Inventaire d'archives : Ministère en charge des affaires sociales, service national des objecteurs de conscience : gestion du dispositif (1972-2002)

Contenu :

Conteste historique
Les archives ministérielles pour contribuer à l'histoire de l'objection de conscience [1]
Les études historiques sur les objecteurs de conscience permettent de penser de façon originale leurs relations avec les pouvoirs publics et les associations. Les « pouvoirs publics » constitueraient ainsi la partie supérieure du « sandwich » - ou une des mâchoires de l'étau - qui ont enserré les objecteurs. Ceux-ci se trouveraient donc pris entre deux entités, l'État et les associations. Pour autant, l'on ne peut négliger, pour contribuer à l'histoire de l'objection de conscience, l'étude du fonctionnement de ces pouvoirs publics, partenaires subits, certes, mais obligés. Pour faire suite à une phrase qu'aurait prononcé le général de Gaulle en 1963 « un statut d'objecteurs de conscience, d'accord, mais avec le moins d'objecteurs possible ! », l'on pourrait se poser cette question : quelles traces a laissé une administration qui, à tout le moins, n'était pas très encline à gérer ces affaires ?
Les objecteurs de conscience au cœur d'une administration chaotique
Le moins que l'on puisse dire, c'est que les objecteurs de conscience ont été « ballottés » d'une administration à l'autre. Durant les trente premières années du statut, quatre ministères, en effet, se sont succédé .. La loi 63-1255 du 21 décembre 1963, et ce jusqu'à 1969, place le ministère de l'Intérieur en charge ce dossier. Cette loi stipule que les « jeunes gens » qui choisiraient l'objection « peuvent être admis à satisfaire […] aux obligations […] soit dans une formation militaire non armée soit dans une formation civile assurant un travail d'intérêt général ». [2]
Les premiers objecteurs sont alors affectés dans le corps de la protection civile et servent comme pompiers auxiliaires au fort de Brignoles (Var)[3]. à partir de 1966, ils peuvent également être affectés dans certaines associations[4].
Entre 1969 et 1971, le ministère de la Santé prend le relais pour des affectations dans les hôpitaux publics et dans des associations conventionnées[5]. La majorité des objecteurs refuse alors les affectations aux hôpitaux publics qui restent dans l'absolu une volonté peu suivie des pouvoirs publics, tandis que des associations de plus en plus nombreuses peuvent les accueillir, dans les domaines de l'éducation populaire, de l'aide aux défavorisés, des chantiers de jeunesse.
L'application de la loi n°71-424 du 10 juin 1971 va transférer la gestion au ministère de l'Agriculture [direction générale de l'administration et du financement, sous-direction des personnels des services régionaux et départementaux du GREF (génie rural, eaux et forêt), bureau puis division des objecteurs de conscience[6]]. C'est l'époque de l'affectation « autoritaire » à l'Office national des forêts (ONF) pour la première année du service civil. Comme pour les hôpitaux publics précédemment, entre la moitié et les trois-quarts des objecteurs refusent cette affectation, et rejoignent directement une association, au lieu d'attendre la deuxième année de leur service civil. À partir de 1975, une certaine diversification des affectations est instituée (services du ministère de la Culture, dans un premier temps, puis associations privées d'intérêt général, à partir de 1978). Ces affectations s'ajoutent à celles qui existaient auparavant, déjà nombreuses. Un bilan fait en 1981 fait ressortir quatre grands secteurs d'affectation : la « nature » (ONF, parcs nationaux, etc), l'« action sociale » (associations, bureaux d'aide sociale, etc), la « culture » (archéologie, bibliothèques) et l'« éducation populaire » (associations relevant du ministère du temps libre). A titre d'exemple, le secteur « nature » est encore majoritaire en 1981 mais les affectations à l'ONF sont passées de 100 % en 1974 à 24 % en 1981. Il faut néanmoins nuancer ces chiffres officiels, puisque si 100% des objecteurs sont affectés à l'ONF en 1974 pour leur première année de service civil, ils sont moins de 50% à y travailler de manière effective. Le ministère de l'Agriculture gère ce dossier jusqu'en 1983.
Depuis la loi n°83-605 du 8 juillet 1983 et à compter de la fin de 1983 (officiellement en 1984 par la publication du décret n°84-234 du 29 mars 1984), le ministère chargé des affaires sociales est désigné pour la gestion des objecteurs. La « finalité sociale et humanitaire » des activités des objecteurs est reconnue. L'objection de conscience devient une forme civile du service national . [7]
C'est la direction de l'administration générale, du personnel et du budget (DAGPB), [sous-direction du personnel (bureau des objecteurs de conscience, P7) puis (en 1988) sous-direction de l'équipement et de la logistique (bureau des objecteurs de conscience, EL6)] qui s'en occupe. L'aspect purement « gestionnaire » est privilégié. Le bureau a une double charge : la gestion proprement dite des objecteurs (incorporation, suivi, paie, etc[8]) et l'habilitation des organismes.
À compter d'octobre 1990, la direction de l'action sociale (DAS), [sous-direction du développement social, de la famille et de l'enfance, bureau des objecteurs de conscience (DSF3)] prend le relais. L'affichage « social » est clairement exprimé. Le ministre chargé des affaires sociales a toutefois des prérogatives importantes : il organise et parfois décide l'affectation des objecteurs, il est tenu informé des conditions d'exercice du service et est investi du pouvoir disciplinaire. C'est lui également qui contrôle les organismes d'affectation. Mais c'est le nombre d'objecteurs qui pose le plus gros problème. Stable (moins d'un millier par an) jusqu'en 1982, ce nombre a sextuplé entre 1983 et 1993. Le nombre des associations agréées passe lui d'une centaine en 1983 à 2500 en 1992. Parmi les secteurs d'affectation, on peut citer l'animation des jeunes, les actions en faveur des personnes en difficultés, la documentation, l'informatique…
En 2000, la direction de l'action sociale devient la direction générale de l'action sociale (DGCS) et l'ancien bureau des objecteurs devient le bureau des acteurs de l'intervention sociale, doté d'une simple section de gestion des objecteurs de conscience[9]. C'est ce bureau qui a la charge de solder le dossier « objecteurs ».
Un regard différent sur l'objection
Les archives ministérielles permettent une double approche : celle de l'individualité, les dossiers individuels d'objecteurs[10], et celle du collectif, les décisions politiques, l'administratif, le répressif, le social.
Dans le domaine de la gestion administrative proprement dite, c'est le ministère des Affaires sociales qui a versé les archives les plus intéressantes. C'est l'ensemble du fonctionnement du bureau chargé des objecteurs qui peut être ainsi reconstitué. Dans les dossiers, on trouvera de la correspondance, de la documentation, des statistiques, des notes, des rapports, des pétitions, des tracts, des comptes rendus de réunions de la « commission interministérielle des formes civiles du service national ». C'est en quelque sorte l'« envers du décor » qui s'offre au chercheur : les difficultés de fonctionnement, les problèmes budgétaires, les efforts de l'administration aux prises avec ce public si particulier (les objecteurs), l'incompréhension par rapport à certaines décisions du pouvoir politique (déconcentration, service civil, etc). Loin du tout répressif comme cela a pu être dénoncé, en tout cas jusqu'aux années 1975, il s'avère que les personnes en charge des dossiers faisaient parfois le maximum pour « adoucir » le sort des objecteurs et pour « arrondir les angles » en cas de litige avec l'autorité militaire. « Finalement, ils étaient bien attachants, ces jeunes ! » ont pu dire plusieurs agents du bureau.
L'objection de conscience. Pour qui ? Pourquoi ?
Embarrassante du point de vue de l'État, destinée à la clandestinité ou presque pour devenir plus tard la « voiture balai » du service national[11], l'objection de conscience est à la fois mal aimée et mal connue. Attitude antisociale - refus d'une règle - pour les uns, opposée à une attitude solidaire - celle du respect de la vie - pour les autres, elle est avant tout une attitude individuelle dont la revendication auprès des « pouvoirs publics » s'est souvent effectuée collectivement. Comportement éthique à l'origine, l'objection a-t-elle été récupérée ?[12] Combien parmi les 75000 objecteurs qui se sont succédé depuis 1963 l'ont été par militantisme ou volonté de désobéissance ? L'État a-t-il cherché à les réintégrer comme des « brebis égarées » ? C'est cette complexité qui est difficile à appréhender. Comme souvent, l'État est au centre de ce maelstrom, tiraillé par les uns et les autres. L'étude de son fonctionnement - et les archives ministérielles peuvent y contribuer fortement - permet de tenter d'expliquer comment la société peut admettre que certains, au nom de leur conscience, transgressent une règle qui s'applique à tous.
: Notes 
[1] Cette introduction est extraite d'une intervention effectuée par Jean-Pierre BRIÈRE dans le cadre de la journée d'études « Les objecteurs de conscience, entre associations et pouvoirs publics. Au « service » de qui ? », organisée le 29/01/2005 avec le soutien du conseil général du Val-de-Marne, du Service civil international (SCI), le Comité de coordination pour le service civil-Volontariats (CCSC), le Centre d'histoire sociale du 20e siècle (Paris-I-CNRS) et le groupe de recherche sur les militants associatifs (GRMA).Voir : Vingtième siècle-Revue d'Histoire, n°88, 2005/4, p. 136-137.
[2] Le ministère de l'intérieur, le ministère de la santé, le ministère de l'agriculture, le ministère des affaires sociales. Sans compter, bien évidemment, le ministère chargé des Armées qui procède au recensement des objecteurs et qui siège avec force à la commission juridictionnelle prévue par la loi de 1963.
[3] L'année 1963 correspond également à la création d'une structure de protection civile dans le département du Var, soumis à de nombreux feux de forêt, du fait, en partie, du développement du tourisme. C'était peut-être là le début de l'utilisation d'une main-d'œuvre à « moindre frais », si décriée par les contempteurs du statut d'objecteur.
[4] Service civil international (SCI), ATD Quart-monde, Emmaüs, etc,
[5] Le décret n°69-1100 du 4 décembre 1969 stipule que les objecteurs sont sous la tutelle du ministère de la santé et de la sécurité sociale.
[6] Décret n°72-808 du 31 août 1972.
[7] Avec le service de défense (puis le service de sécurité civile), la coopération, l'aide technique, le service dans la police puis, plus tard, le service national « ville ».
[8] On trouve également une section « discipline » qui est dirigée par un militaire en détachement.
[9] Il est vrai que les directions régionales des affaires sanitaires et sociale (DRASS) ont pris le relais, en 1992, pour un suivi « déconcentré » des dossiers d'objecteurs. Par ailleurs, l'extinction du statut d'objecteur avec la fin du service national comme on l'avait connu (loi n°97-1019 du 8 novembre 1997) fait que, depuis 2001 (dernier contingent), ce bureau n'effectue plus de gestion directe (seuls quelques dossiers contentieux et comptables sont encore suivis).
[10] Les dossiers individuels ont fait l'objet de versements distincts. Ils comprennent, en général, les documents suivants : fiche de poste, décision d'affectation, avis de prise en charge, arrivée, départ, demande de congé exceptionnel sans solde, visite médicale finale, documents relatifs aux congés et aux permissions, rapport d'infraction ou d'incident. On y trouve des « tranches de vie » d'objecteurs. Comme souvent pour des dossiers individuels, les cas particuliers sont les plus intéressants : insoumission, désertion, abandon de poste, refus d'obéir, incidents et problèmes disciplinaires divers, accidents, décès. Ils permettent d'avoir des jalons précis sur les itinéraires individuels. Au-delà de l'aridité de ces dossiers administratifs, on y trouve parfois une certaine humanité.
[11] Rapport du Conseil économique et social sur les « formes civiles du service national » (24/25 octobre 1995).
[12] Récupérée par les pouvoirs publics certes, mais ne l'a-t-elle pas été également par les associations ?
Contenu du versement :
Les dossiers qui constituent ce versement résultent donc de l'activité, sur une période allant de 1972 à 2002, des différents bureaux qui avaient la charge des objecteurs de conscience
Très complet, ils nous apportent une vision d'ensemble des activités de chacune des sections composant le bureau des objecteurs de conscience à savoir : la section « incorporation », la section « habilitation des organismes et suivi des objecteurs de conscience », la section « situations particulières », la section « libération » et enfin la cellule comptable.
La structuration du versement reflète les attributions de ces cinq sections. En effet, le bureau des objecteurs de conscience participait, en relation avec le ministère de la Défense et le ministère des Finances, à l'élaboration réglementaire régissant les objecteurs de conscience (articles 3 à 17).
Il préparait les prévisions budgétaires et les opérations de répartition des crédits (articles 18 à 26).
Il participait à des commissions et des réunions interministérielles relatives à la gestion des objecteurs de conscience (articles 29 à 44)
Il avait aussi et surtout en gestion les effectifs d'incorporés (articles 46 à 66), parmi lesquels un certain nombre de cas particuliers (articles 67 à 75).
L'article 70 soulève ainsi le cas des témoins de Jéhovah. En effet, afin d'éviter des mesures pénales, un accord à été trouvé en 1993 qui les incorporait d'office comme objecteurs de conscience.
Les dossiers traitant de la mise en place et du suivi d'un service national pour l'accompagnement de personnes handicapées dépendantes vivant à domicile, se sont également révélés très intéressants (articles 71 à 75). Ce service se faisait sur acte de volontariat, suivi d'une formation adaptée. Un protocole d'accord était alors signé entre les différents protagonistes ainsi qu'une convention avec les associations d'accueil.
 : la dernière partie du versement (article 76) regroupe plusieurs dossiers classés « secret défense ». À noter

Cote :

20180645/1-20180645/76

Publication :

Archives nationales
2018
Pierrefitte-sur-Seine

Informations sur le producteur :

Bureau des objecteurs de conscience (direction de l'action sociale)
Voir la notice producteur dans la salle des inventaires virtuelle

Informations sur l'acquisition :

Versement
Historique de conservation :
Ces archives sont issues de deux versements effectués par la Direction générale de l'action sociale (DGAS) en 2003 ; ceux-ci portaient les cotes internes DGAS/2003/004 et DGAS/2003/010.

Description :

Critères de sélection :
Éliminations réglementaires soumises à procès-verbal d'élimination.
Mise en forme :
Classement thématique.

Conditions d'accès :

Communicables selon les dispositions de l'article L213-2 du Code du patrimoine.

Conditions d'utilisation :

Selon règlement en salle de lecture

Langues :

FrançaisAllemand

Description physique :

Importance matérielle :
34 boîtes (10, 54 m.l.)

Ressources complémentaires :

: Versement conservé aux Archives nationales, site de Pierrefitte-sur-Seine 
 : Suivi statistique des contingents d'appelés. 1981-2001 - 20180534 articles 1 à 22
- 2 : Agrément d'organismes pour l'accueil des appelés objecteurs de conscience. 1984-1996 0180632 article 1 

Références bibliographiques :

Textes réglementaires :
- Loi n°83-605 du 8 juillet 1983 modifiant le code du service national.
- Décret n°84-234 du 29 mars 1984 modifiant certaines dispositions du code du service national, notamment en insérant un chapitre IV à l'article R.227.
- Décret n°85-929 du 28 août 1985 modifiant certaines dispositions du code du service national, dispositions applicables en temps de guerre.
- Arrêté du 7 février 1986 relatif à la commission instituée par l'article R.227-18 du code du service national.
- Arrêté du 30 août 1988 relatif à l'informatisation de la gestion du service national des objecteurs de conscience.
- Loi n°97-1019 du 28 octobre 1997 portant réforme du service national.
- Décret n°98-1890 du 17 mars 1998 portant application de la partie législative du code du service national.

Localisation physique :

Pierrefitte-sur-Seine

Organisme responsable de l'accès intellectuel :

Archives nationales

Identifiant de l'inventaire d'archives :

FRAN_IR_058022

Archives nationales

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