travail.

Les notes et les comptes rendus, élaborés quasi quotidiennement, constituent une source de première importance pour éclairer les commandes confiées par les multiples maîtres d'ouvrage. Pour l'essentiel, ce sont les projets et les réalisations portant sur l'aménagement et l'équipement de la montagne. [2]

L'engagement de Laurent Chappis pour la montagne débute avec ses études d'architecture à Grenoble, en 1931 à l'âge de seize ans. C'est dans les massifs alpins qui dominent Grenoble (Belledonne, Vercors, Chartreuse, Oisans), en Vanoise et dans le massif du Mont-Blanc, qu'il découvre le goût de la montagne. Il la pratique en toutes saisons, à toutes altitudes, que la neige recouvre ou non le sol.

Poursuivant à Paris sa formation à l'École nationale des beaux-arts à Paris, en 1936, il est élève à l'atelier Pontremoli, où il s'initie aux liens entre le rêve, la poésie, la nature et l'architecture.

De 1937 à 1939, devenu officier militaire et responsable de sections, basé à Chambéry, Laurent Chappis se forme à la lecture détaillée des « cartes d'état-major », technique par laquelle il acquerra méthode et rigueur pour penser le territoire. Plus tard, cela lui servira pour mener son travail de repérage préalable des sites sur lesquels il sera appelé à intervenir, approches indispensables pour définir et engager toute action sur le terrain.

Les projets préparés pour l'obtention de ses diplômes, celui d'architecte (1941) et celui d'urbaniste (1944), sont parmi ses premiers travaux qui lui permettent d'aborder la vie futur des hommes en montagne : une « école de haute montagne à Chamonix » pour son diplôme d'architecte, un « projet pour l'aménagement des Trois Vallées en Savoie » pour son diplôme d'urbaniste. Interné en camp de prisonnier militaire  pendant les cinq années de la guerre (du 20 Mai 1940 au 8 Mai 1945), Laurent Chappis peut cependant poursuivre ses études grâce à l' « Université de captivité » qui bénéficie du soutien de la Croix-Rouge française. Il y rencontre notamment Maurice Michaud, ingénieur des Ponts et Chaussées et alpiniste, avec qui il peut échanger autour de ses projets d'aménagement en montagne. [3]

À l'automne 1945, Laurent Chappis peut enfin formaliser ses idées en se confrontant aux réalités de la commande. Avec Roger Berthe, architecte, camarade d'école à Grenoble et camarade de captivité, Laurent Chappis ouvre un atelier d'architecture à Chambéry. En 1952, Pierre Jomain [4] (1925-1972), architecte, les rejoint pour fonder ensemble l'Atelier Berthe-Chappis-Jomain. Pendant vingt-cinq ans leur activité portera sur des opérations d'urbanisme (Z.U.P. et lotissements) et la construction de programmes de logements sociaux, d'immeubles, de villas, d'équipements et d'édifice cultuels, principalement dans les départements de Savoie (Le Biollay à Chambéry), de l'Ain (Bellegarde, Oyonnax) et de l'Isère (Voiron, La Tour du Pin, Voreppe).

Courchevel 1850

Cependant, le terrain d'action privilégié de Laurent Chappis sera celui de la montagne. En Février 1946, le conseil général du département de Savoie lui confie une double mission : repérage du territoire des vallées de Saint-Bon, des Allues et de Belleville en vue del'aménagement des Trois Vallées et de la conception d'une station nouvelle sur la commune de Saint-Bon-Tarentaise qui deviendra Courchevel 1850. Laurent Chappis en est l'urbaniste en chef de 1946 à 1959. Il invente alors la « station skis aux pieds », construite à l'altitude des alpages. Il définit des principes d'aménagement à la fois fonctionnels et respectueux du milieu alpestre. Le domaine skiable détermine l'implantation de la station et la disposition des résidences pour être accessibles à ski autour d'un espace public central que Laurent Chappis dénomme « grenouillère ». À l'automne 1946, il est rejoint par Denys Pradelle [5] architecte urbaniste, venu pour le seconder. Pendant plus de dix ans, de 1946 à 1959, ils expérimentent ensemble à Courchevel 1850, des dispositifs nouveaux en matière d'urbanisme et d'architecture en montagne, qui seront connus sous le nom « d'école de Courchevel ». Jean-Marc Legrand architecte et de nombreux architectes stagiaires, qui résident et travaillent sur place, renforcent régulièrement l'équipe, formant ainsi un atelier d'architecture sur le site même.

Secondé par ses propres collaborateurs architectes - Georges Dufayard [6] puis Franck Fergusson - Laurent Chappis construit à Courchevel 1850 les équipements et logements attendus pour la station, notamment les premiers hôtels (hôtel Maroux et hôtel Le Lana en 1946), des équipements (projet d'une église en 1951), des centres de vacances (Les Florineiges au Jardin Alpin en 1958), des chalets (chalet Sud en 1962). En 1951, il réalise l'aménagement d'un lotissement composé de chalets en bois aménagés dans d'anciens « greniers » de village, proposant d'expérimenter un habitat minimum en montagne. Réalisation par laquelle Laurent Chappis séduit Eugène Claudius-Petit [7] alors ministre de la Reconstruction et de l'Urbanisme qui lui en fait commande en 1952.

Ils s'investissent pour concevoir ces nouveaux lieux, démontrant une grande inventivité : comment loger le plus grand nombre de personnes tout en consommant le moins d'espace possible ? Comment édifier des lieux répondant aux exigences de la vie hivernale, des espaces adaptés à de nouveaux modes d'habiter ? Comment permettre aux skieurs et aux sportifs de passer directement des pistes enneigées au confort d'un logement ?

Autant de questions auxquelles il sera répondu  par une somme de nouveautés et de découvertes sans précédent, permettant à l'homme de résider l'hiver à la montagne. Ils sont parmi les premiers architectes urbanistes à se lancer, par l'expérimentation, dans la création d'une station de sports d'hiver conçue pour le plus grand nombre. Leur collaboration avec un grand nombre d'inventeurs conduira à la mise en place d'une industrie nouvelle à part entière dans le domaine des loisirs de montagne et du ski. Les équipements mécaniques progresseront avec l'essor de l'industrie des transports par câbles, l'invention des engins de déneigement et de damage des pistes. L'équipement sportif (matériels de ski, textiles), parvenu à un très haut niveau technique, permettra d'atteindre de nouvelles performances (glisses, qualités thermiques). L'urbanisme, l'architecture et le logement deviennent dès lors un terrain privilégié d'expérimentations de la vie en montagne, à des altitudes où l'homme n'avait jusque-là jamais résidé l'hiver. Cette période, propice à l'innovation et l'invention, sera marquée par la construction d'édifices d'avant-garde, reconnus, alors, comme tels par la société, tels les « chalets à pattes » construits en charpente bois sur un pilotis de béton, limitant ainsi la destruction du sol.

En expérimentant ce que peut être un « village alpin » d'un genre nouveau, le travail du groupe d'architectes urbanistes en charge de Courchevel 1850 Laurent Chappis, Denys Pradelle et Jean-Marc Legrand contribue au développement d'un urbanisme et d'une architecture contemporaine adaptée aux contraintes de la montagne. Leurs principes sont présentés dans un document coordonné par Denys Pradelle, publié par le Ministère de la Reconstruction et de l'Urbanisme [8] et considéré alors comme un « manifeste » de la construction en montagne dont les conclusions « sont valables partout où se pose le même problème ». [9]  

1948, Méribel

En 1948, Laurent Chappis  élabore le premier plan d'urbanisme comprenant « une vaste ceinture verte de protection du site et une route de desserte périmétrique » pour garantir la maîtrise de la réalisation - en cours depuis la veille de la guerre d'un lotissement résidentiel. C'est un projet différent de celui de Courchevel 1850, conçu non comme une station de sports d'hiver fonctionnelle, mais plutôt comme un « parc résidentiel  intégré à la vie rurale » reposant sur la recherche d'un certain isolement et dont la promotion est assurée par une société britannique  présidée par Peter Lindsay [10] .

1949, Tignes-le-Lac

En 1949, à la demande du service des Ponts et Chaussées, Laurent Chappis dresse les premiers projets de reconstruction de la commune de Tignes confrontée à l'ensevelissement de la partie de son territoire, auparavant cultivé, sous les eaux du barrage édifié sur l'Isère et dont l'achèvement est annoncé par sa mise en eau programmée pour l'année 1952. S'il s'agit d'aménager une station de sports d'hiver atour du Lac de Tignes à 2100 m d'altitude prévue comme une alternative au développement de la commune, il est aussi nécessaire de prévoir un village pour les habitants de la Commune, expulsés de leur village. Laurent Chappis est confronté à la nécessité d'articuler la vie future de la commune entre la vallée et l'alpage. Il propose un plan de reconstruction du chef-lieu sur le plateau des Boisses à 1800 m d'altitude et l'aménagement d'une station de sports d'hiver trois cents mètres plus haut comprenant un « quartier pour les permanents » destiné au relogement d'une partie des habitants de la commune, un « centre résidentiel touristique » et une « cité du personnel ». Laurent Chappis propose quatre plans différents pour la station de Tignes-le-Lac implantée à la convergence des pistes du versant Est, mais déclinant de manière différente la relation au lac identifié comme un grand paysage d'altitude [11] .

1951, Aix-les-Bains, Le Revard, le lac du Bourget

Interrogé sur le devenir à la fois de communes riveraines du Lac du Bourget (Commune de Brison Saint-Innocent en 1945 et plateau du Revard en 1948), Laurent Chappis propose en 1951 la création d'un « Centre international de tourisme hivernal et estival » qui prendrait appui sur les singularités d'Aix-les-Bains, en associant un site de montagne, une ville thermale et un lac naturel à ses pieds. Il dessine un projet de grande ampleur, déclinant les échelles de l'urbanisme et de l'architecture. Il réunit dans une perspective commune l'aménagement « balnéaire » des bords du lac du Bourget (cité lacustre avec « atolls » artificiels, ports tracés en amphithéâtre nautique, lotissements et résidences disposés en théâtres de verdure), la mise en valeur du plateau du Revard comprenant tous les attributs d'une « ville nature toutes saisons » édifiée à 1400 m d'altitude, propice à l'installation de lieux de formation et de création artistique (Université d'altitude, « Vallée des artistes », amphithéâtre de verdure pour 100 000 personnes, « Parc réserve », « Zone spéléologique », résidences suspendues&) et le développement de la ville d'Aix-les-Bains par un double projet de recomposition urbaine et d'extension jusqu'aux rives du lac.

1952, Saint-Martin de Belleville

À compter de 1952, Laurent Chappis développe le projet d'une station dans la vallée de Belleville (Saint-Martin de Belleville) au plateau des Boyes à 1850 m d'altitude. L'emplacement est déterminé à l'issue de nombreux repérages du « domaine skiable », qui seront effectués en toutes saisons. Le projet propose une « station sans voiture » grâce à une disposition des édifices bâtis à l'aplomb mêmes des voiries qui serpentent dans le pente, restituant la continuité du sol, sans obstacle pour le passage des skieurs. Ce sera la station des Ménuires, imaginée comme une « station plate », composée uniquement d'immeubles de quatre niveaux maximum, limitant ainsi les obstacles visuels. Cependant en 1961, Laurent Chappis refuse l'hyper densification du site par la construction d'immeubles de grande hauteur, solution demandée par les services des Ponts et Chaussées. Il choisit de répondre au quantitatif en privilégiant le qualitatif. Laurent Chappis s'oppose alors à la politique d'aménagement de la montagne en France contrôlée et mise en œuvre par les ingénieurs des Ponts et Chaussées et la Caisse des dépôts et consignations. En 1962, il est démis de ses responsabilités d'urbaniste en chef de la station des Menuires.

 

1953, Mottaret

Après la reconnaissance de la vallée des Allues acquises au cours des nombreux parcours de reconnaissance de la vallée des Allues engagée depuis 1946, Laurent Chappis propose en 1953 au service des Ponts et Chaussées du département de Savoie, un projet d'aménagement du domaine skiable qui fait lien entre celui de Courchevel 1850 et celui envisagé dans la vallée de Belleville à l'Ouest. Ce projet donne ainsi sa réalité au domaine des Trois Vallées. De ce tracé du domaine skiable, Laurent Chappis en déduit les potentialités du site du Mottaret pour y accueillir une station résidentielle. Il dresse en 1954 les esquisses du plan de composition en vue d'une station nouvelle pour laquelle « les résidences se répartissent sur les deux versants de la vallée, de part et d'autre du point de convergence skiable ».

1959, Roche-Béranger

En 1959, Laurent Chappis est désigné par le Préfet de l'Isère comme urbaniste en chef chargé de concevoir la station nouvelle de Roche-Béranger qui doit être érigée sur les contreforts de la montagne de Chamrousse (Isère). Il réalisera là tous les attributs de la station : galerie marchande, immeubles résidentiels, centres de vacances, chalets individuels, piscine, centre œcuménique, caravaneige, village olympique&mettant à contribution ses collaborateurs (Franck Fergusson), ses associés (Roger Berthe et Pierre Jomain) et s'attachant les compétences d'un groupe de jeunes architectes installés à Grenoble, l'Atelier des architectes associés, dit les 3A (principalement Michel Ludmer et Robert Demartini, architectes urbanistes) avec qui sera tenté l'expérience d'un atelier d'architecture sur le site même. Les projets répondent tous aux préoccupations d'une grande fonctionnalité en lien avec le site qui se présente comme un vaste balcon orienté au Sud-ouest, dominant la ville de Grenoble  et faisant face aux falaises du Vercors. Les projets reflètent une grande maîtrise architecturale ce qui vaudra quarante années plus tard l'attribution du label XXè au centre œcuménique et au caravaneige.

Laurent Chappis s'investit particulièrement dans la réalisation du « Centre montagnard pour enfants » de Bachabouloud. Le projet repose sur l'idée d'accueillir des groupes de jeunes, encadrés par des enseignants et des moniteurs (stages de ski, classes de neige, colonies de vacances&) dans des lieux isolés mais équipés de tout le confort. Le projet est issu de réflexions communes conduites avec Denys Pradelle dès le commencement de leur travail à Courchevel 1850. L'objectif est de contribuer à « un accès gratuit à la montagne&» plutôt qu'au développement d' « un tourisme qui serait en train de devenir une industrie » [12] . Préoccupés par l'accès des populations les plus jeunes à la pratique du ski, conscients des bienfaits de l'altitude pour le développement du corps et de l'esprit, ils souhaitent créer en montagne, en limite des territoires des parcs nationaux alors en projet, comme dans les nouvelles stations d'altitude édifiées en limite des domaines skiables, des centres pour accueillir des jeunes en loisirs ou en formation. En 1960, le tracé du village d'enfants épouse les contours de la clairière de l'Arselle. Mille deux cents enfants sont accueillis dans huit « villages » de 120 lits chacun, comprenant quatre pavillons d'une capacité de 30 enfants avec parfois des pavillons double. Implanté selon les lignes de niveaux, chaque « chalet » présente des orientations différentes et délimitent ensemble une « place » distincte pour chaque village. Le plan polygonal adopté pour les chalets assure une grande ouverture de la façade aval vers le sud. Au rez-de-chaussée inférieur, sont prévus un préau fermé, des salles pour le dépôt des matériels et des ateliers de réparation. Au rez-de-chaussée supérieur, se trouvent les salles de classe et de repos et aux étages, les dortoirs. La clairière est réservée au jeu des enfants traitée comme « la plus grande cour de récréation du monde », avec dans la partie supérieure l'installation d'un mat totem de douze mètres de haut, œuvre de l'artiste Pierre Székély [13] . L'hiver, c'est là le lieu de rassemblement des cours pour l'apprentissage du ski. L'opération est unique. Le succès est assuré. Laurent Chappis proposera à plusieurs reprises, dans d'autres sites de montagne de moyenne altitude, des programmes comparables : Corrençon-en-Vercors les Vordaignes en 1959, Le Collet d'Allevard en 1960, Gresse-en-Vercors hameau de la Ville en 1963&. En 1970, Laurent Chappis vérifie, à l'aide de questionnaires adressés aux directeurs des centres, l'évolution des besoins du village de Bachabouloud. Cependant, en 2003, face aux difficultés économiques des collectivités publiques propriétaires et gestionnaires des huit villages, le centre de Bachabouloud est vendu à un promoteur immobilier qui le transforme en résidence de loisirs de grand standing. Cependant, pendant plus de trente ans, l'expérience de Bachabouloud permit à plusieurs milliers d'enfants de différentes générations, de découvrir le goût de la montagne.

1959, Flaine

En 1959, quelques mois après avoir démissionné de ses engagements à Courchevel 1850, Laurent Chappis est sollicité par Eric Boissonnas [14] , amateur de montagne et de ski, en quête d'un investissement au service du rayonnement culturel de la France qu'il imagine comme « un prototype d'urbanisme, d'architecture et de design, pour lequel la rentabilité immédiate serait subordonnée aux choix esthétiques et au respect de l'environnement.» [15] . Sous la conduite de Gérard Chervaz [16] , architecte urbaniste genevois, la famille Boissonnas découvre le site de Flaine à 1600 m d'altitude et les lapiaz du Désert de Platé à 2500 m. Laurent Chappis conduit les études du domaine skiable sur l'ensemble du massif des Grandes Platières, de Samoëns et d'Arâches-les-Carroz. Avec Denys Pradelle, ils composent le programme de la station et ils esquissent le plan d'urbanisme. Ils suggèrent la création « d'un pool d'architectes de renommée internationale » Le Corbusier, Philippe Johnson, Alvar Aalto, Walter Gropius, Louis Khan et Marcel Breuer dont ils seraient, eux, « les collaborateurs sur place » : « Il nous semblait qu'une station de sports d'hiver dont nous fixerions le plan masse, en fonction des contraintes très spécifiques d'un habitat touristique en montagne, et dont chaque zone serait confiée à un des meilleurs architectes mondiaux, devrait devenir le prototype d'une station sur le plan qualitatif. Elle devrait même attirer une clientèle ne venant que pour la visiter » [17] . Laurent Chappis élabore une esquisse personnelle, rêve d'une « ville nature ». Le plan est tracé en amphithéâtre ouvert en direction du Sud, adossé à la falaise dans laquelle a été percée un tunnel d'accès depuis le versant opposé : « Dans cette zone de nature, tout s'harmonisait dans de subtiles imbrications de petites falaises, de minuscules combes encaissées, de modestes ravins, de rochers, de boqueteaux et de sapins isolés. La morphologie créait une micro nature dan une topographie d'ensemble affirmée de trois replats linéaires herbeux superposés. L'inscription des volumes architecturés pouvait donc se faire en s'incorporant dans cette topographie à l'échelle humaine, complexe et contraignante, mais tellement caractéristique des infinies variétés du contexte montagnard. Réservant les replats naturels, structurant à grande échelle le site pour la promenade et le sport, la résidence faisait ainsi partie du cadre de nature en le perturbant au minimum. Pas de circulation automobile, donc pas de bruit ni de pollution, un maximum d'ensoleillement sur versant sud, face à un domaine skiable sur versant nord, un promoteur ne cherchant pas une rentabilité immédiate, féru d'architecture, tout concourait à faire de Flaine une station prototype. Flaine pouvait avoir une architecture d'inspiration. » [18]

Mais, suite à une expertise du site effectué par Marcel Breuer en 1959, le projet sera conduit par lui seul. Ne partageant pas la même approche du projet, Laurent Chappis - comme Denys Pradelle se désolidariseront du travail de Marcel Breuer et suspendront leurs missions auprès d'Éric Boissonnas. Cependant, le plan de masse général de la station arrêté avec Marcel Breuer à New-York en 1961, intègre les contraintes et les potentiels du site identifiés par Laurent Chappis. Ce renoncement est l'expression d'un désaccord profond avec les choix d'une architecture considérée sans lien avec le lieu, reflet de modèles transposés d'ailleurs : « L'architecture Breuer qui, à l'origine avec des volumes bas s'intégrait plus ou moins bien dans le paysage, s'impose maintenant avec des volumes de plus en plus hauts et agressifs. Malgré ses qualités graphiques, cette transposition urbaine est inadéquate pour une station touristique d'hiver » [19]

1960, La Foux d'Allos

À la demande d'Eric Boissonnas, de 1960 à 1962, Laurent Chappis explore les massifs montagneux de la Commune d'Allos, entre la vallée de l'Ubaye et la haute vallée du Verdon dans les Alpes-de-Haute-Provence. Le morcellement des domaines skiables, imposé par une topographie sévère et la présence de couloirs avalancheux, oriente Laurent Chappis vers la création d'une station à la Foux à 1800 m d'altitude, dans le fond de la vallée. Le plan d'urbanisme se composera de plusieurs « grenouillères » étagées, délimitant autant de quartiers tous réunis par une piste de ski et une remontée mécanique. Ce principe d'étagement de la station sera amplifié dans le plan de la station de Pila (Val d'Aoste), élaboré à la même époque. En 1964, pour répondre à l'orientation d'une « station jeune et populaire », Laurent Chappis propose là aussi un « centre de jeunes » dont le plan s'organise autour d'un amphithéâtre de plein air aménagé en patinoire l'hiver. Il prévoit aussi plusieurs lotissements de « mazots » conçus comme un habitat minimum. Il met au point un prototype imaginé comme une « tente en bois », optimisant au mieux la volumétrie et simplifiant au minimum la construction. Il propose ainsi un hébergement de loisirs, s'apparentant à un « refuge », chacun bénéficiant d'un isolement renforcé grâce à la plantation d'un mélézin. En 1967, Laurent Chappis propose la construction d'un hôtel dissimulé sous la piste de ski, prolongeant ainsi les recherches conduites pour la station de Pila et envisagées aussi pour la requalification de la station de San Sicario : «&bâtiment en arc de cercle s'ouvrant au sud avec toiture servant de piste de ski pour enfants ». [20] Unique construction qui témoigne du travail de Laurent Chappis à La Foux d'Allos, tous les autres projets d'architecture et d'urbanisme étudiés, étant restés sans suite.

 1961, Les Sept-Laux

À partir de 1961, à la demande de la Préfecture de l'Isère et de Aimé Paquet [21] député de l'Isère, Laurent Chappis est en charge du projet de valorisation du massif de Belledonne (Isère). Pendant sept ans, il imagine la station des Sept-Laux selon un autre type de développement : des « stades de neige » en haute altitude - là où les pentes sont enneigées et skiables - et des structures d'accueil édifiées là où la vie rurale s'est établie, soit à une altitude entre 800 et 1100 mètres. « De ces premiers repérages du massif  découle une réflexion débouchant pour la première fois &[] sur une solution prenant en compte non seulement le massif, mais aussi les vallées et le contexte d'environnement. Dans ce site très particulier des Sept-Laux, on peut faire « autre chose »qui donne satisfaction à ceux pour qui la montagne - considérée dans toute sa diversité, sa spécificité, sa complexité et sa poésie - n'est pas qu'une source d'investissements et d'intérêt financier, et qui portent à la rentabilité sociale autant d'intérêt qu'à la stricte rentabilité économique. C'est de cette nouvelle réflexion que découlera plus tard ce que j'ai appelé la « Quatrième Génération ». [22]

1963, la station de quatrième génération, alternative à la politique d'équipement de la montagne

Avec le projet des Sept-Laux, Laurent Chappis forge là le concept de « station de quatrième génération » qui repose sur la dissociation du domaine skiable aménagé en altitude - là où la neige est assurée de celui du lieu d'implantation de l'habitat, situé plus bas, à une altitude qui permet un accueil touristique toute saison. C'est une rupture avec la conception développée à Courchevel quinze ans auparavant. C'est aussi une rupture avec la doctrine de la Commission interministérielle d'aménagement touristique de la montagne (C.I.A.M.) - créée en août 1964 et présidée par Maurice Michaud - pour mettre en œuvre le « plan neige » dont l'objectif est l'aménagement de domaines skiables (avec construction d'engins mécanisés de transports sur les pentes enneigées) et la réalisation de stations résidentielles au pied des pistes.

Cette vision d'une station « toutes saisons », Laurent Chappis la développe et en débat publiquement en de multiples occasions. En novembre 1969, répondant à l'invitation d'Eugène Claudius-Petit, ancien ministre de la Reconstruction et de l'Urbanisme et alors député et maire de Firminy (Loire), Laurent Chappis expose ses idées sur l'urbanisme en montagne au cours du « Jour mondial de l'urbanisme » tenu à Lyon : « La politique suivie ou subie en matière d'équipement de la montagne est une politique à très court terme qui ne tient compte que du seul facteur de rentabilité économique immédiate, basée sur un seul type de clientèle à haut niveau de revenus. Cette conception est d'ores et déjà confrontée en France au problème du ski de masse qui ne peut ni se juxtaposer, ni être résolu par l'initiative privée. » [23] Dans une séance présidée par Marcel Anthonioz [24] , ministre du tourisme, conseiller général et maire de Divonne-les-Bains (Ain), la radicalité du propos est assurée de nourrir le débat public. La presse nationale donne écho aux analyses de Laurent Chappis, comme en témoigne des entretiens dans les magazines L'Express ou Le Nouvel Observateur : « À très brève échéance, l'urbanisation de la montagne va créer une discrimination au profit d'une classe privilégiée de résidents en station qui paient les appartement plus de 2000 francs le m2. C'est inadmissible dans un pays où le ski de masse est en pleine expansion. Cette discrimination se manifeste déjà pour les classes de neige et les étudiants. » [25] Son analyse clairvoyante d'un tourisme en montagne dominé par la spéculation foncière et son corollaire la construction immobilière, si contradictoire avec celle développée par les pouvoirs publics, le coupe définitivement de la commande publique en France.

1963, Pila

À compter de 1963, Laurent Chappis est appelé en Italie pour intervenir dans les Alpes. Pendant trente ans, il y développera de multiples projets et des expertises proposant partout des aménagements liés à un accueil toute saison en montagne. Il conçoit notamment les stations de sports d'hiver de Pila au-dessus d'Aoste dans le Val d'Aoste (1963-1973) et de San Sicario à proximité de Sestrières dans le Piémont (1969 à 1988).

En 1963, Philippe de Rothschild [26] séduit par le travail de Laurent Chappis à l'occasion de l'étude de projets immobilier pour Roche-Béranger, lui confie la mission d'architecte urbaniste en chef de la station de sports d'hiver de Pila (Val d'Aoste) dont il partage la charge avec Giovanni Agnelli [27] , patron de la société Fiat. Le plan d'aménagement est dressé en 1964. Il contient tous les « ingrédients » de la station dite de « quatrième génération » : une zone résidentielle de 5400 lits, un domaine skiable équipé, un stade de neige, un secteur de ski de randonnée et la proximité du Parc du Grand Paradis. Le plan masse de la partie résidentielle comporte une succession de grenouillères étagées desservant les différentes zones d'habitation. Une piste de ski, longée par un téléporté interne à la station, dessert tous les quartiers et conduit à une « grenouillère » centrale autour de laquelle sont disposés les services et les galeries marchandes.  En 1971, le plan d'urbanisme est repris car la voirie jusque-là aérienne est désormais souterraine et intégrée aux édifices, solution explorée dix ans auparavant dans le projet de station des Menuires. Sans obligation de déneigement des voiries de la station, la pente des routes peut être deux fois plus raide (14% de pente) et par conséquent leur longueur réduite de moitié. De plus, la route couverte donne accès aux parkings et abrite une galerie technique dans laquelle circulent tous les réseaux. Cette infrastructure sert d'adossement aux résidences. Elle accompagne et amplifie le mouvement des courbes de niveaux, les bâtiments n'étant qu'un prolongement et une excroissance de ces lignes caractéristiques du site. Hauts de quatre niveaux maximum, les immeubles sont ouverts sur la vallée et les panoramas alentours et tournent le dos au domaine skiable garantissant ainsi la recherche d'une « polyvalence » d'usage en hiver comme en été. La piste sur laquelle circulent les skieurs forme en partie les toitures des immeubles. Les façades présentent des compositions fragmentées, variant ainsi les orientations des logements, tandis que les toitures suivent le modelé du terrain. Une circulation piétonne couverte dessert 1'ensemble de la station. Toute l'emprise bâtie est traitée en piste de ski 1'hiver et promenade l'été car les toitures sont recouvertes de terre engazonnée. La construction repose sur le choix d'une trame modulaire permettant d'épouser les différentes orientations et offrant une souplesse d'implantation vis-à-vis de la configuration du sol : « C'est une nouvelle vision d'intégration d'une station de sports d'hiver en totale symbiose avec son environnement. » [28]

1969, San Sicario

En 1969, Laurent Chappis est désigné comme architecte urbaniste en chef de la station de San Sicario (Piémont) dont il a repéré les domaines skiables six ans auparavant dans le cadre d'une mission confiée par Giovanni Agnelli pour la requalification de la station voisine de Sestrières (Piémont). Les études d'aménagement skiable fixent la capacité d'accueil à 5000 lits étagés sur trois sites réunis par une large piste skiable. En 1970, le premier projet pour le site du Clos de la Chapelle s'appuie sur une composition fragmentée des résidences en les disposant le long des courbes de niveaux et en limite de rupture de pente, tout en laissant libre le replat de l'alpage destiné à devenir l'espace collectif du quartier : « Je cherche à casser une conception urbanistique et architecturale orthogonale pour créer une ambiance non urbaine de dépaysement et de caractère plus ludique ». [29] La hauteur des constructions est limitée à neuf mètres. Les toitures sont d'abord prévues enveloppantes, couvertes de lauzes pour respecter les règles administratives. Mais en 1972, le projet évolue par l'autorisation donnée à des toitures terrasses engazonnées, contrairement aux règles habituelles qui imposent des couvertures en lauzes. En 1973, Laurent Chappis dresse le plan de masse du quartier du Clos de la Mais prévue avec une capacité de 4200 lits, composé d'un essaimage de quartiers étagés dans la pente, desservis chacun par des pistes de ski et des remontées mécaniques internes. L'ensemble compose un lacis de pistes divergentes de la grenouillère principale placée en partie amont de la composition, déduit de l'identification de la singularité paysagère du site : « Tout est conditionné par l'orientation, la recherche de la vue et du meilleur ensoleillement, la protection des vents, la conservation quasi intégrale des arbres repérés un à un. Les talus sont minorés et chaque bâtiment a fait l'objet d'une implantation évitant la vue sur le bâtiment voisin& Les hameaux résidentiels sont tous desservis par une piste de ski interne à la station. Cette piste est équipée d'un petit téléporteur et sert de cheminement piétonnier estival. Le tout diverge du centre attractif&» [30] . Les constructions ne s'élèvent pas au-dessus de trois niveaux et ainsi ne dépassent pas les mélèzes qui ont été repérés au préalable. En 1978, constatant que la mise en œuvre n'était pas conforme aux directives données, Laurent Chappis propose un projet de restructuration du quartier du Clos de la Mais fondé sur une prise en considération plus forte des composantes de la nature ; parmi lesquelles, « la création d'une piste de ski  promenade estivale en utilisant la toiture des bâtiments ou l'exploitation de l'énergie solaire par des panneaux disposés sur les garde corps des pistes » [31]

1975, Bielmonte

En 1975, Laurent Chappis est appelé pour intervenir dans le site de Bielmonte en Lombardie, déjà équipé sur le plan touristique, par un enchevêtrement de maisons d'alpages et de résidences touristiques. Afin de contrôler le développement de la station et l'orienter afin d'être habité dix mois par an, Laurent Chappis imagine la renaissance d'une économie pastorale qui trouverait son débouché sur place auprès de la clientèle touristique. Pour ce faire, après des études agronomiques précises, il propose la création de « chalets-auberges d'alpage » édifiés dans les pâturages. Dans un même volume, sont réunis les animaux et leurs installations au rez-de-chaussée et un « chalet-auberge » à l'étage. Ces constructions proposent une imbrication de la vie touristique et de la vie pastorale. Les projets sont pensés selon une architecture incorporée à la montagne, comparable aux modes d'implantation adoptés par les maisons d'alpage de Bielmonte pour résister aux avalanches de neige. Principes qui garantiront aux « chalets-auberges d'alpage », « dépaysement et rupture attendus avec la vie urbaine ». [32]

1975, Massif du  Puygmal

En France, des investisseurs privés continuent de solliciter Laurent Chappis. À partir de 1975, il étudie successivement l'aménagement du massif du Puygmal (en Cerdagne près de Font-Romeu, Pyrénées-Orientales) et celui du Mercantour (Alpes de Haute-Provence et Alpes-Maritimes).

Dans les Pyrénées, sollicité par la SEMER (Société d'Économie Mixte pour l'Étude du Roussillon), filiale de la Caisse des Dépôts et Consignations, Laurent Chappis prévoit un projet d'aménagement du massif, distinguant, « domaine skiable équipé », « parc des sports et loisirs d'altitude » et des structures d'accueil résidentiel (2000 lits) pensées comme des « greffes » sur les villages existants de la commune d'Err. Avec son collaborateur Hervé Vidal architecte urbaniste, ils proposent des regroupements de logements de petites dimensions associés à des « ski-lodges », programmes déclinés selon une architecture contemporaine qui prend naissance avec l'observation des lieux : « Les cellules d'habitat sont issues d'une recherche plastique découlant des impressions ressenties au contact de l'architecture locale. Le volume habitable est défini par un mur périphérique en pierres « opus incertum » aux formes libres s'opposant à la rigueur orthogonale d'un habitat urbain afin de créer une ambiance de vie décontractée. Les toitures sont indépendantes de la forme du volume habitable pour donner une unité visuelle au groupement des cellules ». [33] En raison du changement d'équipe municipale, le projet ne voit pas le jour. Cependant, le projet sera présenté comme un nouveau « prototype de station de la quatrième génération » caractérisée par  la dissociation des domaines skiables équipés et des zones de résidence, l'aménagement de la totalité du massif en « parc de sports et de loisirs d'altitude », la jonction entre la zone de parc et la zone skiable équipée, la réalisation de parcs de stationnements et d'accueil aux lieux d'accès dans la vallée.

 

1975, Massif du Mercantour

En 1975, dans les Alpes du sud, sollicité par des aménageurs privés pour l'opération « Azur 2000 » (dénommé aussi « Valdeblore 2000 ») dans la haute vallée de la Tinée, Laurent Chappis propose des aménagements « type quatrième génération » qu'il confronte avec la perspective de création d'un nouvel espace protégé dans les Alpes du Sud, alors en débat. Il est sollicité par les services de l'État et participe aux études préalables à la création du Parc national du Mercantour.

En 1980, Laurent Chappis expertise le site du vallon de Sestrière sur la commune de Saint-Dalmas le Selvage (Alpes-Maritimes), à la demande de Marielle Goitschell [34] , championne olympique de ski, associée au groupe immobilier Ribourel qui souhaite créer une station de sports d'hiver. Située en zone périphérique du Parc national du Mercantour, Laurent Chappis développe sur le site même, le concept d'une « station nature » qu'il relate ainsi dans ses dossiers d'archives : « Là, à nos pieds, la vaste prairie, ancien lac glaciaire, toute parsemée de fleurs, traversée par de nombreux petits ruisseaux, rendez-vous des oiseaux, foulée par des traces de petits animaux, la nature à l'état brut. Interdiction d'y toucher. On ne pourra y circuler que sur des passerelles en bois comme dans certains parcs des États Unis. Le manteau floral et la petite vie animale qu'on dominera ne seront ainsi pas perturbés. En lisière de forêt partiront des sentiers qui permettront de découvrir les silencieux et sauvages vallons de la Braisse et de La Tour, laissés dans leur état originel. Le domaine skiable équipé sera localisé dans le vallon marginal de Sagnas. Il ne sera pas visible depuis la zone résidentielle s'étalant sur le versant sud dominant la prairie, face aux vallons sauvegardés. Ce sera donc la seule station où on aura la vue directe sur une nature vierge, totalement protégée. La résidence sera répartie là, tout autour de nous, sur ce versant ensoleillé. Elle sera totalement intégrée dans ce site naturel, comme des trous de marmottes à peine visibles. Habitat sans murs ni toitures faisant corps avec le paysage. Soulèvements du manteau herbeux simplement occultés par des vitrages épousant le modelé du terrain. Comme de grands yeux ouverts vers le soleil et la nature originelle non défigurée par l'homme. Station donc pour ceux qui veulent vivre la montagne, celle où le profit passe au second plan». [35]

1981, Sampeyre

En 1981, sur le territoire de la commune de Sampeyre dans la Val Varaita (Piémont), Laurent Chappis propose de réconcilier l'espace et le temps par un projet d' « écomusée naturel de l'évolution d'un territoire montagneux », structuré en quatre zones juxtaposées : la zone du passé antérieur (nature originelle non transformée par l'homme), la zone du passé récent (zone des hameaux domestiqués par l'homme pour une économie agropastorale et forestière depuis plusieurs siècles), la zone du présent (le fond de vallée exploité récemment sans contrôle à des fins touristiques), la zone du futur (aménagement et équipement d'un site d'alpage prenant en compte les impératifs d'une économie touristique et s'insérant dans une nature respectée). C'est cette approche du projet basé sur la recherche de liens entre ancrage dans les lieux et considération pour le travail des hommes qui ouvre la perspective humaniste : « Il faut maintenant raccorder hier à demain sans qu'aujourd'hui soit trop traumatisant et faire en sorte que la création ne soit pas une injure à ce qui existait avant ». [36]

1981, Expert de l'ONU

En 1981, Laurent Chappis est désigné - par l'Italie - comme expert international dans le domaine de l'aménagement de la montagne pour l'Organisation mondiale du tourisme, attachée à l'O.N.U. C'est la reconnaissance de ses compétences acquises au contact des réalités physiques et humaines des territoires de montagne. Car à l'occasion de missions d'études ou de déplacements personnels à travers le monde, Laurent Chappis a, en quelques sortes, transposé sa méthode personnelle adoptée pour l'étude de projets consistant, avant l'élaboration de toute proposition, à parcourir - à pied, à ski, en survol - les lieux interrogés afin d'y déceler leurs potentiels. Il en fut ainsi lors de missions d'expertises (les Rocheuses aux États-Unis en 1960, au Brésil, dans les Andes en Argentine et au Chili en 1963, en Tchécoslovaquie et dans le Caucase en URSS en 1966, au Japon en 1962, l'Atlas marocain en 1963, en Australie et Nouvelle Zélande en 1964, montagnes du Kazakhstan en 1968, &) ou de voyages (Scandinavie en 1952, Yougoslavie dès 1954, États-Unis en 1955, Israël en 1960, Inde et Népal en 1965, Liban et Afrique du Sud en 1967, Afghanistan en 1970, Colombie Équateur et Venezuela en 1971, Chine en 1981&). Cette connaissance des différents massifs montagneux fait partie intégrante de la méthode de travail de Laurent Chappis. Il nourrit et argumente ses projets en s'appuyant sur la comparaison des lieux parcourus et visités. En 1966, il explique ainsi l'intérêt de cette approche des montagnes du monde : « Après avoir visité, avec un œil critique, tous les pays offrant des massifs permettant la pratique des sports d'hiver, on s'aperçoit que quelque soit l'hémisphère, partout les problèmes sont identiques, mais suivant, les impératifs propres à chaque pays, ils sont souvent traités très différemment, offrant rarement des solutions satisfaisantes, mais permettant de très fructueuses réflexions ». [37]

1961-1981, la station de la quatrième génération, préfiguration de la montagne humaniste ?

En 1961, interrogé sur le développement du massif des Sept-Laux, Laurent Chappis expérimente un parti pris d'aménagement où le domaine skiable équipé serait déconnecté de la station résidentielle, prenant ainsi le contrepied de la doctrine développée depuis le commencement de Courchevel 1850, quinze ans auparavant. Le projet est fondé sur le constat de la diversité des pratiques récréatives, ludiques, sportives ou contemplatives. Cette approche permet une présence touristique à toutes les saisons. Cette vision de l'aménagement de la montagne repose sur la reconnaissance des diversités humaines et territoriales et s'inscrit dans la valorisation de la complexité des gens et des lieux. Elle s'oppose à un modèle de développement monofonctionnel.

En dénommant cette approche de développement, « station de quatrième génération », Laurent Chappis propose une classification personnelle résumant les transformations de la montagne sous l'effet du développement touristique hivernal. La « quatrième génération » prendrait ainsi la suite des trois « générations » précédentes de stations de sports d'hiver : « la première génération est caractérisée par le lent passage d'un village de montagne d'une économie rurale, pastorale et forestière à une économie touristique ; la seconde génération est la création en site vierge adéquat, d'une station conçue exclusivement pour un tourisme hivernal, le promoteur a réuni les terrains nécessaires équipé le domaine skiable, chargé un homme de l'art de concevoir la station et procédé à la viabilisation de base ; la troisième génération est l'aboutissement de la formule précédente, le promoteur initial construisant l'ensemble de la station et la gérant, station dite « intégrée » car le promoteur réunit en une seule main tous les facteurs d'exploitation de la station » [38] . Cependant, cette présentation simplifiée de l'évolution des stations de sports d'hiver apparaît si évidente, qu'elle a connu de nombreuses déclinaisons,   notamment dans les manuels scolaires d'histoire et de géographie, pour présenter de manière didactiques les transformations de la montagne française.

En effectuant les bilans critiques des projets étudiés, souvent inachevés ou détournés de leurs objectifs initiaux (Les Sept-Laux, Pila, San Sicario, Puygmal, Sampeyre, Campitello 2000&), Laurent Chappis précise le concept de station de quatrième génération comme une alternative à la « troisième génération des stations » : « La montagne en France n'a pas qu'une seule vocation que l'on semble avoir limitée actuellement au ski d'altitude sur des domaines skiables équipés. Elle peut dispenser à tout l'éventail social de la population urbaine et rurale un choix d'activités, de sports, de loisirs, de détente, de culture, d'émotions sensibles. Cette potentialité est sans commune mesure avec l'exploitation immédiate axée sur le seul profit au bénéfice d'un éventail très retreint de clientèle. » [39]

Les « clientèles » sont identifiées par énumération des catégories de gens pour qui la station de quatrième génération est conçue : « la clientèle dite « de loisirs de neige », clientèle populaire, familiale ou de passage ; la clientèle d'enfants et de jeunes ; la clientèle dite de « stade de neige », clientèle jeune, sportive ; la clientèle dite « contemplative » ; la clientèle de randonneurs » [40] .

Pour Laurent Chappis, le projet de station de la quatrième génération ne se limite ni à un projet d'urbanisme, ni à la réalisation des programmes architecturaux. Il repose en premier lieu sur un projet global de valorisation des potentiels d'un massif montagneux qui se décline selon les différentes échelles du territoire : « J'ai inlassablement remis en cause mes idées d'origine, compte tenu de l'évolution des clientèles nouvelles, de la technique, des prises de conscience des facteurs écologiques et d'environnement, de la potentialité réelle des domaines skiables, de la rentabilité de certains investissements. Les équipements de la station de 4ème génération, aménagement global de la montagne ou chaque site, suivant sa vocation satisfera une clientèle qui a ses propres exigences : zones de loisir de neige sans immobilier privatif, zones de stades de neige, sans immobilier privatif, zone de résidence pour toutes les catégories de clientèles, zone de ski de masse, zones de ski de randonnées, zones de conservation intégrale du site ». [41]

Enfin, il précise  les qualifications nécessaires aux professionnels pour conduire de tels projets d'ensemble : « Certaines qualifications sont indispensables. La première est d'aimer la montagne. La seconde en découle. Il faut être montagnard et skieur pour pouvoir parcourir en toute saison et par tous les temps, les massifs dont on devra préciser et justifier les aménagements. La raison de cette patiente prospection est de devoir à tout instant, analyser le site, supputer ses qualités et déficiences, déceler son potentiel d'accueil, imaginer jusqu'où et comment l'intrusion de l'urbaniste, de l'architecte, de l'entrepreneur, du commerçant, du résident, des sportifs, des engins de transport de toute sorte, va perturber les éléments naturels qui au départ sont la seule raison du choix ». [42]

1985, Ma montagne 

C'est ainsi qu'à travers ses récits professionnels, Laurent Chappis livre les vicissitudes qui accompagnèrent chacune des opérations dont il fut chargé. Il a ainsi démontré comment son projet d'une montagne accessible à tous, au plus grand nombre - une « montagne inspiratrice » selon ses propres termes - a pu se concrétiser. Comme par exemple, la construction du village des enfants de Bachabouloud à Roche-Béranger (Isère), réalisé au début des années soixante : pendant plus de trente ans, il permit d'offrir à plusieurs milliers d'enfants, la découverte et le goût de la montagne.

Puis, confrontant, pour chaque opération, les résultats obtenus au regard des ambitions initiales, il relève l'écart sans cesse grandissant - entre ses propres objectifs et les réalités. Il prend ainsi conscience d'un éloignement entre une vision d'ensemble portée par les acteurs de la montagne - pouvoirs publics, associations, commerçants, sportifs, promoteurs& - de rendre la montagne accessible au plus grand nombre - « la montagne pour tous » - et la réalité des projets achevés et habités. De ces bilans - qui prennent parfois la forme d'autocritiques - il constatera que les projets débouchent souvent sur des opérations ponctuelles, parcellisées et modifiés, dans lesquelles la recherche de gains financiers et la spéculation foncière sont l'un des principal moteur, voire exclusif de l'aménagement de la montagne. L'évolution du projet de Courchevel 1850, en témoigne. Décidé en 1945 par le conseil général du département de Savoie, son promoteur initial - Pierre Cot, conseiller général -, pouvait ainsi porter l'idée « d'ouvrir la montagne à la jeunesse française grâce à une exploitation à caractère social de son équipement et favoriser la pratique sportive du plus grand nombre ». [43] Le projet de Courchevel est ainsi défini comme le lieu devant permettre à tous de bénéficier des bienfaits de la montagne hivernale. Or, quelques années plus tard seulement au seuil des années quatre-vingt Courchevel est alors devenue le lieu touristique parmi les plus chers au monde, réservé à une élite financière en raison d'une spéculation foncière sans limite.

Constatant une perte de sens et une « artificialisation » des aménagements des territoires d'altitude, Laurent Chappis a alors pointé les erreurs et les errements qui ont conduit à la démesure des programmes et des équipements. Il réalise ainsi, dès les premières années soixante, comment à l'idée d'une « montagne humaniste », a été supplanté le vieux rêve prométhéen de l'homme capable de dominer les contraintes de la nature. Et il observe comment les options initiales de développement ont engendré des aménagements aux dimensions héroïques, conduisant, à défaut d'une maîtrise capable de contenir les gigantismes, à la destruction inéluctable des écosystèmes fragiles sur lesquels reposent la vie en altitude montagne et celles des milieux naturels en montagne.

Aussi, Laurent Chappis n'a-t-il cessé de développer au cours de sa carrière professionnelle, prises de positions, propositions et projets alternatifs autour de l'idée d'une recherche de « bien être » pour des communautés humaines établies en montagne, par un travail constant sur des projets d'aménagement et d'architecture adaptés aux milieux alpins.

 

« De la réalité au rêve », contribution à une nouvelle conception des Alpes européennes

En réaction, Laurent Chappis a revendiqué un « devoir d'ingérence », pour dépasser les notions de protection, de conservation et d'interdit et penser « positivement » l'avenir de la montagne : « Dans la civilisation actuelle, il y a une demande pour que la montagne retrouve son pouvoir émotionnel. Mais si cette demande se fait de plus en plus pressante, elle ne s'exprime qu'en proposant du négatif : conserver ou interdire. C'est ce qui m'a incité à rechercher du positif: valoriser et évoluer par des réalisations minimales, éphémères, s'inscrivant dans les sites sans les perturber, en faisant de l'expérimental pour échapper à des servitudes qui freinent l'imagination. ». [44]

Il s'engage alors dans l'étude des « montagnes alpines », les Alpes européennes.  C'est le sens du travail qu'il conduit en parcourant, sur cartes, les montagnes des pays alpins de l'Europe - les Alpes européennes - en fabriquant sa propre base documentaire : sur les cartes à l'échelle du 1/50 000, il trace les limites du sol enneigé fixé en fonction de la durée d'enneigement (5 mois environ), de l'altitude des versants et de leurs orientations ; les notices précisent les potentiels de chaque territoire à partir des caractéristiques du sol enneigé, et au regard des pratiques les plus diverses (ski alpin, ski nordique, randonnée, marche, promenade&). Ce travail lui permet de préciser ce qu'il entend par une « réconciliation de l'homme contemporain avec la nature ».

Ce travail d'observation mené pays par pays, le conduit à rendre compte du monde tel qu'il est. Ne laissant aucun arpent de montagne à découvert, Laurent Chappis énonce des orientations et des perspectives pour l'avenir. Il dresse ainsi l'état des lieux de la montagne l'héritage -  et relève plusieurs singularités : un territoire dont le sol disparait sous une épaisseur de neige parfois jusqu'à six mois sur douze (selon l'altitude), véritable manteau magique qui nourrit depuis toujours l'imaginaire et les pratiques des hommes. [45]

Le projet de Laurent Chappis trouve sa pertinence et son actualité en ce début du XXIè siècle, au moment où les montagnes sont confrontées à un double défi, celui de l'évolution climatique et celui de la diversification de l'activité, notamment celle de l'accueil touristique. Il s'inscrit dans les préoccupations actuelles énoncées par les acteurs du développement et de l'aménagement, non seulement en France, mais aussi en Suisse, Autriche, Italie et l'ensemble des pays de l'Arc alpin qui cherchent à concilier développement économique viable, protection des ressources naturelles, prééminence des singularités de chaque territoire de montagne et bien-être des hommes.

Le travail de Laurent Chappis s'inscrit de fait dans une approche « transfrontière », mettant en relation les caractéristiques et les potentiels d'entités spatiales limitrophes. De fait, il place les migrations humaines au cœur du projet de « la montagne humaniste », alors même que ces territoires, parfois si proche du point de vue des modes de vie et des cultures, se distinguent encore par des instituions et des modèles culturels, sociaux et économiques, propres à chaque pays ?

Leur représentation sous une forme identique cartographie et notices - permet comparaisons, rapprochements, confrontations et mise en évidence des singularités et des ressemblances. Le projet de Laurent Chappis contribue à démontrer comment le massif alpin européen peut émerger comme un territoire à part entière, dans le respect et la valorisation des caractéristiques physiques et économiques de chacun des massifs et vallées.

Poursuivant toujours sa recherche d'une montagne accessible à tous, en la positionnant à l'échelle des Alpes européennes, il propose la création d'un parc international pour les Alpes européennes, qu'il dénomme « le massif central de l'Europe » [46] .

Laurent Chappis interroge chacun - citoyens et décideurs, élus et acteurs sociaux et économiques, concepteurs et créateurs, aménageurs, urbanistes et architectes, universitaires et étudiants - sur les modes de développement des territoires de montagne et sur les façons de contribuer au bien être des communautés humaines, celles qui y résident, celles qui y sont accueillies, celles qui viendront plus tard& Le projet de la montagne humaniste s'inscrit ainsi dans le débat ouvert par les institutions européennes sur l'avenir des Alpes et les objectifs que les sept pays alpins peuvent désormais partager, par la mise en place de « macro régions » dont le principe a été adopté en 2007 par l'Union européenne (Traité de Lisbonne).

C'est le sens de la présentation du projet « La montagne humaniste » faite par Laurent Chappis en Juin 2010 lors d'une journée d'étude du conseil général du département de Savoie organisée en partenariat avec l'Association des Élus Européens de la Montagne et avec le soutien de la DATAR (Délégation à l'Aménagement du Territoire et à l'Attractivité Régionale). Présentation qui s'est poursuivie en novembre 2012 devant le Conseil national de la montagne réuni à Annecy (Haute-Savoie) [47] .

Le projet de Laurent Chappis peut être considéré comme un « appel à la responsabilité » face au devenir de ces « territoires blancs » - blancs une grande partie de l'année sortes de « pages blanches », pas aussi blanche qu'auparavant, ces territoires aux écosystèmes très spécifiques. Laurent Chappis contribue ainsi à nourrir des pistes de réflexion pour celles et ceux engagés aujourd'hui ou demain dans ces perspectives de donner du sens aux liens à établir entre l'homme et les montagnes.

« Il n'y a pas de société libre sans silence, sans l'espace mental et extérieur de la solitude où puisse se développer la liberté individuelle », citation d'Herbert Marcuse dans un entretien à l'Express en 1967 conservée par Laurent Chappis [48] . Cet espace, qu'il soit « mental » ou « extérieur », Laurent Chappis le situe en montagne. Par ses paysages, la montagne offre au mental des possibilités d'ouverture, de création et d'imagination. Par ses grandes étendues sauvages, la montagne permet aussi de vivre des moments de liberté. Cette approche de l'espace montagnard trouve son écho dans la culture pastorale, aujourd'hui menacée économiquement, et une présentation réduite à un mode de production fonctionnel, alors que le pastoralisme ne repose-t-il pas sur une maîtrise humaine ancestrale de ses déplacements dans tous les territoires, principalement ceux des montagnes.

En abordant la durée des installations nécessaires à l'homme, évoquant le concept d'installations «éphémères» (au sens de la réversibilité, de l'adaptabilité, voire de la modification) pour les besoins de l'homme, il prend place dans le débat culturel, économique et architectural actuel : encourager, privilégier résolument la création de lieux, d'espaces, de bâtiments, d'architectures, de territoires adaptés aux besoins de l'homme. Débat d'autant plus actuel que face à l'engouement pour des simulacres de compositions urbanistiques et architecturales d'inspiration néo vernaculaire - révélateur des difficultés de la société à imaginer des visions d'avenir - les territoires de montagne aux climats contrastés, sont des lieux pour expérimenter des solutions alternatives notamment en matière de performances et de consommation énergétiques pour demain : « Alors que tout évolue, j'ai constaté que seule l'architecture en montagne régresse. On y fait du vieux avec une mentalité de vieux. Et pourtant, ce devrait être un champ d'expérience puisque la montagne attire toutes les classes de la société et tout l'éventail des âges. » [49]

La création de « zones de silence » en montagne, permettant l'éveil esthétique, voire spirituel, rejoint la demande sociale de ressourcement, d'accompagnement à la découverte de la « montagne nature » (écosystèmes, faune flore...) et de la vie pastorale. En choisissant de parcourir la montagne à pied et à ski pour saisir et s'approprier ses potentialités et ses caractéristiques, Laurent Chappis a, de fait, adopté cette pratique ancestrale de la vie en territoires d'altitude. L'approche de Laurent Chappis n'est pas exclusive. Il souhaite que les sites d'accueil, qu'ils soient destinés à la pratique de la montagne enneigée ou de la montagne estivale, qu'ils soient le pivot de territoires habités et équipés ou au cœur d'espaces protégés, soient conçus en accord avec les paysages. Il rejoint là les préoccupations développées par d'autres pionniers porteurs d'une vision nouvelle de l'aménagement des Alpes : par exemple, l'action qui fut celle, au début des années cinquante, de Gilbert ANDRÉ [50] , pour la création du parc national de la Vanoise, autour du principe de protection et mise en valeur des grands espaces naturels.

Laurent Chappis n'est pas un montagnard de souche, pour qui les terres d'altitude constituent le territoire de vie. Sa perception est celle d'un citadin qui a adopté très jeune la montagne, qu'il a découvert par l'alpinisme, la marche à pied, les courses à ski ou la contemplation. Qui fait de son approche, celle d'un homme du temps présent.

Jean-François Lyon-Caen
Architecte dplg, maître assistant
Responsable du master et de l'équipe de recherche architecture-paysage-montagne
École nationale supérieure d'architecture de Grenoble (ENSAG)

Grenoble Août 2013

Sources documentaires :

- « Parcours professionnel de Laurent Chappis, architecte et urbaniste en montagne (1946-2013) », Archives départementales 2013

- Laurent Chappis, « Ma montagne&du rêve à la réalité », tome 1 « 50 ans d'études d'urbanisme en montagne » 2003.

- Laurent Chappis, « Ma montagne&du rêve à la réalité », tome 2 « tome 2 « 50 ans d'architecture en montagne et ailleurs » 2005.

- Entretiens avec Laurent Chappis

- Philippe Révil, « L'anarchitecte, Laurent Chappis le rebelle de l'or blanc », Guérin éditeur 2002.

 

+ Biographie de Laurent Chappis

+ Chronologie des projets et des réalisations de Laurent Chappis

 

 

 
[1] Laurent Chappis, « Ma montagne&de la réalité au rêve&vers la montagne humaniste, les Alpes françaises, tome3, ENSAG / Facim 2005, p162.



[2] Laurent Chappis, « Ma montagne&du rêve à la réalité », tome 1 « 50 ans d'études d'urbanisme en montagne » Facim 2003, tome 2 « 50 ans d'architecture en montagne et ailleurs » Facim 2005.



[3] Maurice Michaud (1905-1973), né à Saint-Genis-sur-Guiers (Savoie), diplômé des écoles Polytechnique et des Ponts & Chaussées, ingénieur des Ponts & Chaussées en poste à Chambéry en 1936. Mobilisé, il est fait prisonnier et rencontre Laurent Chappis en captivité. Ingénieur responsable de l'arrondissement de Chautagne en 1945 puis de la Tarentaise en 1946, nommé ingénieur en chef des Ponts & Chaussées en 1947. Délégué à la Reconstruction à Chambéry de 1948 à 1952, puis délégué départemental des Pont & Chaussées. À partir de 1960, sous l'égide des services de l'État, il met en place le « plan neige » pour encourager l'équipement de la montagne en stations de sports d'hiver d'altitude, via la direction de la CIAM (Commission interministérielle pour l'aménagement de la montagne) créée en 1964, puis via le Service d'Études et d'Aménagement Touristique de la Montagne (S.E.A.T.M.) qu'il crée en 1971.



[4] Pierre Jomain (1925-1972), architecte, associé en 1952 du cabinet Berthe-Chappis-Jomain à Chambéry, concepteur de très nombreux édifices parmi lesquels plusieurs lieux cultuels qui ont reçu le Label XXe siècle (Saint-Jean Bosco au quartier du Biollay à Chambéry 1956, Sacré-Cœur à Chambéry 1962, centre œcuménique du Saint-Esprit de Chamrousse Roche-Béranger 1964), décède accidentellement sur un chantier de construction.



[5] Denys Pradelle (1913-1999), architecte, diplômé (1942) de l'école des Beaux-arts de Paris, séjourne au sanatorium de Saint-Hilaire du Touvet (1943-1946), s'installe à Courchevel 1850 pour travailler à la création de Courchevel 1850 à la demande de Laurent Chappis, puis à Chambéry (1956) où il crée en 1960 l'Atelier d'Architecture en Montagne et l'Atelier d'Urbanisme en Montagne, enseigne à l'école d'architecture de Lyon à partir de 1965, urbaniste conseil auprès de l'Établissement public de la ville nouvelle de l'Isle d'Abeau (Isère), crée la consultance en architecture et en urbanisme au sein du parc national de la Vanoise (1963) et des CAUE (1977).



[6] Natif de Montmélian (Savoie), Georges Dufayard, alpiniste et skieur, stagiaire de Laurent Chappis, soutient son diplôme d'architecte (1951) avec un projet d'un hôtel au Jardin alpin à Courchevel 1850, puis ouvre en 1960 une agence d'architecture et d'urbanisme à Gap (Hautes-Alpes) où il réalisera les stations d'Orcières-Merlette, Chaillol, Pra-Loup et plusieurs refuges d'altitude dans le massif des Écrins.



[7] Eugène Claudius-Petit (1907-1989), ébéniste et professeur de dessin, membre du comité directeur de Franc-Tireur pendant l'Occupation, député en 1946, ministre de la Reconstruction et de l'Urbanisme de 1948 à 1953, ami et défenseur de Le Corbusier à qui il passe commande de plusieurs bâtiments à Firminy dont il fut maire de 1953 à 1971.

 



[8] Chappis Laurent, Legrand Jean-Marc, Pradelle Denys, Contribution à une architecture de montagne, dans « Etudes et informations », cahier mensuel du M.R.L. n° 3, Mars 1955, 4 ème année.



[9] Revillard André, urbaniste en chef de l'État, « Courchevel, contribution à une architecture de montagne »,dans L'Architecture d'aujourd'hui, n°61, septembre 1955, p. 4-11.



[10] Financier et skieur écossais, découvre en 1936 la vallée des Allues, crée la SFVA (Société Foncière de la Vallée des Allues) et développe la station de Méribel-les-Allues après la guerre avec les architectes urbaniste Paul-Jacques Grillo, Christian Durupt et André Detour qui conçoivent la station par mimétisme avec le bâti ancien.



[11] Cédric Broet, Tignes, histoire d'une station de sports d'hiver (1946-1992), Tignes 2013, p22 à 39.



[12] Entretien avec Denys Pradelle, dans École d'architecture de Grenoble, Lycée Léonard de Vinci, Service régional de l'Inventaire DRAC Rhône-Alpes, Afit, Entretiens, constitution d'un fond d'archives audiovisuelles, la montagne du XX° siècle, entretiens et biographies, Tome II, rapport collectif sous la direction de Jean-François Lyon-Caen et Françoise Véry, Grenoble, 1996.



[13] Pierre Székély (1923-2001), artiste, né à Budapest, installé en France en 1946, développe des sculptures à caractère monumental, collabore avec des architectes dont l'équipe de l'Atelier d'Architecture en Montagne qui l'associe à la réalisation de centres de vacances édifiés pour l'Association Renouveau (Roche-Béranger 1962, Beg-Meil 1964, les Karellis 1975).



[14] Eric Boissonnas (1913-2005), géophysicien, directeur (1946-1959) de laboratoire à la société Schlumberger (Connecticut, Etats-Unis), il s'engage au côté de son épouse Sylvie et de son frère Rémi dans la création de la station de Flaine. Ils créent en 1970 à Flaine un « centre d'art » alliant art contemporain et pratique de la montagne complété par un espace ethnographique consacré aux modes de vie des populations des villages voisins. Par ailleurs, ils participent à la création à Paris du centre Georges Pompidou.



[15] Boissonnas Eric, Flaine la création, Éditions du Linteau, Paris 1994



[16] Gérard Chervaz (1928), architecte formé à Genève, skieur, associé en 1958 avec Martens, industriel suisse, pour développer une station de sports d'hiver, ils présentent en 1959 le site de Flaine à Eric Boissonnas.



[17] Laurent Chappis, « Ma montagne&du rêve à la réalité », tome 1 « 50 ans d'études d'urbanisme en montagne » 2003, volume publié et diffusé par la FACIM, p 127.



[18] Laurent Chappis, « Ma montagne&du rêve à la réalité », tome 2 « 50 ans d'architecture en montagne et ailleurs » 2005, FACIM, p 90.



[19] Laurent Chappis, « Ma montagne&du rêve à la réalité », tome 2 « 50 ans d'architecture en montagne et ailleurs » 2005, FACIM, p 97.



[20] Laurent Chappis, « Ma montagne&du rêve à la réalité », tome 2 « 50 ans d'architecture en montagne et ailleurs » 2005, volume publié et diffusé par la FACIM, p 106



[21] Aimé Paquet (1913-2001), agriculteur, député de l'Isère (1953-1973), médiateur de la République (1974-1980), il fut secrétaire d'État au tourisme (1973-1974).



[22] Laurent Chappis, « Ma montagne&du rêve à la réalité, cinquante d'études d'urbanisme en montagne, tome 1, Facim 2003, p108, 109 et 123.



[23] Cité dans « L'anarchitecte, Laurent Chappis le rebelle de l'or blanc » Philippe Révil, Guérin éditeur 2002, page 190



[24] Marcel Anthonioz (1911-1976), hôtelier à Divonne-les-bains (Ain), député de l'Ain (1951-1976), secrétaire d'État au tourisme (1969-1972), a contribué activement dans la période des Trente glorieuses, à l'essor de l' « industrie touristique ».



[25] Entretien pubié dans le Nouvel Observateur, 26 Janvier 1970, cité dans « L'anarchitecte, Laurent Chappis le rebelle de l'or blanc » Philippe Révil, Guérin éditeur 2002, page 191



[26] Philippe de Rothschild (1902-1988), amateur d'art, participe au développement de plusieurs projets immobiliers et au développement vinicole.



[27] Giovanni Agnelli (1921-2003), fils de Edoardo Agnelli (1892-1935), fondateur de la station de Sestrières (Piémont) en 1934 et petit-fils de Giovanni Agnelli (1866-1945), fondateur à Turin en 1899 de la société FIAT devenue l'une des premières industries automobiles mondiale.



[28] Laurent Chappis, « Ma montagne&du rêve à la réalité », tome 2 « 50 ans d'architecture en montagne et ailleurs » 2005, volume publié et diffusé par la FACIM, p 146 et Laurent Chappis, « Pila, Vallée d'Aoste (Italie) », revue Architecture française, n°389, 1975, p75.



[29] Laurent Chappis, « Ma montagne&du rêve à la réalité », tome 2 « 50 ans d'architecture en montagne et ailleurs » 2005, volume publié et diffusé par la FACIM, p 168-169



[30] Laurent Chappis, « Ma montagne&du rêve à la réalité, cinquante d'études d'urbanisme en montagne, tome 1, Facim 2003, p 193.



[31] Laurent Chappis, « Ma montagne&du rêve à la réalité », tome 2 « 50 ans d'architecture en montagne et ailleurs » 2005, FACIM, p 177.



[32] Laurent Chappis, « Bielmonte (Italie) », revue Architecture française, n°389, 1975, p82-83.



[33] Laurent Chappis, « Ma montagne&du rêve à la réalité », tome 2 « 50 ans d'architecture en montagne et ailleurs » 2005, volume publié et diffusé par la FACIM, p 187.



[34] Marielle Goitschell (1945), championne du monde de ski (Chamonix 1962, Portillo 1966) et médaillée olympique en ski (Innsbruck 1964, Grenoble 1968). 



[35] Laurent Chappis, « Ma montagne&du rêve à la réalité, cinquante d'études d'urbanisme en montagne, tome 1, Facim 2003, p229.



[36] Laurent Chappis, « Ma montagne&de la réalité au rêve&vers la montagne humaniste, tome 3, Les Alpes françaises », Ensag/Facim 2006, p102.



[37] Laurent Chappis, « Problèmes d'aménagement de la montagne », dans revue l'architecture d'aujourd'hui, n° 126, 1966



[38] Laurent Chappis, « Naissance des stations de la 4è génération », revue Architecture française, n°389, 1975, p74.



[39] Laurent Chappis, « Méthodologie de l'étude d'aménagement en montagne », revue Urbanisme n°116, 2/1970, p44.



[40] Laurent Chappis, « Naissance des stations de la 4è génération », revue Architecture française, n°389, 1975, p74.



[41] Laurent Chappis, « La montagne, où en est-on ? », revue Urbanisme n°145, 1974, p54.



[42] Laurent Chappis, « Problèmes d'aménagement de la montagne », dans revue l'architecture d'aujourd'hui, n° 126, 1966



[43] Conseil général de Savoie, séance du 26 Novembre 1945



[44]  Laurent Chappis, « Ma montagne&&de la réalité au rêve. Les Alpes européennes, une montagne humaniste dans le contexte d'un parc international des Alpes européennes » Tome 9, Ensag/Facim 2012, p. 122.



[45] Laurent Chappis, « Ma montagne&de la réalité au rêve », « Alpes françaises » tome 3, 2007 ; « Italie » tome 4, 2008 ; « Suisse », tome 5, 2009, « Autriche », tome 6, 2010 ; « Allemagne et Slovénie », tome 7, 2010, Ensag/Facim.



[46] Laurent Chappis, « Ma montagne&de la réalité au rêve - Les Alpes européennes, contribution à un nouvel aménagement de la montagne » tome 8, Ensag/Facim, 2011 et Laurent Chappis, « Ma montagne&de la réalité au rêve - Les Alpes européennes, une montagne humaniste dans le contexte d'un parc international des Alpes européennes » tome 9, Ensag/Facim, 2012.



[47] Laurent Chappis, « Ma montagne&de la réalité au rêve - La montagne, errances vagabondes », tome 10, Ensag/Facim, 2013.



[48]  Dans « L'anarchitecte, Laurent Chappis le rebelle de l'or blanc » Philippe Révil, Guérin éditeur 2002, page 189.



[49] Laurent Chappis, « Ma montagne&de la réalité au rêve&vers la montagne humaniste - Les Alpes françaises », tome 3, Ensag/Facim, p156.



[50] Gilbert ANDRÉ (1927), sillonne les Alpes à pied entre 1950 et 1953, propose en 1953 « un parc national culturel dans les Alpes françaises » conduisant à la création en 1963 du parc national de la Vanoise (premier parc national sur le territoire français), maire de la commune de Bonneval-sur-Arc de 1956 à 1995.

Informations sur l'acquisition :

Une première partie regroupe les papiers personnels et professionnels de l'architecte et de son agence.  Puis viennent les projets et réalisations.  Enfin, des « fronts de neige » en « grenouillères » à la notion de «montagne humaniste» en passant par les « stades de neige », stations « de troisième génération» et stations «intégrées», Laurent Chappis a beaucoup pensé et théorisé l'aménagement de la montagne : ses idées, mais également ses réflexions critiques sur les réalisations-les siennes y comprises- ont ainsi fait l'objet de nombreux écrits que l'on retrouve dans ses archives Ceux-ci ont été regroupés et organisés chronologiquement, jusqu'à la cartographie, assistée par ordinateur, du récent projet « vers la montagne humaniste » en cours d'achèvement de publication par la Fondation d'action culturelle internationale en montagne
Ce fonds comprends non seulement certains dossiers de travaux réalisés en France et à l'étranger mais surtout, au fur et à mesure, les réflexions postérieures et commentaires de Laurent Chappis sur ses réalisation. Ces réflexions culturelles issues de son expérience professionnelle ouvrent des voies pour l'avenir des territoires d'altitude aujourd'hui. Ses derniers ouvrages sont d'ailleurs consacrés aux perspectives alternatives qui se substitueraient aux habitudes prises de toujours exploiter plus la montagne. Vers la montagne humaniste est un plaidoyer pour un aménagement de la montagne à échelle humaine. [1]

1 Voir Annexe 1: La parole à l'architecte...CONCLUSION A L'EVOLUTION DES IDEES

Description :

Mise en forme :
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Chronologique

Ressources complémentaires :

Inventaire pdf. - IR 2522 30J  - Mise-à-jour juin 2015

Organisme responsable de l'accès intellectuel :

Archives départementales de la Savoie

Identifiant de l'inventaire d'archives :

FRAD073_30J

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