L’industrie du papier s’installe dans les Vosges au milieu du XVe siècle : c’est en 1444 que l’on trouve la mention d’un moulin à papier à Épinal. Au cours du siècle suivant, l’essor de cette industrie dans le département est particulièrement frappant : plus de 30 moulins s’installent sur les cours d’eau traversant les Vosges entre 1510 et 1608. Malheureusement, cet essor est brisé net par les vicissitudes de la guerre de Trente Ans qui entraînent la disparition de plus d’une vingtaine de moulins ; peu d’entre eux seront reconstruits. Le XVIIIe siècle est quant à lui caractérisé par la concentration industrielle et l’installation d’une industrie papetière puissante, dont la famille Krantz, installée à Docelles, est particulièrement représentative.

La morphologie de la commune de Docelles favorise la construction de moulins à papier : en plus du moulin de Vraichamp, construit avant 1492, trois moulins s’installent sur la Vologne entre 1510 et 1592 :

- Vraichamp (antérieur à 1492)
- le Grand-Meix (1510) ;
- La Bernie - Le Neuf-Moulin (1551) ;
- Lana (1592).

Ces papeteries figurent au nombre des papeteries anéanties par la guerre de Trente Ans. Trois d’entres elles seront toutefois reconstruites, mais leurs activités demeurent modestes. Demangel, instituteur à Docelles dans les années 1880, indique en effet, dans la monographie consacrée à la commune , que l’industrie n’était « représentée uniquement [que] par les trois papeteries existant aujourd’hui, n’ayant alors qu’une importance fort restreinte, puisque, dans la première partie du XVIIIe siècle, celle de Vraichamp, outre le propriétaire et son fils, ne comptait qu’un colleur, un gouverneur, 8 papetiers et 2 ouvriers ; celle de Lana, un gouverneur-colleur, 4 papetiers et un ouvrier celle du Grand-Meix, un maître papetier et 6 ouvriers ». C’est dans ce contexte morose que s’inscrit l’arrivée des Krantz dans les Vosges : Nicolas Krantz s’installe dans les Vosges à la fin des années 1760 et bouleverse littéralement l’histoire de la papeterie dans ce département.

Nicolas Krantz, né à Meaux ou à Nancy en 1730, occupe, dès 1758, la place de « fontainier du Roi », Stanislas Leszczinski, roi de Pologne et duc de Lorraine et de Bar : il a alors en charge tous les jeux d’eaux, bassins et fontaines des châteaux de Lunéville, Jolivet, Einville, Chanteheux et La Malgrange . Après le décès de Stanislas, déjà père de trois enfants, Nicolas, suit les conseils de sa femme Marie-Jeanne Dervasy, et reprend la participation de son beau-frère dans la papeterie de Vraichamp  ; il est à l’époque « désireux de sauver une forte somme d’argent dangereusement investie dans l’acquisition de la papeterie de Vraichamp »  ; il en devient propriétaire le 30 septembre 1769. L’achat de matériel et le recrutement de nouveaux ouvriers dans les années qui suivent participent pleinement, parallèlement aux fréquents voyages de Nicolas dans l’Est et en Belgique, à l’essor sans précédent de la fabrique de papier. Il devient très rapidement « l’un des papetiers les plus importants et les plus représentatifs de son époque » . Il se constitue dès lors un véritable empire proto-industriel : il rachète successivement les papeteries de Laval (1775), Lana à Docelles (1782), Le Char d’argent à Épinal (1785), de Beaulieu (1789) ; les Krantz arrivent à posséder, louer ou régir, jusqu’à 8 papeteries à la fois.

En 1787, Krantz s’associe avec ses fils, Claude, né en 1757, et Claude-Nicolas, né en 1771, et la papeterie de Vraichamp devient Krantz et fils ; c’est l’aube d’une véritable dynastie de papetiers vosgiens qui vont exploiter ces papeteries jusqu’au début du XXe siècle. Nicolas Krantz quitte les affaires en 1794 ; il s’éteint à Bruyères en février 1810.